Dans un billet précédent, je revenais sur la loi 27 relativement à l’économie sociale. Le secteur représente dit-on quelques 125 000 emplois, ce qui le situerait entre 7 à 8 % du PIB. C’est bien mais, soit dit en passant, c’est en bas de la moyenne des pays européens. Or, si la loi qui vient d’être passée reconnaît la «biodiversité» de l’économie, considérant les coopératives, les mutuelles et les associations comme productrices de richesses sociales et économiques et le pluralisme de représentation politique soit le CQCM pour l’économie coopérative et le Chantier pour l’économie associative, je soulignais néanmoins que le plan d’action du gouvernement qui s’annonce semble se diriger vers un plan de développement à courte vue. Ce constat ne s’explique pas uniquement par l’existence d’un gouvernement qui a une conception limitée de l’ÉS. Une partie de l’ÉS elle-même ne fait pas grand-chose pour sortir le futur plan de son cantonnement aux marchés publics et aux services de proximité.
Cela m’a particulièrement frappé lors d’un débat à l’Université Laval, plus précisément à l’université d’automne de l’institut EDS en environnent, développement et société (rubrique activités) qui portait sur le thème ÉS et DD où je devais débattre avec la pdg du Chantier (qui s’est désistée à la dernière minute). La tâche a donc incombé à Béatrice Alain, coordonnatrice du RELIESS. Je résume son intervention en quelques idées-clés : 1) l’intégration de la dimension environnementale demeure un défi dans l’avenir pour l’ÉS ; 2) toutefois le code génétique de l’ÉS (son ADN) la prédispose à des objectifs de développement durable ; 3) l’ÉS est un mouvement de transformation sociale ; 4) l’ÉS a besoin de politiques publiques ciblées ; 5) le Québec est un modèle de co-construction de politiques publiques. Le tout assorti d’exemples du côté de la récupération et du recyclage (les ressourceries), en matière de sécurité alimentaire (tels les cuisines collectives et les petits fermiers) ou la mention de projets d’énergie propre à venir. J’en ai assez vite conclue que cette économie sociale-là, l’économie associative principalement, n’avait ni perspective ni ambition en matière de DD.
L’urgence écologique par delà l’éducation au DD
Or, avec la multiplication de des crises qui s’emboîtent les unes dans les autres (économique, alimentaire, sociale…), l’aggravation du réchauffement climatique, la généralisation des pollutions, la détérioration irréversible d’une partie de nos écosystèmes et les soubresauts de l’ère des énergies fossiles (gaz de schiste, production offshore…), la planète risque d’être confrontée d’ici 2030 pour certains, une décennie ou deux de plus pour d’autres à des chocs systémiques qui risquent de déstabiliser bien des choses en matière de sécurité alimentaire par exemple ou encore dans l’économie des territoires (la menace du gaz de schiste). Bref comment produire avec moins d’énergies fossiles, comment sortir l’agriculture des griffes de l’agrobusiness, comment faire transiter l’ensemble de notre économie vers la sobriété ? Voilà pour la perspective.
Je me suis donc permis de m’éloigner de ces lieux communs en dégageant les pistes suivantes pour que l’ÉS en matière de DD ait des dents. D’abord un minimum d’analyse de la conjoncture internationale s’impose : le développement durable a reflué après l’échec des États à s’entendre à Copenhague en 2009 sur la question du réchauffement climatique. En second lieu, la culture capitaliste nous enferme dans le déni de l’urgence écologique, dans le déni d’une planète surexploitée (on n’a qu’à penser aux tentatives depuis 4 ou 5 ans des lobbies pétroliers et gaziers pour lancer la filière gaz de schiste). Tertio, ceci étant, c’est la notion de transition écologique de l’économie qui a pris les devants signalant par là la nécessaire transformation radicale de l’économie elle-même. Quarto, la diversité, la générosité et la vigueur des initiatives locales ne feront pas disparaître l’impératif d’un cadre macro-politique et d’une mobilisation non seulement de l’ÉS mais de tous les mouvements sociaux pour répondre adéquatement à cette urgence économique.
