On l’a vu dans les deux billets précédents, les risques de récession mondiale sont très élevés alors que la locomotive économique étatsunienne est virtuellement en panne pour quelques années. Mais le pire, c’est que les décideurs politiques ont abdiqué à leur responsabilité, comme le souligne Paul Krugman sur son blogue.
Avec des taux d’intérêt presque nuls, voire négatifs pour certains pays, et des finances publiques moins saines qu’elles ne pouvaient l’être en 2008, lorsqu’il aurait été temps d’agir avec détermination, les politiques économiques de relance pour éviter (quoiqu’il soit déjà trop tard) ou pour sortir de la crise devront agir sur plusieurs niveaux d’intervention. Il n’y a pas d’autres issues que celle de revenir à une politique de gauche, ou de centre-gauche, qui sera en mesure de réguler les marchés et de redonner aux États les moyens d’agir. Ce programme de relance est en bonne partie contenu dans celui du nouveau président socialiste de la France, que j’avais présenté dans un billet d’OikosBlogue : une profonde réforme de la fiscalité (avec la création d’une nouvelle tranche pour les revenus supérieurs à 150 000 euros) et une nouvelle régulation de la finance spéculative reposant sur la séparation des activités banque de détail et de banque d’affaires, une augmentation de 15% de la taxation des bénéfices des banques, la suppression des produits financiers toxiques et des stock-options (sauf pour les start-up) et leur interdiction d’exercer dans les paradis fiscaux ! Une première série de geste a été posée dans ce dernier domaine et devrait rapportée environ un milliard d’euros par an à l’Etat.
Il faut souligner ici que le retour à une fiscalité plus progressive est en train de s’imposer assez largement. Par exemple, en juin dernier, l’OCDE s’est invitée sur la scène politique étatsunienne en plaidant pour une réforme de la fiscalité (taxation des plus haut revenus selon la ‘règle Buffet’) et en recommandant d’éliminer certaines niches fiscales dédiées aux plus aisés sur les intérêts de prêts immobiliers et sur les polices d’assurance santé. Elle suggère également de réduire les crédits d’impôts dont bénéficient les entreprises quand elles empruntent pour investir. L’OCDE a aussi salué l’initiative démocrate d’inclure dans le projet de budget pour 2013 des propositions pour la formation professionnelle, ainsi que les efforts faits par le gouvernement pour combattre les foreclosures (expulsions massives de propriétaires insolvables).
Dans le domaine de l’emploi, la présidence socialiste veut en renchérir le coût dans le cas des entreprises qui procèdent à des mises à pied alors qu’elles continuent à verser des dividendes, donner un coup d’arrêt à l’application mécanique du non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux et ouvrir une démarche de concertation avec les organisations syndicales. C’est l’exact contraire des politiques de rigueur qui sont actuellement mises en œuvre ailleurs. Mais le plus important, pour la relance de l’économie, c’est sa volonté de lancer la transition vers l’économie verte. Par exemple, un plan de travaux d’isolation thermique visant un million de logements par an devrait être lancé et le candidat socialiste s’engage à développer (pendant son quinquennat) l’offre de logements abordables par la construction de 2,5 millions de logements. Enfin François Hollande veut réduire la part du nucléaire dans la production d’électricité de 75 à 50 % « à l’horizon 2025 », ce qui implique un vaste plan de développement des énergies vertes.
Ce n’est finalement rien d’autre que réclame le mouvement syndical. La Confédération syndicale internationale (CSI) réclame des pays du G20 un plan d’action visant à créer des emplois de qualité, des emplois verts et des emplois destinés aux jeunes. Sharan Burrow, la nouvelle secrétaire générale de la CSI, a déclaré que « les inégalités sont maintenant reconnues par l’OCDE et l’OIT comme une entrave à la croissance durable ; d’où la nécessité de la protection sociale, d’un salaire minimum qui permette vraiment aux travailleurs de vivre, et d’une négociation collective robuste capable de changer les choses ».
Reste que le financement de toutes ces politiques représente le principal écueil devant lequel la plupart des dirigeants baissent les bras. La solution : la renationalisation de la dette ou le détournement d’une partie de l’épargne nationale vers le développement national plutôt que vers les placements spéculatifs. Même la droite républicaine française commence à reconnaître les avantages de cette idée, puisqu’elle diminue d’une part l’exposition de la dette nationale à la spéculation financière internationale, et qu’elle offre d’autre part aux épargnants un outil d’épargne qui a le double avantage d’être sécuritaire et de contribuer au développement de l’économie nationale. C’est également ce que pensent les membres du Laboratoire européen d’anticipation politique (LEAP) qui, dans l’une de leur lettre publique, estiment que le financement d’un programme commun d’investissements publics (infrastructures communes dans le domaine des transports, de l’éducation, de la formation, de la santé, de la science et de la technologie, etc.) devrait déclencher l’un des grands débats des prochaines années sur le recours à l’emprunt direct auprès des citoyens, court-circuitant ainsi les banques et le financement sur les marchés financiers.
Devant l’échec patent des politiques de rigueur de la droite (et devant les risques de la montée de l’extrême-droite), on ne peut que souhaiter la victoire d’une gauche européenne renouvelée, en particulier d’une coalition rouge/verte en Allemagne, pour redonner une direction claire sur les politiques de sortie de crise.
Simplement pour mentionner que la chronique de Paul Krugman que vous citez est accessible en français à:
http://www.rtbf.be/info/chroniques/chronique_le-grand-renoncement-paul-krugman?id=7794260&chroniqueurId=5032403.