L’auteur invité est Jean Gadrey, professeur émérite d’économie à l’Université Lille 1.
Les « grands » éditorialistes et commentateurs des « grands » médias, tous les croissancistes et les industrialistes, se déchainent depuis des mois : si la France se refuse à l’exploitation des gaz de schiste, c’est la cata : dépendance énergétique suicidaire, isolement dans le concert des nations modernes (dont les Etats-Unis, la modernité faite Etat), hausse inéluctable des coûts de l’énergie, coup de frein à la croissance et au « redressement productif ». Décidément, une fois de plus, les « écolos » sont les ennemis du progrès.
Pour leur malchance, ces élites éclairées (et pas à la bougie) ne semblent pas avoir gagné l’opinion à leur cause, en dépit de leur puissance de feu médiatique. Les sondages leur sont très défavorables : selon un sondage Ifop (2000 personnes sondées) pour Le Monde réalisé fin août, 74% de ceux qui connaissent le gaz de schiste y sont opposés. Dur de défendre la modernité éclairée avec un peuple aussi rétrograde, qui, dans le passé, a déjà amplement prouvé son hostilité au progrès en votant NON au projet de TCE. Voici un commentaire de ce sondage par les sondeurs :
« Qui l’eût cru ? 84 % des Français ont “déjà entendu parler du gaz de schiste”, sujet pour le moins technique et industriel, et 44 % disent savoir “de quoi il s’agit”. Parmi eux, 74 % sont opposés à l’exploitation de ces hydrocarbures non conventionnels.
Sans surprise, ceux qui sont proches politiquement d’Europe Ecologie-Les Verts sont 97 % à ne pas vouloir du gaz de schiste en France. Mais même à droite – 55 % pour les sympathisants UMP et 71 % pour le FN –, c’est le “non” qui l’emporte.
Qu’est-ce qui justifie une telle mobilisation ? “Les aspects négatifs de l’exploitation du gaz de schiste prennent largement le pas sur ce qui pourrait apparaître comme un plus”, analyse M. Fourquet. Les sondés craignent en majorité les risques environnementaux réels ou présumés associés à leur extraction du sous-sol : “la consommation de très grandes quantités d’eau” (94 %) ; “la pollution des nappes phréatiques” (88 %). En clair, pour eux, l’exploitation du gaz de schiste est “une technique que l’on maîtrise mal” (86 %). » Fin de commentaire.
Soit, mais qu’en est-il de cet argument : la France va s’isoler ? A l’occasion de LA JOURNEE MONDIALE DE MOBILISATION CONTRE LA « FRACTURE HYDRAULIQUE », du 22 septembre, un bon bilan international a été effectué par mon ami Maximes Combes. Voici le lien vers le texte complet.
Je me contente de vous reproduire les titres des exemples cités et explicités de pays où ça bouge, au point d’obtenir l’interdiction ou des mesures allant en ce sens. Je n’ai reproduit que l’analyse du cas américain, vu son importance dans ce débat.
Le miracle énergétique n’a pas eu lieu en Roumanie…
… ni en République Tchèque
Désillusions en Pologne
Arrêt de l’exploration en Suède et en Autriche
L’Allemagne craint la contamination des nappes phréatiques
Danemark, Pays-Bas, Espagne, Irlande, Suisse : garanties sans fracking ?
Les secousses sismiques suspendent les projets d’extraction du Royaume-Uni
Revers en Afrique du Sud et en Argentine
La contestation grandit en Nouvelle-Zélande et en Australie
Le Québec, vers un moratoire ad vitam aeternam ?
Les langues se délient aux Etats-Unis
Aux Etats-Unis, un million de puits ont été forés et deux millions de fracturations hydrauliques réalisées. Pourtant la situation est bien plus contrastée qu’on ne l’imagine. A ce jour, selon l’organisation Food & Water Watch, plus de 270 communes des Etats-Unis ont pris des mesures face à la fracturation hydraulique. Les Etats du New Jersey et de New York ont adopté un moratoire tandis que l’Etat du Vermont l’a interdite.
Par ailleurs, et ce dans l’attente de la publication d’ici la fin de l’année des premiers résultats d’une étude très attendue sur l’impact du gaz de schiste sur les eaux souterraines, l’Agence de protection de l’environnement (EPA) a timidement commencé à encadrer les activités des compagnies gazières, reconnaissant par là même qu’il y avait un problème. Le tout a permis de briser un tabou et de délier les langues. Même l’économiste Paul Krugman y est allé de son édito critique, considérant que le boom des pétroles et des gaz de schiste aux Etats-Unis était trompeur sur le plan économique, ne créant guère d’emplois, se développant au détriment de l’environnement et remplissant les poches de quelques gros industriels.
CONCLUSION : « Il existe un mouvement citoyen mondial contre la fracturation hydraulique »
« Loin de l’apathie généralisée qui peut coller à la peau de l’Américain, nombre de groupes locaux et organisations sont aujourd’hui mobilisées aux Etats-Unis contre les gaz et pétrole de schiste. S’appuyant sur les travaux de Josh Fox (Gasland et The sky is pink) ou sur leur propre expérience des conséquences locales de l’extraction des pétroles et gaz de schiste, ils multiplient les initiatives visant à interpeller l’opinion publique et les décideurs. La journée internationale d’actions du 22 septembre en est l’exemple même. Ce sont des dizaines d’actions qui vont se dérouler aux quatre coins des Etats-Unis, de la Pennsylvanie à la Californie en passant même par le Texas.
A l’image des Etats-Unis, cette journée mondiale d’actions n’est rien de moins que la mise en évidence qu’il existe un mouvement citoyen mondial contre la fracturation hydraulique, contre les gaz et pétrole de schiste. Certes, un mouvement international avec des vides puisque la Chine, l’Algérie ou la Tunisie ne seront pas de la partie. Néanmoins les 150 actions prévues dans près de 20 pays (Canada, Etats-Unis, Mexique, Argentine, Afrique du Sud, France, Espagne, Irlande, Royaume-Uni, Belgique, Pays-Bas, Allemagne, République Tchèque, Bulgarie, Roumanie, Australie…) illustre le caractère mondial de l’opposition à ces projets dévastateurs et, face à l’offensive sur le terrain et dans les médias des industries pétrolières et gazières. »
On peut lire le texte original, on va sur le blogue de l’auteur.
[...] semaine dernière j’ai publié un billet du chercheur français bien connu des lecteurs d’OikosBlogue, Jean Gadrey. J’avais apprécié ce billet puisqu’il faisait un survol intéressant du mouvement [...]