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Le samedi 23 avril 2022

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La dette publique au Québec : (2) qu’ossa donne ?

Dans mon billet précédent j’ai montré, études du FMI à l’appui, que l’objectif de l’assainissement de la dette publique dans le contexte actuel ne doit ni être pris à la légère, ni devenir une obsession maladive. En voulant imposer une austérité à toute épreuve pour satisfaire les ‘marchés’, on risque d’obtenir le contraire de l’objectif désiré en provoquant un effondrement de l’activité économique qui ferait automatiquement augmenter l’endettement public, comme on le constate en Grèce et au Royaume-Uni. La semaine dernière on a vu que le problème des ‘austériens’ est, d’une part, de croire qu’il y a un seuil d’endettement qui, lorsqu’il est dépassé, provoque une catastrophe ; et, d’autre part, de ne pas tenir compte correctement du multiplicateur budgétaire pour évaluer les objectifs à atteindre.

Au Québec, on aurait pu penser que le gouvernement de Mme Marois aurait été plus pragmatique, sinon audacieux, dans l’élaboration de son premier budget. D’autant plus que le ministre fédéral des Finances avait lui-même décidé de repousser d’un an (donc en 2016-2017) son objectif de déficit zéro. Bien sûr, le ratio d’endettement du fédéral est beaucoup moins élevé que celui du Québec. Pourtant, on l’a vu dans mon billet de la semaine dernière, le ratio d’endettement n’est pas à prendre comme le seul et unique facteur sur lequel nous devons nous baser pour formuler nos objectifs. Malheureusement, dans le domaine des finances publiques, le PQ est maintenant devenu un obsédé du déficit zéro : pour ‘garder notre cote’, le Québec devrait se soumettre aveuglément aux firmes de notation comme si la parole de ces dernières étaient infaillibles.

Cette attitude du gouvernement Marois est tout à fait condamnable. Non, on ne peut pas laisser la dette augmenter ad vitam aeternam. Mais dans la conjoncture actuelle, où l’affaiblissement de l’activité économique mondiale se conjugue avec l’urgence absolue d’accélérer le virage de l’économie québécoise vers une reconversion écologique, l’augmentation momentanée du ratio d’endettement est un moindre mal. Et là-dessus, les Libéraux sont mal placés pour faire la leçon au PQ.

Les Libéraux mal placés pour faire la leçon

Il y a plusieurs raisons qui expliquent pourquoi le Québec s’est mieux sorti que la plupart des pays développés de la Grande Récession. Parmi elles, on trouve en bonne place le généreux programme de dépenses publiques dans les infrastructures, dépenses qui ont permis de soutenir l’activité économique dans ce moment difficile. Les Libéraux n’ont aucun mérite pour l’avoir fait : d’une part, l’effondrement du viaduc de la Concorde exigeait un redressement majeur des dépenses dans ce domaine; d’autre part, les amis du régime ne demandaient rien de mieux que cette nouvelle corne d’abondance !

Cependant, le résultat de ces dépenses libérales sur les finances publiques a été catastrophique. Je vais, ici, laisser la parole à Louis Duclos, ex-député libéral fédéral de Montmorency-Orléans (1974-1984) qui, dans Le Devoir du 22 novembre 2012, signait la lettre ouverte qui suit :

« Le rapport de la firme de consultants SECOR/KPMG intitulé Étude sur la gestion actuelle du Plan québécois des infrastructures et sur le processus de planification des projets, qui vient d’être rendu public, met en lumière l’improvisation et l’amateurisme qui ont marqué la gestion des finances publiques québécoises au cours des dernières années du gouvernement Charest. Selon ce rapport, une sous-évaluation de l’ordre de 14 milliards des coûts de projets majeurs d’infrastructures aura comme conséquences la mise en veilleuse de plusieurs projets de première nécessité du ministère de la Santé et des Services sociaux déjà annoncés par les libéraux. Cela étant dit, il faut vraiment avoir l’esprit tordu et être de mauvaise foi pour qualifier le président du Conseil du trésor, Stéphane Bédard, « d’inconscient » en matière de contrôle des dépenses publiques, et ce en évoquant le fait que « la carte de crédit est pleine », comme l’a fait récemment à l’Assemblée nationale le député de Louis-Hébert, Sam Hamad. On peut cependant se demander où était cet ex-ministre lorsque le gouvernement auquel il appartenait avait recours si allègrement à la fameuse carte de crédit, alors que la dette publique du Québec s’est alourdie de plus de 60 milliards au cours des neuf années pendant lesquelles son parti a exercé le pouvoir. Ce gouvernement aura d’ailleurs été délinquant jusqu’à la fin de son règne, puisqu’il lègue en héritage au gouvernement Marois un « trou budgétaire » dépassant 1,5 milliard pour l’exercice financier en cours.

