2013 est l’année du 20e anniversaire d’UPA DI. 2013 est aussi l’année de la 7e édition de l’Université d’été du GESQ qui portera sur les défis de développement durable en matière d’agriculture et d’alimentation. 2014 sera l’année internationale de l’agriculture familiale nous dit l’ONU, année dont la 2e édition du Sommet international des coopératives va s’emparer (un des trois thèmes jugés prioritaires sera la sécurité alimentaire). La question alimentaire est donc plus que jamais à l’ordre du jour.
Le grand paradoxe de l’agriculture dans le monde
Je vous disais dans un billet récent que la question était bien posée par Michel Griffon, spécialiste international en matière d’agriculture (Griffon 2006) présent aux Rencontres du Mont-Blanc de 2011 dans un atelier sur les agricultures et le développement durable : « Il y a de 20 à 25 millions d’exploitations dans le monde, qui font de l’agriculture industriellement intensive, ce qui représentent 30 à 40% de la production mondiale. Mais cette exploitation vit présentement une hausse des coûts de l’énergie, génère beaucoup de gaz à effet de serre, est dommage pour la biodiversité et entre dans une phase de rareté » pour ce qui a trait aux engrais dont une bonne partie dépend du pétrole et à l’eau étant donné le changement climatique. La demande pour plus de viande ne fait qu’accentuer les besoins en terres (production de maïs et de soya) pour alimenter le bétail. C’est notamment le problème de la Chine. Si, de plus, on va vers les agrocarburants (de première génération comme l’éthanol) parce que l’agriculture et la forêt sont les candidats au remplacement du pétrole, on voit tout de suite se profiler le cercle vicieux. « Puis il y a deux milliards 400 millions de petits exploitants peu mécanisés, ne disposant pas d’un régime sanitaire adéquat, peu productive et dont l’enjeu est d’accroître leurs rendements » avec, en autant que faire se peut, des techniques dont les coûts seraient faibles et une production respectant l’environnement afin de rendre les terres plus fertiles. Griffon ne s’en cachait pas, l’équation est très très difficile à résoudre. D’autant plus que ces petits exploitants vivent dans des conditions lamentables pour un grand nombre. Le grand paradoxe : les 2 milliards de personnes qui ont faim dans le monde sont d’abord des paysans. Oui mais pourquoi ce paradoxe et pourquoi ce grand écart entre petits et grands exploitants? Une bonne partie de la réponse réside dans la main-mise de l’agro-business sur l’ensemble de la filière agroalimentaire à l’échelle internationale.
La main-mise de l’agro-business
Au Nord et encore plus au Sud, l’enjeu de la souveraineté alimentaire n’a pas surgi à l’avant-scène internationale par hasard. L’université d’été du GESQ en 2010 en avait fait la démonstration (Doucet et alii, 2010, rubrique Publications du GESQ sur leur site). Cela tient au fait que l’agriculture et la filière alimentaire subissent, tendanciellement, le même traitement industriel et financier que les autres activités économiques. Résumons la chose : de grandes firmes multinationales assurent l’agrofourniture (Monsanto, Bunge, Sugenta, ADM, Dupont, etc,) ; de grandes firmes multinationales contrôlent la transformation agroalimentaire (Nestlé, Coca-Cola, General Mills, Kraft Foods, Unilever, Smithfield Food, etc.) ; de grandes firmes multinationales ont pris en charge la grande distribution de masse (Walmart, Carrefour, Tesco, etc.) dans un marché de plus en plus international. Ajoutons-y ceci : c’est un marché qui ne dispose que de peu de protections sociales pour les petits exploitants…sauf là où des organisations paysannes et des coopératives agricoles existent, grandissent, se fédèrent, occupent du terrain tant sur le plan économique que politique en négociant en groupes nationaux et même transnationaux. Bref il y a là une asymétrie marquée entre d’un côté des producteurs qui restent dispersés et de relativement petite taille dans des pays souvent politiquement instables et de l’autre les géants du secteur qui sont de plus en plus concentrés et qui dominent la commercialisation des produits de même que tout l’aval de cette filière avec une opacité qui n’est pas la moindre de ces caractéristiques.
Une autre révolution verte s’impose
La première révolution verte, l’agriculture industriellement intensive, a sans doute, amélioré le sort d’un certain nombre d’exploitants tout en diversifiant les produits pour les consommateurs des pays riches. Mais, aujourd’hui, c’est une agriculture polluante et une agriculture également laminée par le prix du pétrole appelé à devenir de plus en plus cher. L’option prometteuse nous dit Griffon et d’autres chercheurs dans le même domaine est fondée sur l’écologie scientifique, une «agriculture écologiquement intensive» qui met à contribution les écosystèmes autrement. Par exemple, des insectes nuisibles à la production agricole peuvent être contrés par d’autres insectes qui en font leur proie. Ou encore le charbon de bois en poudre, lorsqu’il est réparti dans le sol, permet la rétention de l’eau et des nutriments. Bref une révolution biologique est en cours, laquelle permet d’abandonner le labour intensif et d’augmenter le capital fertilité dans les sols. Cette révolution biologique vaudrait tant pour les gros que pour les petits exploitants. Conditions : miser sur un investissement en main d’œuvre, investir en recherche et tabler sur une aide au développement initial. C’est la voie écologique par la recherche scientifique et par l’émergence de nouvelles techniques agricoles.
Mais il y a une autre voie qui complète la première et elle est socioéconomique et sociopolitique. Elle concerne de façon centrale les pays du Sud mais aussi, aujourd’hui plus qu’hier, des sociétés comme la nôtre : la restauration de la capacité de production alimentaire locale destinée aux populations des communautés locales de nos pays respectifs plutôt qu’à l’exportation. La condition première est de redonner à la notion de politique agricole toute sa valeur. On touche ici du doigt la question de la souveraineté alimentaire et du développement durable. À ce chapitre, il y a quelques réalisations marquantes ici et ailleurs de coopératives et d’organisations paysannes qui vont dans ce sens. Au Québec, je pense à Nutritor, une grande coopérative agroalimentaire du Saguenay (1200 agriculteurs membres, 400 employés), dont j’ai déjà relaté l’expérience. En Amérique latine, je pense aux coopératives agricoles boliviennes soutenues par SOCODEVI et je pense à une organisation paysanne sénégalaise soutenue par UPA DI et Terre solidaire dans la région de Thiès tout près de la capitale Dakar.
Reste que ces initiatives ne donneront jamais leur pleine mesure s’il n’y a pas de politiques publiques de développement durable en matière d’agricole et d’alimentation. Et il n’y a pas de politiques publiques qui tiennent sans mobilisations fortes de la part de mouvements sociaux centrés sur cet enjeu. À défaut de quoi, on continuera d’assister impuissants à la fabrication d’un consentement collectif pour que ces multinationales gouvernent nos vies.
Au fait comment ces multinationales fabriquent-elles notre consentement? On aura beau dénoncer les dégâts sociaux et environnementaux de ces multinationales dans l’alimentation comme dans la production des énergies fossiles, la dictature d’une minorité d’actionnaires s’imposant dans bon nombre d’entreprises ou la stagnation du pouvoir d’achat des salariés, la mobilisation des mouvements, de partis politiques progressistes et d’États qui ont des politiques courageuses pour contrer ce capitalisme sauvage n’est pas encore très forte. On y reviendra !
[...] dans un article précédent les enjeux de l’agriculture et de l’alimentation sous l’emprise de multinationales. Dans le [...]
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