Que faire stratégiquement parlant ?
Une fois cela dit, que fait-on stratégiquement parlant ? D’abord examiner les forces réelles l’ÉS québécoise. Je relève trois tendances qui nous sortent de la pensée «jovialiste» à son propos et de l’obsession compulsive de la reconnaissance (être visible à tout instant) qui interdit dans certaines organisations toute critique à son sujet. En premier lieu, l’économie sociale québécoise dans son ensemble n’a pas de plate-forme politique malgré certaines tentatives. Je m’explique : si la générosité de l’ÉS vaut pour elle-même (satisfaire les besoins des communautés), cela dit peu de choses sur les décisions politiques les plus appropriées et sur les réformes structurelles que ces besoins commandent aujourd’hui. La transposition politique et institutionnelle des idéaux de l’ÉS qu’offre une plate-forme politique est précisément une solution de caractère stratégique comme nous avons tenté de le démontrer dans la foulée des travaux des Rencontres du Mont-Blanc de 2011 (Favreau et Hébert 2011). Or seule la pratique du lobby prévaut. Les limites s’expriment alors par la segmentation des problèmes et des solutions des principales organisations concernées. En deuxième lieu, ce qui en découle, c’est que les partis politiques (tous y compris Québec solidaire qu’on croirait plus équipé en la matière) voient l’ÉS comme une économie de seconde zone et sectoriellement circonscrite à certains services de proximité (petite enfance, services à domicile…), à l’insertion socioprofessionnelle, aux ressourceries, le tout souvent coiffé d’un discours affligé sur la sortie de la pauvreté par l’ÉS. En troisième lieu, l’ÉS a une faible capacité de mobilisation qui s’explique en partie par des structures nationales de représentation qui sont divisées.
Bref, si en bout de ligne avec cette loi 27 on réussit à sécuriser un tant soit peu le financement public du monde associatif investi dans l’entrepreneuriat et si, en bout de ligne, on a préservé les caractéristiques de base de ce type d’économie dans laquelle les coopératives ne perdent rien (identité préservée dans sa gouvernance, dans son impératif de patrimoine collectif, dans une lucrativité limitée, dans la conservation de sa filière d’entrée au gouvernement, etc.), on n’aura pas reculé mais on aura pas non plus avancé beaucoup.
Il faut catégoriquement un plan plus ambitieux mais il est peut-être trop tard. Dans les coulisses du MAMROT, on dit que le plan serait presque attaché et ne pourrait recevoir que des bonifications dans les marges. Et qu’il ne prend pas en compte l’urgence écologique. C’est pourtant une visée nécessaire d’un futur plan moyen terme que cette loi 27 doit proposer. Hugues Sibille, vice-président du Crédit coopératif français, dans un billet récent à propos des coopératives d’énergie va dans le même sens en affirmant que cela pourrait faire partie du Plan de développement de l’économie sociale pour accompagner la Loi ESS qui vient d’être votée au Sénat.
Notre plan québécois serait en effet plutôt branché sur le très court terme : miser sur le marché public des ministères, renforcer la reconnaissance de l’ÉS dans les institutions… Le problème à la source de ce peu d’ambition : si les organisations de représentation de l’ÉS (et les dispositifs économiques du mouvement syndical qui l’accompagne) ont beau partager des valeurs communes, la grande hétérogénéité – tant économique que sociopolitique – de l’économie sociale ne favorise pas des négociations structurantes. Et la compartimentation des ministères les plus concernés ne les favorisent pas non plus. En premier lieu, le ministère des affaires régionales, le MAMROT de même que le Ministère des finances et de l’économie et celui des relations internationales. Nous n’en sommes donc qu’aux premiers balbutiements.
