Québec d’aujourd’hui redécouvre l’économie de proximité comme le confirme le dossier de la revue Kaléidoscope dans son numéro d’hiver, Le développement collectif dans tous ses états, numéro auquel j’ai participé, article repris de façon sélective par le journal Le Devoir.
Qu’est-ce à dire ? Dans un contexte où les communautés locales sont de plus en plus inquiètes des transformations de l’économie – notamment des pertes de souveraineté qu’elles entraînent sur leur territoire et leurs ressources et de la menace qu’elles font peser sur l’emploi local et régional – l’idée d’un renforcement d’une «économie de proximité», ancrée dans les territoires, axée sur les besoins plutôt que sur l’offre et disposant de règles prudentielles est perçu par plusieurs comme un espoir réinventé. Le Québec n’est pas la seule société du Nord à avoir opté pour la consolidation de cette dernière. Parce que cette économie «sédentaire», faiblement exposée à la compétition mondiale (agriculture biologique, construction, services de santé de première ligne, production et distribution de l’électricité…), est un garde-fou important en temps de crise et un des dispositifs pour contrer les multinationales qui envahissent sinon gouvernent trop nos vies et notre développement local et régional. Cette dynamique n’est pas le propre de sociétés du Nord. Dans les pays du Sud, une dynamique similaire est bel et bien présente sous un jour cependant différent compte tenu du type de développement qui est le leur.
Les économies de proximité au Sud et notre coopération internationale
Au Sud, cette pratique existe depuis longtemps mais c’est à la fin des années 1990, que le succès du micro-crédit a ouvert la porte au développement de la micro-finance laquelle englobe toute une gamme de services financiers à destination des communautés concernées : épargne, crédit, assurance, systèmes de prêt rotatif, fonds d’investissement dédiés aux PME locales…
C’est que l’un des problèmes et non le moindre des communautés du Sud a trait à la condition socioéconomique de la majorité de leur population caractérisée par le manque de patrimoine, le manque de revenus fixes et le manque de relations pour obtenir du crédit. C’est exactement la situation des agriculteurs et des travailleurs du Québec au début du 20e siècle qui a donné naissance aux caisses Desjardins. Bref il leur faut une épargne pour le développement et ce qui va avec c’est-à-dire des services de crédit. C’est pour répondre à cet enjeu que la coopération internationale de proximité du Québec propose au gouvernement de mettre en oeuvre un projet de Fonds dédié aux PME collectives des pays du Sud. Cela découle directement du document produit par un comité conjoint AQOCI-MRI et dont j’ai fait état dans un billet précédent. Ce projet est dans la mire de la future agence québécoise de solidarité internationale (AQSI).
Des OCI québécoises dans la mêlée
Des OCI du Québec se sont dans les dernières années engagées dans cette voie comme la Caisse d’économie solidaire Desjardins avec des caisses rurales au Brésil, comme UPA DI avec des organisations paysannes en Afrique de l’Ouest, comme DID et SOCODEVI avec des instituions de micro-finance (IMF) dans de nombreux pays du Sud. C’est aussi une des directions que prend le Fonds Solidarité Sud dans son soutien à des organisations en Afrique de l’Ouest et en Amérique latine.
Un dispositif important de l’économie de proximité : la micro-finance solidaire
Comment la micro-finance solidaire fonctionne-t-elle concrètement? Au Pérou par exemple, une famille (père, mère; leurs deux fils et leurs épouses) cultive huit hectares de café biologique. Grâce à un prêt de la coopérative La Florida, pour sa mise en marché, le café de cette famille et de bien d’autres est aujourd’hui commercialisé. Autre exemple encore plus probant : au Sénégal, des familles paysannes obtiennent un prêt auprès de la Caisse rurale de leur organisation, l’Union des groupements paysans de Meckhé qui regroupe 5 000 membres exploitant 2 050 terres agricoles. Cette organisation a d’abord mis sur pied une caisse d’épargne et de crédit rurale (en collaboration avec une ONG française) puis a développé un système de prêt rotatif adossé à un programme de formation (UPA DI) qui débouche sur un plan d’affaires et un prêt variant de $500 à $1000. À cette hauteur ce type de prêt permet de mettre les paysans qui empruntent à temps plein pour cultiver leur terre (arachides, mil, manioc, haricots) ou démarrer des élevages (de moutons par exemple). Notre coopération avec le Sud, à une plus grande échelle, peut aider à solidifier ces économies de proximité.
La chaîne de solidarité Nord-Sud qui bâtit cette économie de proximité
C’est une chaîne de solidarité à quatre maillons : a) un investissement solidaire de Québécois (épargnants et investisseurs) organisés à partir de fonds de développement dédiés (associatifs ou coopératifs) ou, à plus grande échelle, d’un fonds national (québécois) dédié du type de nos fonds de travailleurs ; b) des OCI présentes sur le terrain dans le Sud; c) des structures locales d’accueil de ce financement au Sud (ONG, caisses d’épargne et de crédit…); d) des micro-entrepreneurs (en agriculture, en commerce, en artisanat…) qui sont les bénéficiaires de prêts.
