Dans les années 1960-1970, pour l’essentiel, le terrain de la coopération internationale était occupé par deux joueurs. En mode majeur, l’État canadien. En mode mineur, de petites et moyennes ONG en plein développement. Nous n’en sommes plus là : à partir des années 1980-1990, les acteurs se sont diversifiés : maisons d’enseignement et centres de recherche universitaires ; municipalités ; syndicats de travailleurs et d’agriculteurs ; coopératives et entreprises associatives. L’État du Québec commence à s’en mêler directement avec l’arrivée du Parti Québécois au pouvoir en 1976. Un coup d’envoi concomitant avec la création de l’AQOCI qui regroupe les ONG du Québec. Puis, dans les années 1990, les relations entre le Québec et l’ACDI se refroidissent. Québec songe à créer une Agence québécoise de solidarité internationale (AQSI). Un premier dispositif est mis sur pied : un secrétariat à l’aide internationale en 1997. Mais nous voilà en 2011 avec le grand coup de pied du gouvernement fédéral dans les OCI progressistes qui se voient drastiquement couper les vivres.
Le vent est cependant en voie de tourner dans la bonne direction si on se fie à la dernière assemblée générale spéciale de l’AQOCI du 13 décembre dernier. On sait que le Québec de la solidarité internationale avec le Sud est entrée en crise. Nous en avons abondamment parlé dans une série d’articles qui rendait compte de la crise et de la première riposte de l’AQOCI pour faire face à cette crise. Qu’il y ait crise dans la demeure, çà on le sait! Mais quelles sont les pistes de sortie de crise? Un comité conjoint AQOCI-MRI s’en est chargé.
Le document de travail de ce comité conjoint était promis pour la fin de l’année 2013. Ce qui fut fait. Il a été présenté dans le cadre d’une AG spéciale de l’AQOCI. Promesse tenue quant aux échéances, ce qui est déjà quelque chose mais promesse tenue aussi par la force du contenu présenté dans ce document d’orientation de plus de 50 pages soumis aux 125 participants réunis au Centre Saint-Pierre en décembre dernier. En quoi consiste-il ?
45 recommandations qui couvrent tout
Les recommandations couvrent tout. Mais elles s’appuient, à mon avis, sur deux socles : le document est très clair sur la nécessité d’une Agence québécoise de solidarité internationale (AQSI) pour l’avenir de la chose dans la prochaine décennie. Une autre avenue, relativement nouvelle, a aussi émergé à titre de proposition importante, celle d’un fonds de développement stratégique en partie doté par l’État québécois et dédié aux PME collectives (coopératives et autres) dans les pays du Sud, faisant du prêt et de la garantie de prêt. À la CRDC nous avons mené enquête sur cette dernière hypothèse car des fonds dédiés de cette nature existent ailleurs et çà marche. Mentionnons ici que le résultat de cette enquête a abouti dans les cartons du Comité AQOCI-MRI suite à sa consultation menée auprès d’une quarantaine d’organisations en provenance des OCI, des syndicats, des coopératives, des municipalités, des maisons d’enseignement, le tout adossé à 15 recherches d’appoint.
Objectifs, mission et orientation de la solidarité du Québec avec le Sud
D’abord le document dont l’intitulé est Document de réflexion sur la création d’une Agence québécoise de solidarité internationale distingue bien la «solidarité» de la «coopération», la première étant davantage axée sur le partenariat, l’égalité et le partage dans des actions qui contribuent et appuient les efforts de développement du Sud. Puis il plonge dans les objectifs de cette AQSI : coopérer avec les populations et pays partenaires dans leurs efforts de prise en charge de leur développement. Plus concrètement, le document recommande la mise en place d’un pôle de concertation et de coordination des diverses actions québécoises en solidarité qui devra inclure tous les acteurs concernés (organisations de la «société civile», ministères et autres dispositifs publics).
Le document postule également la création de cette nouvelle agence dans le contexte international de l’Agenda post-2015 de l’ONU qui considère le «développement durable» comme étant au coeur des débats à venir. Concluant par là que l’éradication de la pauvreté, pas seulement l’extrême pauvreté, serait une priorité de la future agence et donc devra privilégier une approche de lutte contre les inégalités. La faible reconnaissance des droits fondamentaux, des actions structurantes dans la durée, la création d’espaces de convergence pour développer des alliances, le cofinancement de projets, etc. sont les solutions de caractère structurel mises de l’avant. On y parle aussi d’une mise à contribution de centres et de chaires de recherche pour faire de l’AQSI un véritable centre de référence en matière de solidarité internationale.
