L’auteur invité est Peter Singer, professeur de Bioéthique à l’université de Princeton et professeur invité à l’université de Melbourne.
Cette année, la consommation de dioxyde de carbone dans l’atmosphère a atteint le seuil de 400 parties par million (ppm). Le taux de CO2 dans l’air n’avait pas été aussi élevé depuis trois millions d’années, époque à laquelle le niveau des mers était supérieur de 24 mètres à celui que nous connaissons. Aujourd’hui, le niveau des mers augmente à nouveau. En septembre dernier, la banquise arctique couvrait la plus petite surface jamais enregistrée. À l’exception d’une seule, les dix années les plus chaudes depuis 1880, année du début de l’enregistrement des mesures mondiales, ont eu lieu au cours du XXIe siècle.
Certains climatologues considèrent que ce taux de 400 ppm de CO2 dans l’atmosphère est d’ores et déjà suffisant pour nous faire franchir un seuil critique au-delà duquel nous risquons une catastrophe climatique susceptible de contraindre des milliards de personnes à l’exode. Ces scientifiques estiment qu’il est nécessaire que nous réduisions le taux de CO2 dans l’atmosphère à 350 ppm. Ce chiffre a donné lieu à l’initiative baptisée 350.org, un mouvement populaire qui réunit les volontaires de 188 pays dans le but de résoudre le problème du changement climatique.
D’autres climatologues sont plus optimistes : ils considèrent que si nous permettons au taux de CO2 atmosphérique d’augmenter jusqu’à 450 ppm, niveau associé à une élévation de température de 2° Celsius, nous avons 66,6% de chance d’éviter la catastrophe. Ce qui revient tout de même à une chance sur trois de subir le désastre – soit une probabilité encore moins heureuse qu’à la roulette russe ; sachant par ailleurs que nous prévoyons de dépasser le taux de 450 ppm d’ici 2038.
Une chose est sûre : si nous n’entendons pas faire preuve d’une totale imprudence à l’égard du climat de notre planète, nous ne pouvons permettre la combustion de l’ensemble du charbon, du pétrole et du gaz naturel que nous avons d’ores et déjà localisés. Environ 80% de ces ressources – et notamment le charbon, qui émet la plus grande quantité de CO2 lors de sa combustion – devront demeurer enfouies.
En juin, le président américain Barack Obama a confié aux étudiants de l’Université de Georgetown qu’il refusait de les condamner eux, leurs enfants et leurs petits-enfants à « une planète ayant dépassé un point de non-retour climatique. » Expliquant que le changement climatique n’attendrait pas que le Congrès ait surmonté ses propres « impasses partisanes, » le président a annoncé, en vertu de ses pouvoirs exécutifs, un certain nombre de mesures destinées à limiter les émissions de CO2, en premier lieu auprès des plus récentes usines alimentées par combustibles fossiles, pour s’attaquer ensuite aux usines déjà existantes.
Obama a également appelé à la fin du financement public des nouvelles usines à combustible fossile à l’étranger, à moins qu’elles ne fassent intervenir des technologies de capture du carbone (qui ne sont pas encore économiquement rentables), sans quoi, a-t-il affirmé, il n’existera « aucune autre manière viable pour les pays les plus pauvres de produire de l’électricité. »
Selon Daniel Schrag, directeur du Centre pour l’Environnement de l’Université d’Harvard, et membre d’une commission scientifique ayant conseillé le président Obama en matière de changement climatique : « Sur le plan politique, la Maison Blanche est réticente à affirmer qu’elle est en guerre contre le charbon. D’un autre côté, ce combat contre le charbon est exactement ce dont la planète a besoin. »
Le discours de Schrag est tout à fait juste. Sa propre université, de même que la mienne et beaucoup d’autres, a opté pour un programme de réduction de ses émissions de gaz à effet de serre. Or, la plupart d’entre elles, y compris celle de Schrag et la mienne, continuent d’investir une partie de leurs dotations, qui s’élèvent à plusieurs milliards de dollars, dans des sociétés opérant dans l’extraction et la vente du charbon.
