Il y a quelques mois (en septembre), Pierre-Olivier Pineau faisait paraître dans La Presse un texte qui m’apparaissait n’avoir ni queue ni tête, une charge à fond de train contre l’électrification des transports. Ses arguments ne tenaient pas la route. Or en fin d’année nous apprenions que M. Pineau devenait le titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie financée par le privé. Tout d’un coup, tout s’éclairait : avec des entreprises partenaires telles que Enbridge, Gaz Métro, Pétrolia et Valero, qui y contribuent chacune 100 000 $ sur cinq ans, nous savons maintenant clairement dans quel ‘paradigme’ se situent les recherches et la vision politique du chercheur des HEC.
Il me semble que la critique de sa prise de position de septembre constitue une belle occasion d’essayer de faire le point sur les enjeux de l’électrification des transports au Québec, puisque c’est justement de cela qu’il s’agit. C’est ce discours portant sur une alternative crédible, qui remet en question les fondements même du paradigme du transport dépendant aux énergies fossiles, que les pétrolières veulent combattre. Ce lobby préfère que le débat se limite, par exemple, à choisir entre le transport du pétrole par train ou pipeline, à l’ajout de nouvelles technologies plus sécuritaires, etc., plutôt que les sociétés s’engagent dans le passage à un nouveau paradigme des transports. Je vous propose donc une petite série de billets sur l’urgence du passage à l’électrification.
Simple discours ou volonté réelle d’agir
M. Pineau met une emphase exagérée sur la cible du -25%, « inégalée à l’échelle planétaire » précise-t-il, pour décrédibiliser toute stratégie de transition énergétique. Il ajoute, « …aucune société humaine n’a réduit du quart ses émissions de GES en cinq ans sans par ailleurs traverser une crise économique. […] D’autre part, aucun marché du carbone actuellement existant ne soumet le secteur du transport à l’obligation d’acheter ses droits d’émissions aux enchères, organisées par le gouvernement, avec un prix plancher d’environ 12$/tonne en 2015. Cela va se traduire par un prix de l’essence à la pompe qui va augmenter d’un minimum de 3 cents le litre en 2015, et vraisemblablement de beaucoup plus par la suite, si l’on veut effectivement réduire les émissions en transport d’ici 2020. » Pour 3 cents de plus en 2015, je trouve que le spécialiste fait tout un plat pour rien. L’électrification ? « … il est malheureusement impossible de compter sur elles à court terme: elles sont trop coûteuses à déployer, et de toute manière impossibles à mettre en œuvre en six ans. Le Québec compte 4,8 millions de véhicules sur ses routes (autos et camions légers) – ce n’est pas en visant 300 000 véhicules électriques pour 2020 qu’on aura fait du chemin. » Conclusion : il faut se résigner à la domination absolue du pétrole et s’adapter le mieux qu’on peut…
S’il y a une chose que je conviens avec lui, c’est que la cible de -25% n’est pas réaliste. Pour la période de 2008-2012 nous avions celle de -6%, or il est à peu près sûr que nous atteindrons tout juste -1,5% des émissions de 1990. Et on voudrait me faire accroire que pour 2012-2020 on atteindrait le -23,5% de différence, tout en soutenant les pétrolières à raffiner du brut lourd provenant des sables bitumineux ainsi qu’à exploiter le pétrole de schiste à Anticosti (fortement émetteur de méthane, 40 fois plus puissant que le CO2) ? L’année dernière, le commissaire au développement durable révélait que le plan d’action du gouvernement libéral avait donné des réductions 10 fois moins grandes que prévu. Avec ce que nous pouvons voir de ce gouvernement, on peut s’attendre à des déceptions similaires dans les années à venir. Alors ? Contrairement à M. Pineau, je n’adopterai pas la stratégie qui consiste à décrédibiliser la stratégie de l’électrification des transports sur la base de quelques hypothèses irréalistes de lutte contre les GES. Au contraire, il faut multiplier les efforts pour que cette cible puisse être atteinte le plus rapidement possible même si 2020 est impossible. Soit, ces cibles devront être atteintes sur une période plus longue, mais tous les moyens doivent être mobilisés pour accélérer graduellement la décarbonisation de l’économie.
