Un certain nombre d’OCI n’hésitent pas à «surfer» sur le misérabilisme et à aiguiser les émotions en lieu et place d’une éducation à la solidarité Nord-Sud et au développement durable et solidaire de communautés au Sud. Une minorité d’OCI cependant affichent une autonomie de vision et de pratique en s’appuyant sur des mouvements. Dans un contexte où les États sociaux, partout au Sud, sont à reconstruire, un travail plus structurant en matière de coopération internationale s’impose. Il consiste à faire de l’organisation dans des secteurs qui ont un impact sur les politiques de développement et avec des partenaires qui ne se laissent pas verrouiller dans un travail surtout technique et humanitaire. Car ce dernier ne remet en cause ni les paradigmes traditionnels de l’appui public au développement, ni les fondements des inégalités, ni l’urgence écologique.
Dans la situation actuelle de raréfaction des ressources dédiées à la coopération internationale et de changement majeur des politiques canadiennes en matière d’aide au développement, la tentation est grande pour certaines OCI de développer des stratégies de survie au prix d’un renoncement partiel ou total à leur identité fondatrice. Argumentant du resserrement du financement public, la marge d’innovation se restreint et les valeurs démocratiques, de justice sociale et de réponse à l’urgence écologique se perdent au nom du pragmatisme le plus plat. Avec le résultat que les organisations du Sud censées participer de cette coopération passent du statut de partenaire à celui de simple client. S’effacent alors les priorités que les organisations s’étaient données, littéralement déchaussées aujourd’hui par la nouvelle politique de coopération du gouvernement canadien. Certaines expériences se détachent cependant du lot, notamment du côté du mouvement coopératif (avec SOCODEVI voir en page d’accueil de la CRDC la version électronique d’un ouvrage récent sur cette organisation) et du côté du mouvement des agriculteurs (avec UPA-DI). Ce ne sont pas les seules mais je signale celles-ci que je connais bien à titre illustratif.
Que suggère par exemple l’expérience du mouvement agricole québécois dans les pays du Sud?
La mouvance de l’économie solidaire ne peut à elle seule inverser l’ordre des choses pour sortir de la triple crise que nous traversons. On doit non seulement compter sur la coopération internationale des ONG mais aussi sur celle des mouvements et sur les États les plus progressistes. Et pour faire bouger les États, il faut miser sur la mobilisation de mouvements bien organisés. Comme celui des paysans par exemple. Le tout dans la perspective d’ouvrir de grands chantiers prioritaires, autrement dit des initiatives de caractère stratégique. Un de ses chantiers est celui certainement celui de la relance de l’agriculture au Sud.
En premier lieu, l’expérience de l’économie solidaire et d’OCI comme UPA-DI indique que l’effort doit aller au renforcement des organisations paysannes existantes dont un grand nombre sont incapables présentement d’exercer un quelconque poids politique sur leur gouvernement respectif parce que trop peu organisés et relativement éloignés géographiquement des principaux centres de décision. Cela vaut aussi pour le développement coopératif. Autrement dit je récuse le «small is beautiful» ou «le travail à la base» comme réponse passe-partout (voir un billet de mon blogue à cet effet). C’est assez largement connu mais sous-estimé comme situation : les petits agriculteurs sont évincés des priorités, notamment en Afrique, lorsque vient le temps d’établir, au sein des institutions internationales ou dans leur pays respectif, des priorités budgétaires. D’où l’importance de la coopération internationale du Québec dans ce registre comme UPA-DI l’a entrepris depuis sa fondation en 1993. Non par le «basisme» mais par un travail simultané dans les communautés locales et auprès des pouvoirs publics (au plan national et international).
En deuxième lieu, il faut systématiquement favoriser l’organisation économique des organisations paysannes en milieu rural : des initiatives de commercialisation collective des produits de la terre pour sortir les agriculteurs de la simple autosubsistance familiale ou villageoise (dégager des surplus commercialisables) ; des initiatives pour permettre l’intégration au marché (des niches régionales ou même internationales) ; l’organisation de marchés locaux (échange des produits, création de banques de semences, points de ventes d’engrais, accès à l’eau potable, à l’électricité, à des moyens de transport appropriés, etc.). L’expérience d’un regroupement paysan sénégalais dans la région de Thiès que j’ai relaté dans un billet l’an dernier est très révélatrice à cet effet. C’est tout récemment que j’ai découvert que UPA-DI travaillait avec cette organisation depuis 10 ans.