Pour autant, la pression pesant sur les établissements d’enseignement en faveur d’un arrêt des investissements dans les combustibles fossiles commence à s’organiser. Des groupes d’étudiants se forment aujourd’hui sur de nombreux campus, et une poignée de grandes écoles et universités se sont d’ores et déjà engagées à cesser d’investir dans les combustibles fossiles. Plusieurs villes américaines, parmi lesquelles San Francisco et Seattle, ont promis d’en faire de même.
Les établissements financiers commencent aujourd’hui eux-aussi à subir le feu de leur participation aux combustibles fossiles. Au mois de juin, j’ai fait partie d’un groupe d’Australiens influents qui ont choisi de signer une lettre ouverte adressée aux dirigeants des plus grandes banques du pays, les invitant à cesser d’accorder des prêts aux nouveaux projets d’extraction de combustibles fossiles, ainsi qu’à vendre les parts qu’elles détiennent dans des sociétés engagées dans de telles activités.
S’exprimant cette année à Harvard, l’ancien vice-président américain Al Gore a rendu hommage à un groupe d’étudiants œuvrant pour que leur université procède à la vente de ses investissements dans des entreprises de combustibles fossiles, et a comparé leurs efforts à la campagne de désinvestissement qui avait contribué dans les années 1980 à mettre un terme à la politique d’apartheid raciste d’Afrique du Sud.
Dans quelle mesure cette comparaison est-elle légitime ? Bien que les lignes de division soient sans doute de nos jours moins prononcées qu’elles ne l’étaient à l’époque de l’apartheid, l’émission importante et continue de quantités élevées de gaz à effet de serre sert aujourd’hui encore les intérêts d’un groupe d’individus – à savoir les plus riches – au détriment des autres. (Comparés à la majorité de la population mondiale, même les mineurs des industries du charbon américaine et australienne qui perdraient leur emploi en cas de disparition du secteur entrent dans la catégorie des individus aisés.) Notre comportement consiste malheureusement à ignorer les populations les plus pauvres de la planète, ainsi que tous ceux qui vivront un jour sur Terre au cours des siècles à venir.
Partout autour du monde, bien que les populations les plus pauvres soient celles qui engendrent la plus faible empreinte carbone, ces populations sont celles qui souffriront le plus du changement climatique. Beaucoup d’entre elles vivent dans des géographies à fortes chaleurs, vouées à se réchauffer encore davantage, et des centaines de millions de ces personnes vivent grâce à une agriculture de subsistance par définition dépendante des pluies qui leur permettront de faire pousser leurs récoltes. La pluviométrie se trouve aujourd’hui modifiée, et la mousson asiatique va s’avérer de moins en moins fiable. Ceux qui naîtront sur cette planète au cours des siècles prochains vivront dans un monde plus chaud, présentant un niveau des mers plus élevé, des terres moins arables, ainsi que des tempêtes, sécheresse et inondations plus extrêmes.
Dans un tel contexte, le développement de nouveaux projets de charbon constitue non seulement une démarche contraire à l’éthique, mais le fait d’investir dans de telles initiatives revient à faire preuve de complicité à l’égard de cette démarche. Bien que les efforts doivent dans une certaine mesure s’appliquer à tous les combustibles fossiles, la meilleure manière de commencer à modifier notre comportement réside dans une réduction de la consommation de charbon. Le fait de remplacer le charbon par le gaz naturel réduit effectivement les émissions de gaz à effet de serre, bien que ce gaz naturel ne constitue pas lui-même une solution viable à long terme. À l’heure actuelle, la meilleure chose à faire consiste à cesser les investissements dans l’industrie du charbon.
Traduit de l’anglais par Martin Morel
Copyright: Project Syndicate, 2012.
Pour lire le texte original, avec les nombreuses références, on va sur le site de Project Syndicate.
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