Dans un premier billet sur le Sommet international des coopératives, j’introduisais en quelque sorte une première mise en perspective de cette initiative fort à propos du mouvement Desjardins et de l’Alliance coopérative internationale. Aujourd’hui, dans ce deuxième billet de trois, je tente de mettre en relief l’urgence d’une parole publique exprimée face aux multinationales dont les lobbies n’ont de cesse ne nous faire valoir les mérites de l’initiative économique sans la solidarité. Une partie du mouvement coopératif, depuis la crise de 2008 et à cause d’elle, prend de plus en plus ses distances. Ce courant marquera probablement ce sommet. De quoi ce courant est-il fait et de qui est-il composé ?
En économie, la pensée qui règne est le tout au marché. Il est urgent disent enfin des dirigeants du mouvement coopératif et des chercheurs près de ce mouvement qu’une autre parole publique s’exprime car il est de plus en plus démontré que le modèle économique dominant ne peut concilier création de richesse et équité tant à l’échelle locale qu’internationale. Une deuxième chose prend également forme : il est de plus en plus clair que le modèle actuel est incapable de concilier la création de richesse avec la survie de la planète. Tous soulignent à leur manière les limites et les aspects pernicieux du modèle actuel. Tous réfléchissent ouvertement sur les lignes de force d’un «nouveau modèle de développement» et sur des pistes de sortie de la crise actuelle qui, à la différence de celle des années 30, est tout à la fois économique et écologique. Des dirigeants d’organisations coopératives et mutualistes comme Felice Scalvini (vice-président de l’Alliance coopérative internationale), Enzo Pezzini (du réseau européen des coopératives de travail), Thierry Jeantet, Hugues Sibille et Gérald Larose (des Rencontres du Mont-Blanc) de même que bien d’autres prennent leurs distances du modèle actuel. Des congrès et des conférences de portée internationale se démarquent : le congrès international de l’ACI en 2009 à Genève sur la question du changement climatique; la conférence internationale de Lévis en 2010 sur le projet de société du mouvement; les Rencontres du Mont-Blanc de 2011 à Chamonix et ses visées en matière de transition écologique; le Sommet international des coopératives à Québec en 2012. Sans compter un retournement de situation dans la recherche en sciences économiques et sociales et chez des journalistes de renom qui redécouvrent les «vertus» d’une économie coopérative, sociale et solidaire porteuse d’un projet politique pour aujourd’hui (Draperi, 2011; Lipietz 2012; Petrella 2012 et 2007; Favreau et Molina 2011; Gadrey, 2010; Brunel, 2010; Kempf, 2009 et Lisée 2009; le numéro de juin de la revue Vie économique, etc.)
Au Québec, c’est Felice Scalvini, vice-président de l’Alliance coopérative internationale (ACI) qui a lancé le débat en 2010 à Lévis en affirmant qu’il fallait « revenir au développement d’une pluralité de formes entrepreneuriales car la prévalence d’une forme unique d’entreprise assèche les sources dont elle tirait sa propre subsistance, de la même manière que les monocultures épuisent les sols sur lesquels elles poussaient »….
De plus, le mouvement coopératif international n’est pas seul à bouger dans cette direction. D’autres mouvements et institutions sont à la recherche d’un «nouveau modèle de développement» ou, autrement dit, d’alternatives globales : le mouvement des travailleurs (syndicats), les organisations paysannes, le mouvement des femmes, le mouvement citoyen international émergent (le FSM). Mais presque tous conviennent que nous sommes dans une phase exploratoire et que les pistes de sortie de crise qui surgissent ici et là ne font pas encore l’unanimité. Ce qui n’empêche pas les coopératives et les mutuelles d’affirmer plus nettement qu’elles font partie des alternatives – actuelles et potentielles – à la crise. De même, plusieurs affirment qu’une réponse uniquement économique, même engagée dans un développement durable, ne suffira pas. La réponse doit être une réponse de mouvement, pas seulement d’entreprises, et être adossée à une action politique pour influencer les pouvoirs publics et les institutions internationales dans la direction d’une transition vers une économie durable. Bref, il semble qu’il y ait une vie hors de l’économie capitaliste de marché.
En fait, historiquement, la fonction économique des coopératives et des mutuelles a toujours été adossée à une fonction sociopolitique de bougie d’allumage sur des questions de société. Nous ne parlons pas ici d’action politique partisane, mais bien de peser sur les politiques publiques autour d’enjeux de société qui dépassent le lobby classique auprès des pouvoirs publics pour avoir une législation facilitante pour les coopératives. Or dans les deux dernières décennies, même cette fonction sociopolitique minimale, centrée sur la collaboration discrète avec les pouvoirs publics, est devenue une collaboration à sens unique tant les groupes de pression (lobbies) des multinationales sont devenus puissants et influents auprès des gouvernements et des institutions internationales.
Aujourd’hui, le mouvement coopératif s’explique encore mal son peu de reconnaissance sociale…Mais il y a une explication autre que le manque de visibilité dans les médias, argument généralement évoqué. D’abord, il y a la pression d’une pensée économique où domine le «tout au marché». Ensuite, cette pensée est adossée à la pression de puissants lobbies dont le rôle est plus déterminant aujourd’hui pour influencer les pouvoirs publics et les institutions internationales. Car on a assisté dans nos sociétés démocratiques depuis deux décennies à la montée d’une généralisation des activités d’influence où prévaut le lobbying de groupes dits d’intérêt. Or le mouvement coopératif a sous-estimé ce type d’activité pendant que d’autres en faisaient une priorité. Par ailleurs, ce serait se mentir à soi-même que d’expliquer cette situation par le seul poids de facteurs externes. Il y a également, à l’interne, une faible capacité à prendre une parole collective forte en s’organisant pour «faire mouvement» comme le dit si bien le vice-président du Crédit coopératif français, Hugues Sibille ou Enzo Pezzini du mouvement coopératif italien (Revue vie économique, juin 2012).
Faire mouvement, voilà la grande question, car les coopératives et les mutuelles évoluent la plupart du temps en rangs dispersés ou à tout le moins de façon trop décentralisée tant sur le terrain économique que sur le plan politique… C’est pourquoi aujourd’hui, à la faveur de la crise, une partie du mouvement coopératif est plus soucieux de croiser la création de richesse avec la justice sociale même quand les coopératives deviennent de grandes entreprises : oui, disent des dirigeants, il est possible que les valeurs coopératives ne soient pas émoussées par ses réussites économiques ; oui des coopératives désencastrées de l’économie capitaliste de marché, c’est possible parce qu’on ne tolère plus les magistrales dérives du modèle économique dominant et la trop faible distribution sociale de la richesse qui l’accompagne sans compter cette montée lancinante d’une forte menace sur les écosystèmes. Bref, on prend de plus en plus acte de l’urgence écologique et on affirme plus ouvertement sa volonté d’intervenir dans l’espace public…. Le Sommet de Québec nous dira si ce courant traverse de plus en plus les esprits. Pour en savoir plus, on va sur le blogue de la CRDC (à l’UQO) pour mon billet du mois d’octobre. Le 3e billet de cette série sortira une semaine ou deux après l’événement.
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