J’abordais dans un article précédent les enjeux de l’agriculture et de l’alimentation sous l’emprise de multinationales. Dans le même ordre d’idées, cela aurait pu être les multinationales dans la production des énergies fossiles (les pétrolières et les gazières, celles du gaz de schiste en tête), les minières ou les multinationales des nouvelles technologies des communication et de la culture, nouvelles industries mondiales de contenu (Google, Apple, Amazon, Facebook). Constance de leur modèle : la dictature d’une minorité d’actionnaires qui s’impose dans la gestion des entreprises en écartant systématiquement les organisations de salariés. Mais ce qui me titille le plus, c’est la question suivante : comment ces multinationales réussissent-elles à fabriquer notre consentement? Voici quelques pistes exploratoires d’explication sur la question. Car on aura beau dénoncé les dégâts sociaux et environnementaux de ces multinationales, la mobilisation des mouvements, de partis politiques progressistes et d’États qui ont des politiques courageuses pour contrer ce capitalisme boursier et financier n’est pas encore très forte. Ces transnationales règnent en maîtres face à des gouvernements sans colonne vertébrale, hésitants ou même complices.
Une première explication réside dans l’activité plus marquée de leurs lobbies dans tous les secteurs stratégiques : lobbies du sucre, lobbies du gaz de schiste, lobbies des banques, lobbies de grands médias polyvalents, pression des agences de notation sur les États…. Ce qui en fait des superpuissances. Elles ont ainsi réussi à obtenir une légitimité grâce à leurs relais politiques véhiculant l’idée que la richesse accumulée par cette minorité au haut de la pyramide finit toujours par retomber sur les strates inférieures. Puis, la réussite personnelle et la compétition érigées en religion sont devenues par l’omniprésence de leurs opérations de marketing les supposés grands et exclusifs moteurs de la richesse nationale. On n’a qu’à penser aux publicités des pétrolières de l’Ouest canadien aux heures de pointe à la télévision : elles sont les seules créatrices de richesse avec, à la clé, des effets positifs sur les communautés en termes de santé, d’éducation, de loisirs…Comme si l’État et ses politiques publiques, les municipalités et les forces vives des communautés n’y étaient pour absolument rien. Comme si les travailleurs n’y étaient pour rien. Cherchez l’erreur !
Elles ont également été capables d’imposer un relâchement généralisé de la fiscalité à l’égard des plus riches et des entreprises au point où le développement de gains sans aucun frein est socialement devenu acceptable sous l’égide de ce capitalisme international où la finance a pris les postes de commande. Enfin elles ont réussi à affaiblir considérablement dans les 30 dernières années le syndicalisme des travailleurs avec la montée du travail précaire et celui des agriculteurs avec le contrôle en amont (les services semenciers) et en aval (la transformation) de l’alimentation, deux mouvements majeurs de la période de l’après-guerre (1945-1975). Le travail est devenu de plus en plus précaire et le syndicalisme est devenu en partie impuissant face à cette progression de la précarité. Ce faisant, la syndicalisation est devenue beaucoup plus difficile. Et la mobilisation qui l’accompagne pour aller chercher un meilleur pouvoir d’achat, par l’augmentation des salaires mais aussi par toutes sortes de mesures de protection sociale, s’est considérablement affaissée. Résultat, le syndicalisme n’est plus perçu comme un garant de progrès social par delà les groupes syndiqués eux-mêmes. Du côté des agriculteurs, leur poids social dans la société s’est aussi dans les trois dernières décennies effondré. Ne leur reste que leur poids économique pour justifier de la considération pour les revendications qu’ils mettent de l’avant auprès des pouvoirs publics.
Un troisième facteur joue dans cette dynamique, facteur plus dur à avaler pour les courants progressistes : c’est la tolérance sociale croissante au sein des classes moyennes et populaires à l’égard de ce que nous proposent ces multinationales qui gouvernent nos vies. C’est, par exemple, le délitement de la culture égalitaire lié à l’idée que les impôts ne sont pas là pour offrir des services publics de qualité mais pour limiter nos libertés individuelles. Bref, nous dit Thierry Pech, directeur de rédaction de la revue Alternatives économiques, il y a « une certaine ambivalence à l’égard de l’argent chez les gens qui en ont peu, un mélange de fascination et d’envie ». Bref ces transnationales gouvernent de plus en plus nos vies : elles décident des mouvements de capitaux et du travail (l’entreprise va-t-elle reste au Québec ou va-t-on la délocaliser) ; elles nous dictent quoi manger (si on pense à Nestlé, à Coca-Cola ou aux chaînes de restauration rapides); elles imposent leurs manières de soigner (si on pense par exemple à la bataille des génériques menée par l’industrie pharmaceutique).
Finalement leurs lobbies sont souvent capables de neutraliser la critique, d’influencer les élus, de faire modifier des lois en leur faveur…L’exemple de l’industrie pétrolière dans le film de Craig Scott Rosebraugh, Les salauds sont parmi nous est éloquent à ce propos. On peut lire la démonstration qu’en fait Gilles Bourque pour ce qui a trait aux lobbies des énergies fossiles.
La tolérance sociale à la malbouffe relève de la même dynamique : l’alimentation n’est jamais présentée et donc perçue comme étant traversée par des forces économiques et politiques, par des intérêts différents, voire opposés. Dans cette perspective, l’Université d’été du GESQ veut ouvrir à nouveau un de ses chantiers devenus cruciaux, celui de nourrir la planète dans les prochaines décennies. Renouer avec la critique et dégager des pistes alternatives aux Monsanto, Nestlé, General Mills et Wall Mart de ce monde. Et ne ratez pas, aujourd’hui même, le cahier spécial du journal Le Devoir produit en collaboration avec le GESQ. Il porte sur les enjeux et les défis du développement durable en matière d’agriculture et d’alimentation au Québec et dans le monde dans une perspective Nord-Sud.
Merci Louis pour cette information vulgarisée et aussi pour l’info. à propos du dossier de « Craig Scott Rosebraugh, Les salauds sont parmi nous » Omer
L’UPA (Union des producteurs agricoles) travaille fort pour centraliser l’argent des contribuables à « aider » les intégrateurs. Quand 5 producteurs porcins reçoivent près de $100 millions annuellement en « aide », vous devinez ce qu’il reste pour les petites fermes porcines familiales?
L’UPA privilégie l’intégration tout en faisant croire à la population qu’elle est là pour les producteurs dans son ensemble.
Lors de l’achat, par contrat secret, de l’Abattoir Colbex Lévinoff au coût de $75 millions, quand un abattoir neuf aurait coûté entre $10 et $12 millions, l’UPA a t’elle « aidé » ses producteurs de bovins? Ils avaient accepté de débourser $6 millions pour l’achat d’un abattoir….
L’UPA a t’elle aidé l’agriculture en général dans la prise de contrôle de la Financière, où en moins de 7 ans, ce syndicat a accumulé un déficit de plus de $1 milliard trois cents millions grâce à sa « bonne gestion ».
Ce déficit a été pelleté aux générations futures de contribuables!!
Aucune enquête, aucune imputabilité pour ce fiasco sans nom de l’UPA mais qui fait suite à une longue liste de faillite toujours sous la houlette de l’UPA.
L’agriculture aux petites fermes familiales grâce à l’UPA? Oh non! tout pour l’intégration.