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Le samedi 23 avril 2022

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Le pouvoir de nos épargnes (2) : construire de nouvelles institutions financières

On a vu dans mon billet de la semaine dernière que les pratiques du placement socialement responsable représentent le volet le mieux connu de la FSR, celui en tout cas dont on entend le plus souvent parler. J’y ai fait ressortir qu’au-delà des actifs gigantesques qui sont supposément gérés de façon responsable, on trouve quelques institutions financières qui réussissent à marquer les pratiques financières et les comportements des entreprises de manière significative. Dans le présent billet je vais maintenant aborder l’autre grande catégorie du mouvement de la FSR, dont le rôle est profondément différent.

Commençons par une précision sémantique. Une profusion de concepts sont utilisés pour décrire les pratiques de cette finance en émergence : certains parlent de fonds « éthiques », d’autres d’« investissements socialement responsables », voire « soutenables ». Même dans la langue anglaise, où le concept de Socially Responsible Investment (SRI) est indéniablement dominant, on remarque une telle diversité sémantique. Les membres québécois de l’équipe de recherche sur ce mouvement ont préféré utiliser le concept de finance socialement responsable à tous les autres, parce qu’il permet de distinguer deux grands catégories de pratiques de ce mouvement : les pratiques de placement (sur les marchés financiers) et celles d’investissement (l’intervention financière directe en entreprise). L’investissement socialement responsable (tel que nous le concevons ici) comprend lui-même deux principales composantes : la finance solidaire et le capital de développement (aller voir la documentation de CAP finance, le Réseau de la finance solidaire et responsable). Ces pratiques se distinguent fondamentalement de celles du placement par le fait qu’elles sont engagées par des institutions financières plus petites (nous ne parlons plus ici de géants gérant des centaines de milliards $) et qu’elles sont actives directement auprès des entreprises.

Au contraire des pratiques des acteurs du placement responsable, qui doivent agir de l’extérieur pour influencer la gouvernance des entreprises, les institutions de la finance solidaire et du capital de développement sont en relation directe avec les entreprises (elles agissent parfois directement au CA des entreprises), elles participent à des initiatives de développement économique qui ont des impacts concrets plus durables pour leur communauté ou leur secteur d’activité. Avec ces acteurs de la FSR, un pas supplémentaire est fait dans la construction d’un nouveau modèle de développement : ces pratiques d’investissement responsable créent de nouvelles règles et les institutionnalisent à l’intérieur d’institutions financières davantage contrôlées par la communauté, qui créent de nouveaux liens sociaux avec l’argent, avec l’accumulation du capital. Au Québec, plus particulièrement, on peut dire que le mouvement syndical et celui de l’économie sociale ont innové socialement en adoptant de nouvelles formes d’intervention économique, avec des initiatives qui allaient au-delà de leurs pratiques traditionnelles, pour créer de nouvelles institutions financières.

Dans le cas du capital de développement, les deux fonds de travailleurs sont des réussites. Ils ont transformé l’industrie de la finance au Québec. Ils ont été parmi les pionniers du capital de risque, qu’ils ont élargi à d’autres secteurs que ceux des hautes technologies et à d’autres critères de choix que le seul rendement financier maximal. Ils ont favorisé l’émergence d’un nouveau style de gestion, avec un mode de gouvernance plus transparent qui tient compte des autres parties prenantes. Ils ont contribué à la constitution de divers réseaux au niveau des secteurs d’activité ou des territoires. Bref, ils ont été les promoteurs actifs d’une grande diversité d’innovations organisationnelles.

La finance solidaire, pour sa part, continue aujourd’hui à innover et à trouver les moyens pour répondre aux besoins socioéconomiques auxquels les institutions traditionnelles ne peuvent répondre. On retrouve dans la finance solidaire un spectre qui va du microcrédit (ou fonds communautaires) jusqu’aux ‘banques de l’économie sociale’. Aux États-Unis et en Grande-Bretagne, on utilise la notion de Community Investment et les institutions financières qui se spécialisent dans ce domaine sont des Community Development Financial Institutions (CDFI), alors qu’en Europe continentale la notion de finance solidaire est assez commune. Au Québec, la finance solidaire désigne le financement du développement économique communautaire et des entreprises d’économie sociale. Gouvernée par les acteurs du milieu, elle prend la forme de prêts à intérêt avec ou sans garanties, mais elle passe aussi par la reconstruction du capital social des communautés. Par exemple, la Caisse d’économie solidaire, que je connais bien pour en être membre depuis plusieurs années, dépasse maintenant un actif d’un milliard $ en gestion et est active auprès de 2 824 entreprises socialement engagées dans ses quatre réseaux porteurs d’actions syndicales, coopératives, culturelles et associatives/citoyennes.

La composante de l’investissement responsable (finance solidaire et capital de développement) est ce qu’il y a de plus innovateur dans le mouvement de la FSR. En termes d’actifs, elle ne représente qu’une fraction (néanmoins significative) de la FSR; mais en termes de ‘valeur’, elle constitue l’alternative la plus conséquente à la finance spéculative.

Nous avons vu dans les deux premiers billets de cette série ce que représentent les deux grandes composantes du mouvement de la finance responsable (placement et investissement). Dans un prochain et dernier billet, nous allons aborder les enjeux actuels et futurs de ce mouvement.

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