Je suis depuis longtemps favorable aux mouvements (qui se recoupent en partie) de la responsabilité sociale des entreprises (RSE) et de la finance socialement responsable (FSR). Lorsque j’étais économiste à Fondaction, j’ai écris plusieurs textes argumentaires sur ce thème et j’ai participé à la création de CAP finance, le Réseau de la finance solidaire et responsable. Sur OikosBlogue on retrouve d’ailleurs mon intérêt sur la question dans les billets plus ou moins réguliers portant sur les nouvelles de la finance responsable (voir le plus récent en cliquant ici). Je désire dans cette série de trois billets faire le point sur l’importance de l’impact que nous pouvons avoir grâce à un plus grand contrôle sur l’utilisation de notre épargne dans une perspective de responsabilité sociale élargie.
Il faut d’abord identifier deux grandes catégories de pratiques de la finance responsable (pour plus de détails on peut consulter le Portrait 2010 de la FSR). La première, celle dont on entend le plus souvent parler et qu’on dénomme faussement d’investissement responsable, comprend essentiellement les épargnes en placement financier, principalement celle pour la retraite. Cette épargne est détenue par des fonds de placement collectif ou par des caisses de retraite (soit par les investisseurs institutionnels) et elle se retrouve généralement sous formes de placements sur les marchés financiers. C’est la raison pour laquelle nous préférons appeler les actifs de cette catégorie, gérés de façon responsable, comme étant ceux du placement responsable. C’est la catégorie la plus importante de la FSR, avec des actifs de plusieurs centaines, voire plusieurs milliers de milliards $ en actif. Aux États-Unis, elle représenterait autour de 10% des actifs totaux sous gestion alors qu’au Canada et en Europe on l’évalue à près de 20%. Mais il faut bien comprendre que c’est aussi la catégorie dont la composante « responsable » est parfois la plus faible, parce qu’elle se limite trop souvent à des fonds utilisant des critères de tamisage pour éliminer les placements dans des secteurs jugés éthiquement questionnables (jeux, alcool, armement) ou des critères du ‘meilleur du secteur’ pour choisir les entreprises les plus actives dans la gestion des enjeux sociaux et environnementaux. Avec parfois des choix assez questionnables. Par exemple, on inclut dans les placements responsables tous les actifs d’une institution financière qui a une politique de placement responsable alors que dans les faits l’application de cette politique est plus ou moins vérifiable (p.e. la Caisse de dépôt).
Mais ce sont sans doute avec les fonds utilisant les principes de l’engagement corporatif (que d’autres appellent l’activisme actionnarial) qu’on a pu voir les impacts les plus intéressants de cette finance responsable. Le mouvement syndical a été le fer de lance de ce mouvement voir mon texte écrit avec Daniel Simard sur le sujet (Faire du capital un outil au service du travail : un point de vue syndical de la finance responsable). Trop longtemps désintéressés par les conséquences extra-financières de la gestion de leurs actifs de retraite, les fiduciaires syndicaux présents sur les comités de retraite ont graduellement expérimenté de nouvelles manières d’exercer leur rôle d’actionnaire d’entreprises publiques (i.e. dont l’actionnariat est public). Ils ont constaté qu’ils pouvaient ainsi influencer le processus de mondialisation dans le sens d’un développement plus durable, en particulier en faisait respecter par les entreprises les droits humains et sociaux des travailleurs et des communautés (voir ici pour des exemples récents, dont la campagne contre les pratiques de WallMart). D’autres acteurs ont aussi été particulièrement actifs dans ces campagnes d’actionnaires. Par exemple, les communautés religieuses québécoises, à travers leur Regroupement pour la responsabilité sociale des entreprises (RRSE), ont souvent collaboré avec Bâtirente, un fonds de retraite créé par la CSN dans les années 1980, dans des campagnes conjointes sur des enjeux de droits sociaux (Talisman, Barrick Gold) et de développement durable (Alcan, Métro).
En somme, il faut voir qu’au-delà des actifs gigantesques qui sont supposément gérés de façon responsable, on trouve des acteurs qui réussissent à marquer les pratiques financières et les comportements des entreprises de manière significative. Ces pratiques de placement responsable restent minoritaires, soit, mais elles ne sont pas négligeables. Elles construisent patiemment de nouvelles conventions sociales des épargnants (en particulier chez les acteurs collectifs) quant à l’utilisation de leurs épargnes. Ces pratiques ont graduellement débouché sur de nouvelles règles sociales qui s’imposent de plus en plus sur les marchés financiers, bien qu’elles n’aient pas encore réussi à en modifier les fondements.
Dans un deuxième texte, je vais m’étendre plus spécifiquement sur la deuxième grande catégorie de la finance responsable : celle qui regroupe la finance solidaire et le capital de développement.
[...] On a vu dans mon billet de la semaine dernière que les pratiques du placement socialement responsable représentent le volet le mieux connu de la FSR, celui en tout cas dont on entend le plus souvent parler. J’y ai fait ressortir qu’au-delà des actifs gigantesques qui sont supposément gérés de façon responsable, on trouve quelques institutions financières qui réussissent à marquer les pratiques financières et les comportements des entreprises de manière significative. Dans le présent billet je vais maintenant aborder l’autre grande catégorie du mouvement de la FSR, dont le rôle est profondément différent. [...]