Dans un premier article sur le sujet, je vous ai présenté une synthèse du document du Comité conjoint AQOCI-MRI. Je vous signalais la grande pertinence de ce dernier dans les débats en cours et à venir. À partir de là j’avançais l’idée que les quelques 45 recommandations couvrant tout ou presque s’appuyaient sur deux socles : de un, sur la nécessité politique d’une Agence québécoise de solidarité internationale (AQSI) pour l’avenir de cette solidarité québécoise avec le Sud dans la prochaine décennie ; de deux, sur une nouvelle avenue de caractère plus économique, celle d’un fonds de développement stratégique en partie doté par l’État québécois et dédié aux PME collectives (coopératives et autres) dans les pays du Sud, faisant du prêt et de la garantie de prêt.
Pourquoi deux socles plutôt qu’un ? Allier la logique du don à celle du prêt
Le premier socle est celui du don pour une justice sociale dans le monde. C’est l’orientation des OCI du Québec et c’est heureux. Le second est celui du prêt et de la garantie de prêt pour la solidarité économique comme l’ont conçu notamment les organisations syndicales avec leurs fonds de travailleurs et leurs caisses d’économie. Ce dernier type de présence du Québec dans le Sud n’existe pas encore mais se pratique largement ailleurs, notamment en France, en Suisse et en Italie. C’est là un levier complémentaire de la solidarité internationale qui serait pratiquée dans l’avenir par les OCI et des organisations économiques québécoises qualifiées en la matière. Un fonds pérenne dans sa capacité d’investissements socialement utiles parce qu’il serait économiquement viable (comme les fonds de travailleurs le sont) tout en faisant du «placement social» centré sur le soutien à des initiatives génératrices de revenus de partenaires du Sud. L’expérience de nombreuses OCI dans le Sud témoigne d’une injustice profonde à laquelle nous pouvons répondre : celle de populations privées de services de crédit pour leur développement car leur condition socioéconomique se caractérise par le manque de patrimoine, le manque de revenus fixes et le manque de relations pour obtenir du crédit.
Il faut prendre acte que la coopération Nord-Sud actuelle du Québec, celle du gouvernement comme celle des OCI et autres acteurs, passe par le don et la prestation de services sans contrepartie depuis plus de 40 ans. Ce n’est pas un défaut que de miser sur le financement public. C’est même tout en l’honneur des OCI d’avoir réussi à gagner d’arrache-pied ce type de financement. Mais la coopération internationale de proximité qui a été mis en place depuis plus de quatre décennies a des limites. D’une part le financement public est beaucoup moins au rendez-vous et d’autre part la demande de partenaires du Sud, notamment pour financer des infrastructures économiques locales, se présente avec de plus en plus de force dans un grand nombre de projets et cela depuis déjà un bon moment.
L’avenir de la solidarité internationale peut reposer sur cette association et cette complémentarité du don et du prêt. Aider à créer de la richesse dans le Sud, par le soutien à des entreprises collectives n’est pas incompatible, loin de là, avec un travail de soutien à des mouvements sociaux luttant pour une justice sociale et écologique. L’avenir est plutôt à la complémentarité des deux.
L’actualisation du projet est incertaine
Reste qu’aujourd’hui, nous entrons dans la zone des incertitudes : quel plan de match pour les prochains mois ? Pas simple ! Premier et principal scénario : nous avons un gouvernement minoritaire, il est le principal porteur politique de ce projet, et par les temps qui courent, il laisse planer la tenue d’une élection à court terme fin mars, début d’avril. La solidarité internationale risque alors d’entrer dans un passage à vide. Elle fait très rarement partie des enjeux d’une élection. Il faut donc que l’AQOCI fasse tout ce qui lui est possible de faire pour que le gouvernement bouge immédiatement dans la direction d’une AQSI avant cette élection et que les groupes concernés plongent dans la mêlée électorale en faisant savoir haut et fort ce qu’ils veulent avec l’appui de grandes organisations, les centrales syndicales en premier lieu, et de grandes institutions comme par exemple les 11 collèges publics qui ont des programmes avec le Sud. En bout de ligne, si le Parti québécois gagne l’élection, il ira de l’avant. Mais s’il perd l’élection, ce projet risque fort sa mise au frigo pour un bon moment. Pourrait-on compter sur le Parti libéral pour aller de l’avant ? Peu probable. À court terme, il faut donc que l’AQOCI obtienne à tout le moins des mesures immédiates dont celle de financer l’étude de faisabilité d’un fonds dédié et une augmentation des budgets de Loto-Québec pour les projets actuellement en demande.
