Le congrès de l’Alliance coopérative internationale (ACI) de 2009 à Genève avait ouvert une éclaircie à la veille de la grande messe de Copenhague sur le réchauffement climatique : une résolution forte mettant en cause le fondamentalisme de marché et indiquant clairement la priorité au Sud comme au Nord de l’impératif d’un développement durable et solidaire des communautés. Présent tout au long de la rencontre, j’avoue que je ne m’y attendais pas.
Mais à Cancun en 2011, deux ans plus tard, l’ACI s’est montrée plutôt frileuse. Du moins temporairement ! Disons d’abord que le 16 novembre dernier, elle lançait officiellement l’Année internationale des coopératives pour 2012 qu’elle avait obtenu de l’ONU. Çà c’est le bon coup de l’ACI dans les plus récentes années. Plus de 2 000 dirigeants coopératifs du monde entier participaient à cette rencontre. Du jamais vu ! « Il s’agissait de la plus forte présence pour un congrès et une assemblée générale de l’organisation » de dire l’ex-président du CQCM et principal dirigeant de la Coop fédérée, Denis Richard : 68 pays représentés par 1 456 hommes et 547 femmes. À coup sûr, la participation mexicaine était imposante (1000 des 2000 personnes présentes). Pas de surprise car cela suit la tendance générale de ces grandes rencontres : c’est un temps fort pour le pays d’accueil. À noter par ailleurs des contingents importants venant de la Colombie, de l’Inde, du Japon, de l’Argentine, du Québec et du Canada, de l’Ukraine et des États-Unis.
Le Secrétaire général des Nations unies Ban Ki-Moon en a profité pour affirmer le caractère unique des coopératives dans le monde d’aujourd’hui car « elles aident à réduire la pauvreté et à créer des emplois, elles jouent un rôle important dans le renforcement des communautés tant sur les plans social qu’économique, elles sont fondées sur des valeurs démocratiques et elles ont des racines dans leurs communautés parce qu’elles sont la propriété de leurs membres ». Il a donc invité comme il se doit le mouvement à pousser plus loin le bateau. Les coopératives et autres entreprises collectives représentent à l’échelle mondiale 10% du PIB, 10% des emplois et 10% de la finance selon un document interne de l’OIT (2011). C’est fou ce qu’on peut faire avec 10% car l’effet domino peut être grand sur un nombre important de secteurs (agriculture, finance et assurances, etc.). Encore faut-il organiser une concertation politique à la hauteur de l’enjeu.
Or la question laissée au placard au cours des deux dernières décennies est précisément celle-là mais elle remonte aujourd’hui à la surface. Le mouvement coopératif prend conscience qu’il évolue en rangs dispersés sur le plan politique. Les multinationales de l’agroalimentaire, du pétrole, du gaz, du nucléaire, de l’automobile…n’ont pas ce problème elles qui deviennent de plus en plus influentes par leur lobbying auprès des institutions internationales. Le mouvement est de plus en plus conscient de cette tendance et compte bien y travailler. C’est ce qu’a bien compris le FIDESS, organisateur des Rencontres du Mont-Blanc, très actif à Rio+20. Il est probable que le Sommet international des coopératives (Desjardins et l’ACI) en octobre prochain au Québec ira dans cette direction. Si on se fie au programme, il a fait de l’influence sociopolitique du mouvement un des quatre thèmes majeurs de cette rencontre. D’entrée de jeu le diagnostic des organisateurs a été posé : « les coopératives ont du poids au plan économique mais elles sont un nain au plan politique. »
Toujours est-il qu’à Cancun, le président Mexicain, Felipe Calderon, est venu rehausser l’ensemble de l’évènement. Il a fait connaître l’appui de son pays au modèle d’entreprise coopérative en déclarant qu’il partage les valeurs de la coopération : l’aide mutuelle, la responsabilité sociale des entreprises, le développement durable, la participation des citoyens et la démocratie. Il a aussi déclaré que le Mexique et son gouvernement sont engagés à promouvoir l’Année internationale des coopératives. Il a terminé en mentionnant que le mouvement coopératif est très important car il exprime l’humanisme social dans lequel il croit. Message reçu ! Reste à voir sa traduction, dans chaque État, en politiques publiques conséquentes.
Rochdale aura aussi à cette occasion été déclarée la capitale mondiale des coopératives. En effet les délégués ont donné leur appui à une résolution présentée par l’ACI des Amériques, nommant Rochdale, la place des Pionniers de Rochdale, comme le centre mondial de la coopération. Le soutien au développement d’un Institut coopératif pour la promotion de la paix et de la cohésion sociale a été approuvé par l’assemblée générale. L’Institut opérera sous une base transitoire de trois ans et bénéficiera d’un comité consultatif choisi en consultation avec le directeur général Charles Gould. C’est Ian McPherson qui en a fait la proposition au nom de la Canadian Co-operative Association (CCA) en spécifiant que « les coopératives peuvent jouer un rôle en temps de guerre, rendre disponible des biens de consommation courante et les distribuer équitablement, favoriser la mobilisation après les conflits et bâtir des ponts pour réduire les différences ». Enfin, l’assemblée a élu deux nouveaux membres au conseil de direction, un en provenance de l’Iran et l’autre en provenance de la Pologne.
Mais revenons à nos moutons, l’ACI et le développement durable. Le délégué canadien à l’ACI des Amériques, Réjean Lantagne, également directeur de SOCODEVI, a défendu avec d’autres intervenants des Amériques et du Japon entre autres, l’adoption immédiate d’une nouvelle version suivante du 7e principe coopératif : « Les coopératives travaillent pour le développement durable de leur communauté et la protection de l’environnement par des politiques acceptées par leurs membres en faisant la promotion d’une gestion responsable des ressources naturelles pour garantir l’équilibre écologique et le bien-être humain ». Trop prudents sans doute, environ 65% des membres votants ont plutôt décidé de redonner le dossier au Conseil de l’ACI pour plus d’analyses, afin que soit consulté l’ensemble des membres et pour proposer un mécanisme qui régirait les changements futurs aux principes. D’autres soutenaient que le 7ème principe actuel tenait déjà compte de la préoccupation environnementale. Dossier à suivre avec la tenue d’une assemblée générale extraordinaire à Manchester, Royaume-Uni, à la fin du mois d’octobre prochain. Dommage cependant, l’ACI aura un peu manqué le coche de Rio+20 en n’y venant pas avec une position ferme sur le sujet et la volonté de se mobiliser à la bonne hauteur.
Collaboration à la recherche : Ernesto Molina de l’Université de Sherbrooke
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