En troisième lieu, protéger l’agriculture du Sud de la concurrence internationale, l’aider à reconquérir son marché intérieur et à faire avancer le principe d’une souveraineté alimentaire adossée à une stratégie qui met un holà aux importations agricoles. Le Réseau des organisations paysannes et des producteurs de l’Afrique de l’Ouest (ROPPA), appuyé par UPA-DI, va dans ce sens. Mais pour y arriver, il faut des politiques agricoles de la part des États qui aient des dents. L’influence des organisations paysannes et coopératives auprès des pouvoirs publics est et sera à ce titre déterminante.
La crise alimentaire n’est pas une question secondaire
La crise alimentaire est une question clé tant au plan social qu’au plan économique et écologique. La question qui tue, bien posée par le secrétaire général de l’UPA-DI, André Beaudoin: pourquoi des émeutes alimentaires un peu partout à travers le monde en 2008 ? En effet 37 pays ont été menacés de crise alimentaire cette année-là selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Un peu partout dans le monde, le prix de l’essence a monté en flèche et celui de certaines denrées alimentaires a explosé, notamment celui des céréales. Et pour nombre de pays du Sud, cela a été et sera encore pire en 2013 parce qu’aucune réforme de caractère internationale n’a été annoncée nulle part pour pallier à ce type de crise. Pourquoi cette crise est-elle si importante ?
D’abord parce que la crise alimentaire est le défi de nourrir le 7 milliards de personnes que nous sommes sur la planète. Et que cela va de pair avec la question énergétique et le réchauffement climatique. Des enjeux tout à la fois locaux et internationaux devenus majeurs aujourd’hui. Ensuite, on peut parler, dans ce secteur, de puissantes multinationales qui font la pluie et le beau temps. On ne peut leur laisser la responsabilité de nourrir la planète. De plus les principaux gouvernements des pays du Nord, États-Unis en tête, de même que la Chine et le Brésil au Sud ne font pratiquement rien pour modifier les choses.
C’est une menace pour de nombreux pays du Sud dont l’agriculture nationale a été orientée vers l’exportation mettant du coup à mal la diversité de leurs produits et la biodiversité de leurs terres, effets de la monoculture qui leur a été imposée. Menace aussi pour les agricultures nationales car la concentration autour de quelques pôles d’agriculture industrielle et le contrôle par les transformateurs et les grandes chaînes alimentaires risquent de s’accentuer. Menace également de la montée du prix du pétrole qui rend le transport des marchandises plus aléatoire. Menace écologique enfin sur l’irrigation des terres par défaut d’accès suffisant à l’eau. Autrement dit, derrière cette hausse des prix, des changements structurels dans la mauvaise direction sont en cours.
Tout cela tient au fait que l’agriculture et la filière alimentaire subissent, tendanciellement, le même traitement industriel et financier que les autres activités économiques : de grandes firmes multinationales pour assurer l’agrofourniture (Monsanto, Bunge, Sugenta, ADM, Dupont, etc,) ; de grandes firmes multinationales pour la transformation agroalimentaire (Nestlé, Coca-Cola, General Mills, Kraft Foods, Unilever, Smithfield Food, etc.) ; de grandes firmes multinationales pour la grande distribution de masse (Walmart, Carrefour, Tesco, etc.).Le tout dans un marché de plus en plus international mais avec peu ou pas de protections sociales pour les paysans comme pour les travailleurs de ce secteur.
Des propositions générales pour renouveler les politiques publiques
Dans sa Lettre aux chefs d’État et à leurs gouvernements, le Forum international des Rencontres du Mont-Blanc présent à Rio+20 faisait valoir deux nécessités en matière d’agriculture et d’alimentation : « 1) Il faut construire et mettre en œuvre des politiques de soutien à une «agriculture écologiquement intensive» et à un aménagement intégré des forêts qui s’arrimeraient aux organisations paysannes et aux coopératives agricoles et forestières qui innovent dans ces domaines (biomasse, reforestation…) (Proposition 16) ; 2) Il faut appuyer résolument, de concert avec les institutions internationales le droit des peuples à la souveraineté alimentaire en sortant l’agriculture et la forêt des règles internationales du «tout au marché» dont elles sont prisonnières. » (Proposition 17)
2013 et 2014 s’annoncent deux années fertiles pour la réflexion et la mobilisation sur l’agroalimentaire. L’ONU vient de déclarer l’année 2014 l’Année internationale de l’agriculture. Les organisations membres de Coalitions pour la souveraineté alimentaire un peu partout dans le monde sont en mode d’alerte générale. Plus près de nous, le 2e Sommet Desjardins/ACI risque fort de porter sur le thème de la sécurité alimentaire. Et le GESQ de son côté tiendra son Université d’été de mai 2013 sur le thème « Transformer l’agroalimentaire pour nourrir la planète ». Avis aux intéressés !
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