Deuxième scénario : il n’y a pas d’élections à court terme. Dès lors le gouvernement peut mettre ce projet sur l’autoroute avec une loi permettant de créer cette agence. Et c’est parti, de façon minimale, avec un comité consultatif, la mise en place d’un pôle de concertation de tous les acteurs concernés (OCI, syndicats, coopératives, collèges et universités, municipalités avec le gouvernement) et la mise en oeuvre progressive de l’AQSI disposant potentiellement d’un premier budget de $10 à $15 millions. Mais ce scénario est devenu de moins en moins probable.
Les forces en présence
On peut avoir confiance, l’AQOCI ne négligera aucun scénario mais il faut tenir compte du rapport de forces en présence. Du côté de l’AQOCI, l’association a derrière elle une très large majorité de ses membres. De plus elle dispose d’un appui sans équivoque des grandes organisations syndicales sans compter que derrière de projet se profile une symbolique forte d’affirmation nationale portée par cet immense chantier de la solidarité du Québec avec les sociétés du Sud, notamment celles de l’Afrique francophone et de l’Amérique latine. Le PQ est tout à fait à l’aise avec ce projet d’autant qu’il émane en partie de ses propres rangs (Louise Beaudoin). Un lobby auprès de la CAQ et du PLQ reste cependant à faire pour les faire évoluer dans la bonne direction. Quant au projet d’un fonds d’investissement québécois de solidarité internationale, il bénéficierait d’une forte sympathie du côté de plusieurs réseaux internationaux sensibles à ce type de pratique, notamment les Rencontres du Mont-Blanc (RMB) et des échos jusqu’au Sommet international des coopératives d’octobre prochain à Québec. Ce sont des atouts non négligeables que l’AQOCI pourrait faire jouer le moment venu.
Rencontres du Mont-Blanc aux Nations Unies à New-York
Parlant des RMB, mentionnons que le 4 février dernier ce forum international a fait le plein de participants lors d’une conférence au siège des Nations Unies à New-York avec 60 représentants d’Etats, d’agences de l’ONU et d’organisations de la société civile réunis sur le thème de «l’Économie sociale et solidaire: changer les relations économiques pour l’équité et le développement durable dans l’agenda post-2015». Organisé par les RMB, c’est-à-dire par le Forum international des dirigeants de l’économie sociale et solidaire en partenariat avec deux agences de l’ONU, l’UNRISD et l’UN-SLNG, et le soutien du Maroc, de la France et de l’Equateur, les trois États sont intervenus pour affirmer l’engagement de leurs pays respectifs vis-à-vis de l’ÉSS. C’est le troisième exercice de ce type pour ce Forum international. Un premier évènement parallèle avait en effet eu lieu en mars 2012 au siège de l’ONU, puis un deuxième à Rio de Janeiro au Brésil à l’occasion du Sommet de la Terre Rio+20. Ce troisième évènement traduit la volonté affirmée des RMB, lequel dispose d’un statut consultatif spécial auprès du Conseil Economique et Social de l’ONU, de faire reconnaître l’entrepreneuriat collectif comme un modèle économique et social durable en réponse aux défis mondiaux actuels, au sein des Nations Unies et auprès des Etats. Rappelons que plusieurs organisations québécoises participent activement à ce Forum depuis sa fondation en 2004. Les principales sont Développement solidaire international (DSI), Fondaction et la Caisse d’économie solidaire Desjardins. Tous les trois ont d’ailleurs une représentation officielle au sein de sa direction par l’intermédiaire respectivement de Claude Dorion, de Léopold Beaulieu et de Gérald Larose.
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