« Quiconque a servi au sein d’un gouvernement dont le laxisme dans la gestion des finances publiques a contribué à une augmentation d’une ampleur sans précédent de la dette de l’État québécois (1/3 de la dette accumulée dans l’histoire du Québec est attribuable au gouvernement Charest) devrait être plus circonspect et plus réservé dans ses critiques d’un gouvernement qui tente désespérément de réparer les pots cassés par l’ancien régime. Ce ne sera pas d’ailleurs la première fois qu’un gouvernement du Parti québécois est confronté à un défi de cette nature puisque le gouvernement libéral défait aux élections de 1994 avait fait cadeau d’un déficit de près de 6 milliards de dollars au gouvernement nouvellement élu de Jacques Parizeau.

« À la lumière de tous ces chiffres, les prétentions des Bachand, Fournier, Hamad et autres voulant que les libéraux sont les champions en matière de finances publiques et d’économie sont plutôt risibles. De toute évidence, ils n’ont pas la crédibilité nécessaire pour faire la leçon au nouveau gouvernement à ce chapitre. »

Un État qui a besoin d’être renforcé

Je n’aurais pas mieux dit que M. Duclos. Selon certains, la corruption et le manque total de rigueur du gouvernement précédent auraient représenté une surfacturation de 11,3 milliards pour les contribuables québécois entre 2007 et 2012. Mais ce qu’il faut rajouter, c’est qu’en plus d’endetter le Québec, le gouvernement Charest a profondément sapé les capacités de l’État québécois à répondre efficacement aux besoins de la population québécoise. Les politiques de réingénierie et d’austérité des Libéraux ont débouché sur une entropie de la fonction publique québécoise, sur la perte de moyens et d’expertises de l’État pour assurer un suivi rigoureux des dépenses publiques. À ce sujet, je vous conseille fortement de lire les contributions de Benoît Lévesque et de Moktar Lamari dans le numéro le plus récent de la Revue vie économique.

Malheureusement, alors que la situation exigeait un renforcement de l’appareil de l’État, le budget de Nicolas Marceau va continuer le travail d’entropie – qui va maintenant être élargi aux sociétés d’État – avec ce que cela signifie de perte de capacité d’agir. Il aurait dû agir autrement. Une fraction significative de la dizaine de milliards $ de la surfacturation mentionnée plus haut n’ont eu aucun effet multiplicateur sur l’activité économique dans la mesure où, soit elles sont carrément sorties du circuit économique (détournement vers les circuits mafieux), soit directement engagées dans des dépenses ostentatoires (on fait ici exception de Monsieur TPS qui recyclait l’argent de la fraude vers Loto-Québec…). Donc, en principe, la baisse significative des dépenses en infrastructure décidée par le ministre Marceau n’est pas mauvaise en soi. Cette baisse devrait être largement compensée par une plus grande rigueur des dépenses (l’ajout de plusieurs ingénieurs au MTQ et une législation anti-collusion plus agressive), ce qui leur redonnera un effet multiplicateur budgétaire plus élevé. Là-dessus, nous n’avons rien à redire.

Par contre, si le ministre Marceau avait aussi repoussé d’un an la cible d’un budget équilibré, le gouvernement aurait pu s’assurer d’un plus grand effort de rigueur dans l’administration publique, en consolidant les postes et en améliorant certains services, comme celui de la lutte à l’évasion fiscale (celle vers les paradis fiscaux). Mais surtout, il aurait pu d’ores et déjà budgéter la volonté affichée par le gouvernement de s’engager dans une nouvelle politique industrielle. Comme le signalait récemment une journaliste du Devoir à une émission d’affaires publiques, il est difficile de voir comment ce gouvernement va réellement concrétiser ses intentions affichées d’être plus interventionniste dans le secteur manufacturier avec ce que nous avons vu jusqu’à maintenant de la vision ‘austère’ du ministre Marceau.

Ce budget aurait également dû passer par une réforme plus importante de la fiscalité, en particulier sur les dividendes et les gains en capital ainsi que sur les redevances minières. Je comprends tout à fait que le gouvernement a besoin d’un peu plus de temps pour formuler les éléments d’une vraie réforme de la fiscalité. Après seulement un peu plus de trois mois au pouvoir, je ne m’attendais pas à ce que tout soit en place pour ce budget prématuré. Néanmoins, il aurait pu annoncer une intention clairement exprimée de réforme globale qui aurait été au-delà de l’augmentation à dose homéopathique de l’imposition des plus riches et des banques et autres institutions financières annoncée dans le budget.

Nous aurons l’occasion d’en parler en 2013, mais on peut espérer que, parmi les réponses qui seront trouvées chez notre voisin pour éviter le précipice fiscal, la proposition Buffet d’augmenter la fiscalité des plus riches, et en particulier la fiscalité des revenus du capital, aura une place prépondérante. Dans cette perspective, nous aurions alors en main de nouveaux arguments pour une réforme de la fiscalité au Québec.

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