Une nouvelle note d’intervention vient d’être publiée sous ma plume par l’Institut de recherche en économie contemporaine portant sur le thème de la productivité soutenable. Dans une note précédente portant sur les enjeux du vieillissement, mon analyse conduisait à la nécessité « d’un saut de productivité significatif pour consolider nos capacités d’agir, la capacité du Québec à protéger et améliorer le niveau de vie de sa population, l’emploi, la cohésion sociale et l’environnement ». Il m’apparaissait évident que, pour réaliser ce saut, il fallait revoir la notion même de productivité, pour mieux saisir la nature des actions à entreprendre. La nouvelle note aborde donc quelques enjeux théoriques autour de la notion de productivité et ses déterminants.
J’ai déjà publié, pendant la campagne électorale, un billet sur OikosBlogue qui reprenait une partie du contenu de ma note d’intervention. J’y contestais les prétentions grotesques du Centre sur la productivité et la prospérité des HEC-Montréal d’arriver à des résultats de recherche sur la productivité de l’économie québécoise démontrant que le Québec traîne de la patte depuis 30 ans et qu’il est en voie de devenir la province la plus pauvre du Canada. Sur la base d’une étude réalisée au Centre for the Study of Living Standards (CSLS) par Christopher Ross, on peut au contraire démontrer la fausseté de cette affirmation du Centre sur la productivité et la prospérité.
Mais l’intérêt de ma note sur la productivité soutenable va au-delà de ces analyses quantitatives. Il est plutôt dans la réflexion théorique sur les déterminants sociaux et écologiques de la productivité. Même si l’analyse des liens entre la croissance de la productivité et le progrès social n’est pas très fréquente, elle a néanmoins déjà été l’objet de recherche. On peut faire cette analyse de deux manières : d’une part, par la prise en compte de la dimension sociale des déterminants de la productivité, et d’autre part, par la vision plus traditionnelle de la productivité comme l’un des déterminants économiques du progrès social. Ces liens sont absents des analyses dominantes qui portent sur la productivité. Ou lorsqu’ils sont abordés, ils le sont de façon unilatérale et dans une vision étroite, en termes de coûts/bénéfices. Par exemple, depuis une trentaine d’années, un courant politique de droite, appuyé par une certaine pensée économique, s’est acharné à démontrer tous les effets nuisibles des politiques sociales des années d’après-guerre sur la croissance de la productivité, insistant sur les dépenses publiques incontrôlées, les niveaux élevés d’imposition et leurs effets négatifs sur la croissance économique et la productivité. Le problème, avec ce courant de pensée, est qu’il se limite à la dimension « coût » du bilan des politiques sociales.
Lorsqu’on aborde la dimension « bénéfice », le bilan des politiques sociales devient beaucoup plus contrasté. Des études récentes démontrent plutôt que la réduction des inégalités sociales serait positivement corrélée avec la croissance économique dans la mesure où les politiques sociales qui parviennent à réduire les inégalités sociales assurent une protection sociale plus étendue et une plus grande cohésion sociale des populations. D’un point de vue économique, deux bénéfices importants découlent de cette réduction. Premièrement, les protections collectives assurent une sécurité financière de base aux personnes face aux risques qui se présentent durant leur vie, à un coût moins élevé que si ces risques étaient entièrement assurés sur le marché privé, ce qui se traduit par une hausse de la mobilité sociale et de l’investissement que ces personnes sont prêtes à réaliser dans leur capital humain. Deuxièmement, l’atteinte d’une plus grande cohésion sociale permet d’augmenter le niveau de capital social d’une société.
Comme nous l’avons fait pour les liens entre la productivité et le progrès social, on peut aussi dire que les liens entre la croissance de la productivité et l’intégrité écologique sont doubles : d’une part, par la prise en compte de la dimension écologique des déterminants de la productivité; d’autre part, par celle des déterminants économiques de l’intégrité écologique. Mais ce que l’on constate de plus en plus en prenant conscience des nouveaux défis écologiques, c’est que depuis les débuts de la révolution industrielle, on peut dire que les déterminants économiques de l’intégrité écologique ont essentiellement été négatifs, entrainant la réalisation d’un cercle vicieux qui atteint avec le modèle ultralibéral un seuil intolérable. Pour transformer ces déterminants économiques, il faut changer les principes qui gouvernent notre modèle de développement et redonner aux acteurs publics et aux acteurs de la société civile leurs pouvoirs de régulation qui se sont dégradés depuis une trentaine d’années.
Pourtant, tous les éléments existent pour que nous puissions construire un nouveau modèle de développement plus soutenable parce que construit sur la base d’un nouveau cercle vertueux de l’activité économique : un système productif éco-efficient (fondé sur les principes de l’écologie industrielle) qui assurerait des gains de productivité soutenable, un partage plus équitable de ces gains par le biais d’une pluralité de statuts (économies marchande et publique, mais aussi sociale, domestique, etc.) ainsi qu’une dynamique de consommation responsable qui consoliderait la durabilité du système productif.
Mais le changement de modèle passe nécessairement par une réforme de la comptabilité nationale, qui nous permettra de mesurer et de promouvoir un saut de productivité soutenable : augmenter le volume global de production par nombre d’inputs utilisés, en prenant soin d’ajouter à ces derniers le social et l’environnement. Dans cette nouvelle conception, une perte de cohésion sociale ou une détérioration de l’environnement entraîne une diminution de la productivité globale alors que, au contraire, une diminution des inégalités ou une amélioration de l’intégrité écologique sont autant de facteurs susceptibles d’augmenter la productivité. Ce saut de productivité implique un changement de perspective important : nous n’avons pas à nous demander, a priori, comment la croissance de la productivité (réduit au seul progrès technique) peut contribuer à la reconversion écologique, mais plutôt ce que la reconversion écologique peut apporter à un véritable saut de productivité !
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