La semaine dernière j’ai publié un billet du chercheur français bien connu des lecteurs d’OikosBlogue, Jean Gadrey. J’avais apprécié ce billet puisqu’il faisait un survol intéressant du mouvement d’opposition à l’exploitation des gaz de schiste par la méthode de la fracturation. Puisque j’avais accumulé quelques références sur ces enjeux, ça m’a donné l’idée de compléter ce survol de Jean Gadrey par une série de trois billets sur le sujet.
En France, le président François Hollande a été aussi clair et direct que le gouvernement Marois dans sa volonté de mettre un frein au développement de la filière des gaz de schiste. Récemment, il annonçait le rejet de sept demandes de permis d’exploration de gaz de schiste formulées par les principaux acteurs de l’industrie, dont le géant Total. François Hollande a dit fonder sa décision sur les inquiétudes manifestées par les communautés dans les régions visées par les projets de fracturation plutôt que par les « arguments économiques » de l’industrie.
« Dans l’état actuel de nos connaissances, personne ne peut affirmer que l’exploitation des gaz et huiles de schiste par fracturation hydraulique, seule technique aujourd’hui connue, est exempte de risques lourds pour la santé et l’environnement », a évoqué François Hollande lors d’une conférence environnementale tenue à Paris.
L’industrie ne semble cependant pas en tirer les conclusions qui s’imposent. La bataille serait entrée dans une nouvelle phase en s’insinuant dans les lignes éditoriales des médias. On voit maintenant des éditorialistes chanter les bienfaits de l’extraction des gaz de schiste, en termes d’emplois, de croissance et d’indépendance énergétique. Sous ces plumes commanditées, les risques environnementaux apparaissent soudainement négligeables. Un journaliste de Rue89 qui a mené une enquête sur les gaz de schiste aux États-Unis prend à témoin un reportage du journal Le Monde (reportage financé par la pétrolière Total sans que cela soit révélé aux lecteurs), qui l’amène à contester ces conclusions et à livrer une autre version des faits, beaucoup plus fidèle à la réalité.
Cette bataille des pétrolières a par ailleurs menée à une confrontation entre la ministre de l’Écologie, Corinne Lepage et l’Amicale des foreurs et des métiers du pétrole (AFMP) qui avait fait passer dans les médias une lettre ouverte qui lui était adressée. « Ce que vous affirmez est un tissu de contre vérités, » affirme la ministre dans une lettre, dont on peut lire la version intégrale ici. Elle conclut sa lettre ainsi :
« Certes, une partie du monde économique européen et français fantasme sur une croissance tirée par l’exploitation des gaz de schiste. Un tel choix serait dramatiquement court-termiste. Même en admettant qu’il accorde quelques mois, voire quelques années d’énergie bon marché, les coûts externes immenses pour la santé et l’environnement supportés par tous, le retard dans l’émergence d’une industrie puissante et leader dans les énergies renouvelables de toutes natures, la destruction irréversible de nos territoires densifiés pour les uns, protégés pour les autres, feraient perdre à l’économie européenne un temps précieux et constitueraient une régression massive de toutes les politiques engagées depuis 30 ans. »
Or justement cette volonté française n’est pas partagée par l’ensemble de la communauté européenne. Par exemple, la Pologne qui veut à n’importe quel prix se libérer de la dépendance russe pour son gaz (le pays consomme environ 14 milliards de mètres cubes de gaz par an, dont les 2/3 sont importés de la Russie), a annoncé qu’elle allait consacrer 1,2 milliard d’euros au développement du gaz de schiste sur son territoire pendant les deux prochaines années. D’ici 2020, les investissements se chiffreraient à 12,5 milliards d’euros. Selon les estimations récentes, le pays posséderait des gisements exploitables évalués à 1 920 milliards de mètres cubes, plaçant la Pologne au troisième rang des pays européens les plus riche en gaz, derrière la Norvège et les Pays-Bas.
Mais on peut prévoir que les controverses sur la méthode d’extraction ne manqueront pas de gagner le pays, et l’Union européenne par le fait même. Pour prévenir ces controverses, les députés européens ont récemment approuvé une résolution de la Commission de l’industrie et de l’énergie en faveur de « régimes de réglementation solides » au niveau national [note : dans l’UE, les commissions sont l’équivalent des ministères]. Les États membres devraient disposer de règles solides sur toutes les activités liées au gaz de schiste, notamment sur la fracturation hydraulique. La Commission de l’environnement s’est de son côté prononcée sur une résolution distincte concernant les incidences sur l’environnement des gaz de schiste et des schistes bitumineux, notamment sur la transparence liée aux produits chimiques utilisés et les risques de contamination des eaux souterraines. C’est à suivre.
Dans le prochain billet on parlera de la grogne croissante des citoyens étatsuniens face au gaz de schiste.
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