L’auteur invité est Christian Chavagneux, journaliste au magazine Alternatives Economiques.
1ère partie : le billet du 7 février 2013 sur le blogue de l’auteur
Première historique : grâce au travail des députés PS et EELV, le nouvel article 4 bis du projet de loi de réforme bancaire instaure une obligation de transparence aux banques qui va permettre de commencer à remettre en cause leur présence dans les paradis fiscaux.¸
Toutes les enquêtes sur le sujet aboutissent à la même conclusion : les banques sont les entreprises françaises les plus présentes dans les paradis fiscaux et dans l’ensemble des banques BNP Paribas l’est plus que les autres.
Les dernières statistiques disponibles sont celles fournies dans un rapport rendu public en janvier dernier par le Conseil des prélèvements obligatoires. L’avantage de ce rapport est qu’il s’appuie sur des données permettant de prendre en compte les filiales de filiales des banques françaises installées dans les paradis fiscaux. Ainsi, BNPP, Société Générale et Crédit Agricole totalisent 575 filiales et filiales de filiales dans ces territoires dont 334 (58 % du total) pour la seule BNPP.
Les statistiques détaillées montrent que le Luxembourg (41 %) arrive largement en tête des destinations privilégiées des banques françaises dans les paradis fiscaux, suivi par l’Irlande, Hong Kong et la Suisse.
Le nouvel article 4bis du projet de réforme bancaire indique que à compter de l’exercice 2013 et pour publication à partir de 2014, les banques devront rendre public leur PNB (l’équivalent de leur chiffre d’affaires) et le nombre de personnes employés pays par pays, ainsi que la liste de leurs filiales.
Les députés n’ont malheureusement pas réussi à se mettre d’accord pour obliger les banques à fournir également le montant des profits réalisés et celui des impôts payés, ce qui aurait vraiment permis de mettre en évidence que certains territoires maximisent les profits sans employer pratiquement personne !
Les banques avaient fait passer le message que fournir leur chiffre d’affaires et leurs profits pays par pays révèleraient à leurs concurrentes où sont leurs centres de profits, attirant les autres banques sur leurs marchés rentables. Comme si la Société Générale allait subitement découvrir que le crédit à la consommation ou la banque de marché dans tel ou tel pays était profitable et qu’elle n’y avait jamais pensé ! En dépit de son irrecevabilité l’argument a porté du côté de Bercy, le ministère des Finances n’était pas prêt à entrer en guerre avec les banques sur le sujet et les députés PS n’ont pas insisté.
Il est vrai que ce qu’ils ont obtenu avec leurs collègues EELV très présents sur le sujet représentaient déjà une belle réussite ! Les banques vont en effet être obligées de justifier leur présence dans des territoires bizarres. Il leur faut être présentes aux Îles Caïmans car c’est là qu’est le marché du financement aéronautique mondial ? Parfait : mais que BNPP nous explique pourquoi elle a 24 filiales sur place quand ses 2 principales concurrentes françaises n’en ont que 2 ! On le verra en comparant les chiffres d’affaires.
Certes, la comptabilité pays par pays n’est pas la réponse à toutes les prises de risques effectuées par les banques dans les paradis fiscaux. Elle ne permet pas de régler le fait que le mariage banques / paradis financiers est porteur d’instabilité financière. On ne peut pas tout en attendre.
La discussion du projet de loi bancaire va démarrer en séance plénière le 12 février. Les banques risquent de se mobiliser d’ici là pour remettre en cause cette importante avancée. La majorité PS-EELV devrait tenir la barre pour une avancée incomplète mais importante.
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2ième partie : billet du 14 février 2013 sur le blogue de l’auteur
14 février, 1 H du matin, Assemblée : un vote historique pour sortir les banques des paradis fiscaux. J’y étais, récit.
Devant 4 parlementaires de droite qui auront tenté de repousser et de restreindre le projet jusqu’au bout, les députés de la majorité votent une obligation de transparence sur la présence des banques françaises dans les paradis fiscaux. Une 1ère mondiale.