La question finalement plus large a été bien posée par cette université d’automne de l’Institut EDS de l’Université Laval dans sa dernière journée : quelles sont les principales tendances économiques alternatives émergentes ? Il faut alors regarder du côté de l’État d’abord et miser sur une intervention active par une écofiscalité consistante. Pas évident à coup sûr lorsqu’on maintient une ouverture à l’exploration du pétrole de schiste où on espère un eldorado, ce qui ne fait que retarder une fois de plus, pour un bénéfice relativement limité, des changements majeurs à opérer en matière d’efficacité énergétique et d’énergies renouvelables. Il faut regarder du côté des gouvernements locaux assez bien placés pour s’investir dans la biométhanisation des déchets domestiques. Puis il faut regarder du côté des mouvements sociaux en train d’opérer un virage écologique en se définissant «une politique de développement durable» qui déborde les seuls aspects philosophiques de la chose. Des groupes de femmes (dans la suite des récents États généraux) et des organisations du mouvement syndical et leurs outils économiques vont dans cette direction.
Enfin du côté de l’ÉS proprement dite, il faut regarder je crois l’évolution de secteurs stratégiques de cette économie. Ici on observe que c’est au sein du mouvement coopératif que çà bouge le plus : 1) dans le secteur de la forêt avec le virage «biomasse» et l’agroforesterie, l’aménagement boisé des berges des lacs et rivières, etc. ; 2) le secteur agroalimentaire avec le virage «agriculture écologiquement intensive», le retour au transport de marchandises par train plutôt que par camion, l’émergence de fermes solaires et éoliennes avec des systèmes locaux de stockage de l’énergie, etc. ; 3) le virage «baisse de la consommation d’énergie» en habitation ; 4) le redéploiement des coopératives d’énergies renouvelables (l’éolien, le solaire). Enfin le gros morceau du transport collectif avec le projet d’un monorail électrique entre les principales régions du Québec (Montréal-Québec et les principales villes régionales).
Pour ceux et celles qui trouvent mes propos sévères sur ce qui découle de cette loi en ÉS, on lira avec profit ce que suscite l’arrivée d’une loi similaire en France dans plusieurs organisations: Dans sa soif d’institutionnalisation, l’ESS a laissé croire qu’elle pouvait jouer les supplétifs de l’action publique, notamment en matière d’emploi… N’avons-nous donc rien d’autre à conquérir qu’une évaluation de notre utilité sociale ?…Il est temps de dire adieu à l’ESS en tant que rassemblement hétéroclite «d’entreprises sympas»…L’enjeu n’est ni un problème de taille ni de reconnaissance institutionnelle mais la cruelle absence d’un projet politique commun à toutes les organisations.. ; …il faut cesser de nous tourner constamment vers la puissance publique et enfin s’adresser au monde du travail. Oups! Çà vous dit quelque chose pour ici… ?! Voir la RECMA.
L’analyse des suites de l’adoption de la loi cadre no 27 sur l’économie sociale au Québec est peut-être sévère mais hélas elle reflète bien une réalité. Oui il y a une reconnaissance, oui il y aura un plan d’action qui permettra des ajustements de programmes et de mesures, de la promotion, des politiques d’achats mais une intégration de l’économie sociale et solidaire à l’ensemble de la politique de développement économique du Québec là nous nous sommes loin du compte. L’identification récente par le mouvement coopératif et le Ministère des finances d’un certains nombre de filières de développement coopératif à privilégier est une avancée intéressante qui prend en compte notamment le secteur des énergies vertes et du développement durable plus largement. Si le plan d’action gouvernemental nous amenait à favoriser clairement, avec des moyens adéquats, une augmentation au au moins jusqu’à 10 % de la présence coopérative dans chacun des secteurs prioritaires nous aurions fait un pas vers un projet de société qui nous rassemble et qui nous ressemble. Il faudra que le mouvement coopératif soit très actif pour mettre de l’avant sa vision du développement durable du Québec. Il nous faut accélérer le pas.
C’est une très bonne analyse.
Tant d’un point de vue écologique que celui de justice sociale, comment réunir tous ceux qui s’opposent à la main-mise du
>système financier international sur nos vies et sur la planète?
