« Y en n’a pas de problème » nous dit en quelque sorte Jean-Philippe Meloche du CIRANO. Payé 41 000 $ par le ministre libéral Corbeil pour étudier [éluder?] la question, l’étude du CIRANO nous dit, comme on pouvait s’y attendre (voir mon billet de l’an dernier), qu’il n’y a pas de phénomène d’accaparement des terres agricoles et que le Québec n’a donc aucunement besoin d’une Société d’aménagement et de développement agricole du Québec (SADAQ) comme le propose l’IRÉC et l’Union des producteurs agricoles.
Pourtant, si l’étude avait été au-delà de la stricte « financiarisation » de l’agriculture (l’achat des terres par des fonds d’investissement pour spéculation), il me semble qu’ils auraient bien dû constater que la croissance du prix des terres est un fait alarmant pour les agriculteurs et pour la relève agricole. Au Québec, entre 1990 et 2011, la valeur des terres agricoles a fait un bond de 400 %. Les prix ont explosé de 17 % en 2012. La valeur moyenne d’une ferme québécoise se situe à 2 M$, dont la moitié pour le fonds de terre. Pour plus de 40 000$, on s’attendrait à une analyse plus exhaustive. Ça promet pour les 750 000 $ que les Libéraux ont accordés à ce think tank de droite pour « l’amélioration de la connaissance des enjeux liés à l’agriculture et à l’alimentation »…
La compétition pour l’achat des terres (donc l’accaparement) ne vient pas seulement des institutions financières. Il faut tenir compte de tous ces acheteurs qui ne sont pas des agriculteurs, mais qui sont en mesure de payer des prix qui n’ont pas de lien avec la valeur agronomique des terres parce qu’ils ont accès à du capital abondant, mais très mal rémunéré dans un contexte où les placements à faible risque sont à un bas historique. Dans ce contexte, l’achat de terres devient un bon investissement. D’autant plus payant sur le long terme que le nombre d’hectares disponibles est limité, voire en décroissance.
Un exemple : un riche et intriguant homme d’affaires ontarien, Peter Grant, qui désire acheter des terres au Témiscamingue pour alimenter son immense élévateur à grains. Ce producteur aux poches profondes qui possède le plus gros élévateur à grain et plantes oléagineuses du Témiscamingue ontarien aurait la réputation de payer le prix fort pour mettre la main sur des terres cultivables. Il est très actif dans son coin de pays où il offrirait de payer jusqu’à 55 % plus cher les terres qu’il convoite. Le résultat est une pression énorme sur le prix des terres de la région. Dans la vision ultralibérale du CIRANO, il s’agit là « d’une hausse stimulée par la confiance des agriculteurs qui veulent profiter d’une amélioration de leurs bénéfices nets pour prendre de l’expansion ». Mais d’un point de vue plus pragmatique, c’est bel et bien un exemple d’accaparement des terres qui remet en question la pérennité du modèle d’agriculture familiale que nous avons au Québec.
C’est pour protéger ce modèle qu’il faut préserver nos terres agricoles. Et, heureusement, nous pouvons conjuguer les besoins de rendement des épargnants québécois et les besoins en terres à prix abordable des agriculteurs québécois grâce à l’outil de la SADAQ proposée par l’IRÉC. C’est le message que livrait récemment l’économiste en chef de l’UPA, Charles-Félix Ross dans une conférence récente : « On aimerait qu’ils (la Caisse de dépôt et la Banque Nationale) investissent dans la SADAQ. Ce serait une façon de canaliser leurs efforts pour soutenir l’agriculture et permettre aux producteurs de continuer d’exercer leur métier d’agriculteur sur leurs terres. » Ce faisant, nos institutions financières pourraient agir de façon responsable (et tout simplement remplir sa mission dans le cas de la CDP) en soutenant des projets de relève agricole plutôt que de privilégier les investissements spéculatifs en agriculture.
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