Onze heures. Arrivé dans les tribunes quasi vides de l’hémicycle. En bas aussi, il n’y a pas foule. Car si la gauche est bien présente, les travées de la droite sont incroyablement vides. Dans les tribunes, nous sommes 6, deux analystes qui cherchent qui dépose quel amendement et pour qui, plus 3 militants d’ONG qui ont œuvré pour que le projet traite de la question des paradis fiscaux. Les parlementaires débattent des moyens de sortir les banques françaises du marché de la spéculation alimentaire. Mais ni la rapporteuse, Karine Berger, ni le ministre des Finances, Pierre Moscovici, ne veulent aller plus loin. Les militants pensent à leurs amis d’Oxfam et s’agacent…
Le débat passe ensuite sur la possibilité de plafonner la rémunération des banquiers et de leurs traders. Le gouvernement s’engage à soutenir le travail du parlement européen qui réclame que les rémunérations variables soient au maximum égales à leur partie fixe, 1 pour 1, mais ne souhaite pas le mettre en place au seul niveau français. Si on arrive un jour à ce résultat, ce serait bien ! Et un changement pour nos dirigeants de banque dont le variable de certains peut dépasser 5 fois le fixe !
Minuit et deux minutes. Le débat démarre sur l’article 4 bis, celui qui impose aux banques françaises de donner leur chiffre d’affaires et le nombre de personnes employées, consolidés pays par pays, partout dans le monde, ainsi que la liste de leurs filiales. Ça s’agite du côté des ONGistes, c’est en partie de leur travail de conviction, année après année que l’on va débattre. Certains ont même longuement parlé avec tel ou tel député pour faire avancer leur cause.
Eric Alauzet (EELV) démarre sur des grands principes généraux. Yann Galut (PS) et Pascal Cherki (PS), combatifs, voudraient que les banques donnent également les bénéfices et les impôts payés pays par pays. D’autres députés suivent, dont Corinne Narassiguin qui m’offre une demi seconde de gloire en ponctuant sa prise de position par un « comme l’ont bien montré les travaux de M. Christian Chavagneux » !
Christian Paul (PS), explique pourquoi les paradis fiscaux sont au cœur des circuits financiers mondiaux qui mêlent ceux de l’optimisation, de la fraude et de la corruption. Il prend date pour « un combat à poursuivre ». Sandrine Mazetier (PS) précise que le vote français sera important car il représente un point de départ pour d’autres opinions publiques et parlementaires européens et de l’Ocde qui surveillent ce qui se passe chez nous.
Enfin, un député de droite, Laurent Furst (UMP), se lève pour participer ! S’il dit que personne ne veut défendre les paradis fiscaux, il s’insurge contre le fait que cette transparence ne s’applique qu’aux banques françaises, martèle que l’on ne soutient pas l’économie avec ce genre de mesures et que cette belle intention n’est qu’une illusion.
Vers minuit vingt cinq. Surtout, Gilles Carrez (UMP) entre en scène. Président de la commission des Finances, il attaque : le gouvernement a voulu faire plaisir aux écolos avec cette exigence de transparence (pourtant portée au moins autant, si ce n’est de manière plus audacieuse par des députés PS) qui nuit à l’intérêt général car elle force les banques françaises à révéler à leurs concurrentes leur chiffre d’affaires dans tous leurs pays d’implantation. Le jour où une banque française voudrait se retirer d’un pays européen, elle ne pourra le faire discrètement, ça se verra dans le montant du chiffre d’affaires donné.
Il fallait limiter la contrainte de transparence à un périmètre bien précis : la liste française des paradis fiscaux (quelques petites îles) et celle des pays pointés du doigt par le Gafi (essentiellement des pays pauvres ou émergents). Bref, surtout pas d’infos sur les pays de l’OCDE, si ce n’est européens, y compris au sein de la zone euro, qui s’inscrivent dans la mondialisation comme des Etats parasites. Intéressant de voir que les banquiers s’inquiètent de voir mise sur la table une partie conséquente de leur business dans des centres financiers importants mais opaques type Luxembourg, Suisse, etc.