Puis dans la perspective d’un partage d’expertise avec le Sud, l’AQSI pourrait y aller de priorités en matière de formation professionnelle et de renforcement des «capacités de gouvernance». De nouveaux programmes pourraient être accessibles pour l’ensemble des acteurs concernés, pas seulement les OCI, le tout dans la mesure où l’agence serait dotée d’un budget conséquent. Les OCI demeurent les premiers de cordée dans la mesure où la société civile est déterminante pour le développement des sociétés pour assurer la défense de droits et pour influencer les politiques publiques nationales et internationales. De même les partenaires du Sud ne doivent pas être considérés comme des bénéficiaires mais comme des partenaires. Bref la coproduction de projets et un travail conjoint pour assurer une portée à long terme doit prévaloir.
La gouvernance de l’AQSI, ses acteurs, son financement, ses secteurs d’intervention
L’AQSI serait autonome mais inscrite dans le ministère, le MRIFCE. Il sera doté d’un Comité consultatif, d’un budget minimal de 50M$ commençant la première année par un budget de 10 à 12M$ le tout sur un horizon de trois ans. Une des principales pistes de financement est de mettre en place un Fonds d’investissement québécois de solidarité internationale dédié. Quant aux secteurs prioritaires d’intervention de l’Agence, il y en aurait entre cinq et sept là où le Québec «possède une valeur ajoutée» : éducation et formation professionnelle, développement coopératif, droits humains, agriculture et économie sociale figurent en tête de liste. Et une règle du 80-20 mise en application (80% pour les secteurs prioritaires, 20% pour l’innovation). Les pays d’intervention priorisés seraient ceux de l’Afrique francophone, de l’Amérique latine et Haïti. Et perspective qui ne dément pas notre tradition en la matière: Les montants versés à l’aide humanitaire ne devraient pas dépasser 5% du budget de l’AQSI.
Les conditions sont propices à un tel déploiement
Pour le comité conjoint, les conditions sont présentement propices à ce que le gouvernement québécois se dote d’une politique qui lui est propre en matière de solidarité internationale. Il est d’avis que l’AQSI devrait faire partie d’un projet ambitieux muni d’un plan d’action structuré et élaboré en collaboration avec l’ensemble des acteurs québécois de solidarité internationale. Cinq éléments apparaissent nécessaires à la création d’une agence : 1) une volonté politique qui est partagée par tous les partis politiques, la population et la société civile; 2) une complicité avec l’Assemblée nationale; 3) une vision ambitieuse inscrite dans une politique publique; 4) une démarche progressive; et 5) un Comité consultatif qui représente l’ensemble de la société.
Mesures immédiates
Dans les mesures immédiates, retenons que le Comité recommande la création d’un comité consultatif, la mise en place d’un pôle de coordination et de concertation de tous les acteurs concernés. Au plan du financement à court terme, il propose d’augmenter les montants en provenance de Loto-Québec versés au Fonds d’action à l’aide communautaire autonome, et par conséquent au Fonds d’action à l’aide humanitaire internationale (FAAHI) Il propose également de prévoir la mise en place du Fonds d’investissement québécois pour la solidarité internationale.
De quelques points qui restent à clarifier
La notion de «société civile» reprise de la Banque mondiale demeure relativement ambigüe dans la mesure où sont inclues dans l’éventail des organisations, les organisations confessionnelles ou les fondations privées par exemple, deux types d’organisations dont on sait qu’elles font l’objet de sérieuses controverses en matière de coopération internationale. La présence des municipalités et des syndicats demeure trop discrète. Le rôle du secteur privé est questionné en lien avec un développement durable. Mais TPE, PME et multinationales sont mises implicitement dans le même panier. Risqué ! Le comité a cependant une préférence pour les entreprises collectives lorsqu’il avance l’idée d’un fonds de soutien aux PME coopératives, associatives et mutualistes des pays en développement en insistant sur la croissance inclusive durable.
Au final, retenons que le comité conjoint a fait un travail titanesque. En témoigne la palette des consultations réalisées. Et un travail remarquable de pertinence qui permettra sans doute dans les débats à venir avec le ministère concerné un élargissement des possibles. Prochain billet : le plan de match des prochains mois.
[...] Dans un premier article sur le sujet, je vous ai présenté une synthèse du document du Comité conjoint AQOCI-MRI. Je vous signalais la grande pertinence de ce dernier dans les débats en cours et à venir. À partir de là j’avançais l’idée que les quelques 45 recommandations couvrant tout ou presque s’appuyaient sur deux socles : de un, sur la nécessité politique d’une Agence québécoise de solidarité internationale (AQSI) pour l’avenir de cette solidarité québécoise avec le Sud dans la prochaine décennie ; de deux, sur une nouvelle avenue de caractère plus économique, celle d’un fonds de développement stratégique en partie doté par l’État québécois et dédié aux PME collectives (coopératives et autres) dans les pays du Sud, faisant du prêt et de la garantie de prêt. [...]