Qu’est-ce qu’un système de prêt rotatif?
Le prêt rotatif est un financement autorisé par une ONG et/ou par une caisse d’épargne et de crédit (sous gestion d’organisations locales comme une organisation paysanne ou une association centrée sur la création d’emplois et d’activités génératrices de revenus). Ce prêt permet à une famille ou un groupe de financer son développement en investissant dans un projet d’entreprise pour son démarrage, sa consolidation ou son développement dans le cadre d’une démarche collective à laquelle adhère les emprunteurs à l’effet que le prêt provient de la communauté et que le remboursement revient à la communauté pour aider de nouveaux projets d’entreprise. L’expérience démontre que le taux de remboursement est généralement très élevé.
Cette micro-finance est un des rares outils de développement ayant été conçus en grande partie dans des pays du Sud et est adaptée aux pays du Sud. Dans le cadre de la coopération internationale de certains pays, en Europe surtout, elle s’est solidifiée simultanément aux autres actions de solidarité internationale, souvent à l’initiative de grandes ONG, de coopératives ou de syndicats agricoles. Il y a là une grande proximité avec l’histoire au 19e et 20 siècles de ces mouvements au Nord.
Beaucoup d’institutions de micro-finance (IMF) ont été au départ des ONG de développement qui ont été amenées à diversifier leurs activités et se sont petit à petit consacrées à soutenir des activités génératrices de revenus. Simultanément des coopératives ou mutuelles ont commencé à octroyer également des microcrédits adossés à de l’épargne afin de répondre aux besoins de leurs membres. Petit à petit le secteur de la micro-finance s’est développé et s’est professionnalisé avec l’arrivée d’établissements bancaires qui ont adapté leurs produits au contexte et à l’échelle de la micro-finance aidée en cela par des OCI d’ici et d’Europe notamment.
Un paysage varié
Aujourd’hui le paysage de la micro-finance est très varié. Certaines de ces initiatives, en grandissant, ont changé de statut pour devenir de véritables institutions financières locales contrôlés par leurs membres. Aujourd’hui, en moyenne, ces dernières peuvent être financées à hauteur de 75% par du financement local et à 25% par des lignes de crédit provenant de fonds d’investissements coopératifs ou mixtes et des bailleurs internationaux (agences de développement et fondations).
Plusieurs OCI au Québec peuvent s’emparer de cette stratégie de développement
Tout çà ne relève pas du simple dispositif financier à finalité sociale. Il amène avec lui un changement du paradigme de notre coopération avec le Sud: ne pas miser uniquement sur une logique de don. Miser aussi sur les épargnes collectives et individuelles des uns (au Nord) et des autres (au Sud) pour faire du développement dans leurs communautés et sortir de l’économie de subsistance. Une ONG de développement, une organisation paysanne, une coopérative de développement ou une association de quartier travaillant avec des OCI du Québec peuvent s’emparer de cette stratégie de développement qui permet de faire progresser le tissu économique collectif local. Ce qu’on appelle aussi le développement de l’intérieur, une économie de proximité «sédentaire» sur laquelle peut s’appuyer le développement social d’une communauté.
Et comme le local d’aujourd’hui est de plus en plus international, les initiatives les plus engagées dans cette dynamique se sont données un dispositif international qui les met en réseau. INAISE est un réseau d’une cinquantaine d’organisations de finance solidaire présentes dans une trentaine de pays d’Europe, d’Amérique latine et d’Afrique. MCE Conseils est le point de chute de cette organisation au Québec. Dossier à suivre avec l’AQOCI dans la foulée du rapport dévoilé par le ministre Lisée le 24 février dernier. Pour en savoir plus sur ce projet de fonds stratégique dédié, j’ai mis à jour le document que j’avais soumis au Comité conjoint à cet égard en juin dernier. Disponible sur le site de la CRDC dans sa page d’accueil, rubrique «Nouvelles publications».
Saviez-vous qu’au Québec nous avons aussi des organismes de microfinance locaux? Ils sont regroupés au sein du Réseau québécois du crédit communautaire rqcc.qc.ca. Fonds et cercles d’emprunt soutiennent le démarrage et l’expansion de nombreuses micro-entreprises au Québec, en milieu urbain mais aussi en milieu rural.Bien plus qu’un microprêt, ces organisations accompagnent les microentrepreneurs et sont un des facteurs de leur succès. Le Mouvement Desjardins est fier d’être l’un de leurs principaux partenaires et de soutenir leur action.
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