Minuit trente et quelques. Karine Berger contre-attaque en rappelant que Gilles Carrez a tellement déjà investi sur les sujets des prix de transferts et de l’optimisation internationale qu’elle est surprise qu’il ne soit pas sensible à faire progresser le sujet plutôt qu’à le restreindre ! Elle s’appuie sur son expérience d’économiste du secteur privé (Euler Hermes) pour indiquer que dès qu’une banque veut sortir d’un pays, elle ne le fait pas en catimini mais informe de suite ses clients ! Elle souligne que la liste des pays Gafi ne correspond pas à celle des territoires utilisés par les entreprises pour échapper aux impôts.
Pierre Moscovici se lève pour une intervention qui va avoir une grande influence sur la suite des débats. Il demande aux parlementaires de respecter le compromis politique trouvé en commission des Finances la semaine précédente : les banques devront être transparentes sur leur présence dans tous les pays du monde, sur deux critères uniquement. « Aller au-delà serait imprudent, en-deçà, ce serait un recul. C’est une démarche réformiste et je l’assume ». Il indique ainsi que toutes les propositions d’amendement qui sont faites sur cet article recevront un avis défavorable du gouvernement. Un seul trouve grâce : celui qui demande que les banques fournissent l’information sur le nombre de personnes employés en équivalent temps plein ! A ceux qui réclament deux critères supplémentaires, profits et bénéfices, il demande de ne pas avoir les yeux plus gros que le ventre et il rappelle que personne n’est satisfait dans le monde bancaire de la contrainte à deux critères mais « on peut vivre avec ».
Jean-François Lamour (UMP) revient à la charge pour dire qu’une liste restreinte de pays suffisait, s’inquiétant non pas comme Gilles Carrez des conséquences pour les banques françaises en Europe mais en Chine. Marie-Christine Dalloz (UMP) poursuit la contre attaque, « vous êtes montés sur un cheval pour combattre les banques françaises ». Réponses de Christian Paul qui défend le projet de loi pendant qu’Eric Alauzet tue l’argument Gafi de Gilles Carrez.
Ce dernier conclut par une forme de menace : il va écrire à son homologue de la commission des Finances du Bundestag pour l’informer de ce qui est en train de se passer en France, sous-entendu et vous verrez avec sa réponse le mal que vous faites à la France ! Il est tard, je ne sais plus lequel des députés UMP voulait repousser d’un an la contrainte de publication pour les banques. On ne se refait pas…
Les députés PS et EELV qui avaient déposé des amendements les retirent tous un par un, qui d’un seul mot (« retiré ») qui en expliquant qu’ils acceptent la discipline de la majorité réclamée par le ministre mais avec un certain regret. Comme Eva Sas (EELV) qui voulait laisser la possibilité au ministre de pouvoir, s’il le souhaite, ajouter des critères…
Une heure du matin. L’article 4 bis est voté (à main levée). La France se dote d’une obligation de transparence pour ses banques, une comptabilité pays par pays à deux critères. C’est une première mondiale. Nos amis des ONG sont tout sourire. En même temps, ce n’est pas l’euphorie. Ils ont le sentiment qu’ils auraient pu obtenir plus de critères en commission des Finances mais que par manque d’expérience certains députés n’ont pas bien joué le coup. Mais ils sont contents de voir combien nombre d’hommes et de femmes politiques, encore peu sensibilisés au sujet au moment de la campagne présidentielle, ont su s’investir, y compris techniquement, et s’approprier le combat politique contre les paradis fiscaux. Il est vrai que le nombre de députés de gauche mobilisés en ce moment sur le sujet est impressionnant !
Côté ONG, la gamberge est déjà repartie, le débat va se poursuivre au Sénat et ils pensent déjà aux points importants de mobilisation qu’ils vont faire valoir auprès des sénateurs. Ce sera en avril. Mais pour le moment, c’est l’heure d’aller se coucher !
[...] demande aux banques françaises que de donner leur chiffre d’affaires et le nombre d’employés (voir les billets de Christian Chavagneux sur OikosBlogue). La loi européenne, lorsqu’elle sera traduite en droit français, imposera donc à priori, plus [...]