Il faut voir les problèmes dans leur profondeur les problèmes et penser à une vision et à une stratégie qui vont à l’essentiel.
Un optimisme « politiquement correct » est trop souvent affiché en guise de réaction aux constats alarmants de surpassement des capacités planétaires. Comme si les intellectuels confrontés à ce désastre annoncé préféraient se réfugier dans la pensée magique, celle-ci prenant le nom de « développement durable » ou de « virage vert » ou d’autres lubies. Un fait demeure: les systèmes soumis à des contraintes se réajustent rarement de manière graduée, les changements d’état étant par nature brusques. Il faut donc s’attendre à ce que les crises qui se profilent dans un horizon peu lointain (une décennie?) ne permettent pas aux sociétés d’assimiler le changement qu’elles porteront. Il en résultera que seules les sociétés détenant des traits culturels propices à une adaptation aux nouvelles conditions créés par ces bouleversements pourront survivre. Est-ce que l’économie sociale fait partie de ce bagage culturel apte à assurer cette survie? Je n’en suis pas certain, même si j’y œuvre. La remise en question est plus fondamentale: le productivisme sur lequel repose la civilisation actuelle est fondé sur l’accès à des sources d’énergie décuplant tant la force motrice que la circulation et le traitement de l’information. Celles-ci seront de moins en moins accessibles et abondantes. Si lors de la dernière grande crise, le keynesianisme érigé en praxis économique a permis (avec la 2e grande guerre) de sortir du marasme, c’est qu’une source pléthorique d’énergie était alors disponible, le pétrole. Demain, ce ne sera plus le cas. Pire, les effets de la surconsommation de ces ressources irremplaçables affecteront durablement l’humanité provoquant sécheresse et famines pour les uns, inondations et migrations pour les autres. Je ne vois pas dans ce chaos comment un havre de paix pourrait le demeurer. Je ne vois que des sociétés de plus en plus autoritaires tentant de protéger les privilèges de leurs élites. Je ne vois que de grandes régions continentales se confrontant entre elles pour l’accès à des ressources de plus en plus rares. Comment dans ce monde bouleversé, les promoteurs d’une « économie sociale et solidaire » pourront-ils concurrencer des ploutocraties s’acharnant à défendre leur pré carré?
Il faudra que les calamités de ce siècle s’abattent sur nos enfants et petits enfants pour que ceux ayant conservé des traits culturels propices à leur survie puissent développer les germes d’une nouvelle civilisation. Quels seront ces traits? Tout effort de prospective devrait en tenir compte dès maintenant? Jared Diamond n’a-t-il pas montré que des différences ténues de traits ont été des planches de salut pour certaines sociétés et des condamnations à la disparition pour les autres. Faut-il déjà faire nôtres le développement à petite échelle de circuits économiques plus autarciques? Faut-il condamner l’habitat urbain ou adapter celui-ci à un mode de vie plus économe sur le plan énergétique? Dans une société « avancée » comme la nôtre, les dépenses d’énergie en milieu urbain sont moindres par habitant que dans des habitats moins peuplés où l’utilisation de l’automobile est devenue une obligation, où la maison unifamiliale est la règle, qu’on soit en région ou en banlieue. Comment se redessineront nos communautés? Les villes seront-elles devenues des refuges ou seront-elles désertées?
Sur le plan politique, comment les institutions se métamorphoseront-elles? Ici au Québec, un afflux de réfugiés provenant des régions centrales du continent devenues inhospitalières fera-t-il disparaître ce petit peuple qui s’accroche aux rives du Saint-Laurent en emportant dans ce grand dérangement ce qui faisait sa distinction? Je ne le souhaite pas. Car l’attachement de ce petit peuple à des valeurs collectives le différencie de ses voisins et pourrait servir de ferment au développement d’une société s’adaptant aux « transformations ». Pour en savoir plus http://bit.ly/JL9gVk