En ce sens, les actions du gouvernement Marois ne m’apparaissent pas totalement négligeables. Comme nous l’affirmons dans un rapport de recherche de l’IRÉC, il s’agit d’un point de départ. M. Pineau proclame que 300 000 VÉ pour 2020 serait totalement insignifiant. Je trouve que le nouveau directeur de la Chaire sur l’énergie a une vision pour le moins étriquée des processus de changement. Ce qui est important c’est la progression annuelle de l’adoption des VÉ : à partir d’un certain seuil, la progression de l’adoption des VÉ va s’emballer, pour diverses raisons. Cela a déjà commencé dans certains pays où les conditions ont été mises en place pour appuyer cette accélération du changement de paradigme. On évalue qu’en 2020 la Norvège (moins de 5 millions d’habitants) devrait avoir sur ses routes plus de 700 000 hybrides et véhicules électriques. Par ailleurs, M. Pineau manque de professionnalisme en ne tenant pas compte du fait que la progression annuelle de l’adoption des VÉ va aller de pair avec les nouvelles normes d’efficacité énergétique des véhicules imposées aux fabricants au Canada et aux États-Unis. Ces deux dynamiques se confortent plutôt que s’opposent.
La révolution des VÉ s’en vient
D’ici 2015, tous les fabricants d’automobiles auront au moins un modèle hybride ou électrique. Cette année, ce ne sont pas moins de 13 nouveaux modèles de VÉ qui feront leur apparition sur le marché. Aux États-Unis, lorsqu’on tient compte des mesures incitatives du fédéral et de certains États, on trouve 11 VÉ dont le coût final d’achat est moindre que le coût moyen des nouveaux véhicules (toutes marques confondues). D’ici quelques années, probablement avant la fin de la décennie, la baisse continue du coût de fabrication des batteries vont faire en sorte que les incitatifs à l’achat de VÉ ne seront plus nécessaires. Mais d’ores et déjà, ne serait-ce que pour le prix d’utilisation du VÉ, l’achat est rentable. Qu’on y songe : aux 100 km, la VÉ consomme 16 kWh X 0,078 $ / kWh = 1,25 $, alors que le véhicule à essence moyen consomme 8,2 litres X 1,42 $ / litre = 11,64 $, c’est 9 fois moins cher de rouler à l’électricité. Une économie annuelle d’environ 2 000 $.
Enfin, le débat entre la vision du paradigme de l’électrification et celui des énergies fossiles ne doit pas se limiter au seul enjeu de la politique énergétique. Il est aussi inséparable de la politique industrielle. L’objectif du gouvernement du Québec de développer l’électrification des transports en s’appuyant sur le développement de l’industrie du transport électrifié est excellent. Toutefois, il faut reconnaître que plusieurs mesures ne sont pas déployées à la bonne échelle. D’abord, on ne devrait pas mobiliser des montants trop élevés pour soutenir l’achat de VÉ dans la mesure où ces véhicules sont fabriqués hors Québec. Il faudrait plutôt compter sur un bonus-malus qui serait conçu pour être neutre d’un point de vue des dépenses publiques et rediriger la centaine de millions prévus à cet effort vers le développement du transport collectif électrifié, parce que sa mise en place implique des retombées socioéconomiques importantes, y compris en termes de retombées fiscales. Qu’on y songe, encore une fois : chaque avancée dans le domaine du transport collectif électrifié représente de nouveaux emplois dans le secteur des équipements de transport, un détournement de flux de revenu en faveur de projets d’énergie renouvelable (hydraulique, éolien, biomasse) plutôt que vers l’exploitation des énergies fossiles, en même temps qu’une diminution des impacts environnementaux et de santé. Encore là, avec une volonté assumée d’un changement d’échelle dans les investissements à réaliser, ça pourrait devenir rapidement le début d’un cercle vertueux débouchant sur le déploiement à grande échelle de l’électrification des transports collectifs.
Les exemples concrets ne manquent pas de ce qu’il faut faire pour y arriver. C’est de cela que nous parlerons dans le 2e billet de cette série.
Monsieur Robert Laplante nous présente un projet d’électrification des transports qui pourrait propulser l’économie québécoise dans le peloton de tête des pays en voie de s’émanciper de la dépendance au pétrole : Un Réseau national de monorail haute vitesse.
On peut voir sa conférence ici : http://www.echangescitoyens.org/archives/videos/rl-monorail.php
Excellent texte. Très éclairant. Continuer!
[...] ce gouvernement ne fait rien pour infirmer mes intuitions (voir mon billet du 28 janvier). Que ce soit par le dévoilement d’une politique de la mobilité durable assez insipide ou par [...]