Dans un article précédent, nous avons vu que, pour éviter de recréer les conditions qui ont mené à la violente crise financière que nous venons de traverser, il faudra trouver des politiques de lutte au déficit différentes de celles des dernières décennies. Les spécialistes de la nouvelle pensée « libérale » progressiste, tels que Stiglitz ou Krugman, nous disent qu’il faut revenir vers un modèle d’État social fondé sur une plus grande justice fiscale, soit en faisant payer les impacts de la crise par ceux qui en ont le plus profité.
D’ores et déjà, nous constatons que des gouvernements ou des parlementaires envisagent divers scénarios pour non seulement combler les déficits budgétaires mais pour redonner aux pays les moyens d’agir pour combler les déficits sociaux et écologiques. De toute évidence, la tâche sera ardue. Alors que les déficits sociaux et écologiques exigeraient une mobilisation exceptionnelle des ressources publiques pour répondre aux défis de court et moyen terme, les déficits budgétaires entraînées par la crise ramènent les finances publiques dans leur pire situation depuis 30 ans. Un des seuls facteurs positifs que l’on peut constater, c’est que le Québec s’en tire mieux que les autres pour le moment. En principe, nous devrions voir se rétrécir l’écart entre l’endettement du Québec et celui de ses voisins, diminuant par le fait même les pressions sur nos finances.
Prenons l’exemple du déficit des États-Unis. Pour 2008-2009, il s’est élevé à 1 420 milliards $, soit 10 % du PIB. On s’attend à ce qu’il soit à un montant équivalent l’an prochain. Ce sera donc un montant de 3 000 milliards qui s’ajoutera à une dette publique de 6 700 milliards $. Selon les projections de l’administration, le déficit accumulé pour les 10 prochaines années pourrait être au-delà de 9 000 milliards. En proportion du PIB, la dette passera de près de 50 % à entre 75 et 80 % dès l’an prochain et pourrait dépasser les 100 % d’ici quelques années.
Au Canada la situation est moins dramatique, mais nous rappelle que l’économie de l’Ontario est aussi sous tension qu’au sud de la frontière. Pour l’ensemble du Canada, on pense que les déficits publics ajouteraient une centaine de milliards $ à la dette. À près de 1 000 milliards $, elle s’approchera ainsi de 70 % du PIB. Mais cette évaluation est assez conservatrice : le gouvernement de l’Ontario vient d’annoncer que son déficit pour l’année en cours sera de près du double à ce qui était prévu, soit 25 milliards $ au lieu de 14 milliards. Avec la répétition actuelle du scénario « catastrophe » de remontée du prix du pétrole et du huard, rien n’indique que la détérioration des déficits publics ne conduira pas le Canada vers une dette dépassant le seuil fatidique de 100 % du PIB dans la présente décennie.
Dans ces conditions, on peut être sûr que les forces de droite martèleront la population avec un programme de réduction massive des dépenses publiques. La situation est trop belle pour eux d’en profiter pour détruire l’État social tel que nous le connaissons pour le ramener au modèle de l’Alberta. On peut aussi penser, comme le craint le Bloc québécois, que les Conservateurs pigeront dans la caisse d’assurance-emploi pour combler le déficit structurel. Selon la firme Dale Orr Economic Insight, les travailleurs canadiens pourraient voir leurs primes d’assurance-emploi grimper de 632 $ sur quatre ans tandis que les hausses des primes des employeurs pourraient être encore plus importantes. La cotisation supplémentaire pourrait atteindre environ 15,5 milliards $ d’ici 2014-15, selon l’échéancier présenté dans la dernière mise à jour économique du ministre Flaherty.
Mais d’autres choix sont possibles. Comme nous le rappelait Pierre Paquette dans un article paru dans OikosBlogue, on peut faire en sorte que la lutte au déficit soit partagée par tous les acteurs économiques. Le Bloc québécois propose un plan de lutte au déficit qui s’attaque aux bonnes cibles. Tout d’abord en s’attaquant aux iniquités de la fiscalité canadienne : c’est 3 milliards par année que le fisc pourrait récupérer chaque année en mettant fin aux échappatoires vers les paradis fiscaux; un autre 3 milliards serait engranger en mettant fin aux privilèges scandaleux consentis aux pétrolières.
Afin de redonner au système fiscal son caractère progressif, le Bloc Québécois pense que les personnes ayant un revenu imposable supérieur à 150, 000 $ devraient contribuer à la lutte du déficit en payant une surtaxe de 1 %, ce qui mettrait 1,5 milliards de plus par année dans les coffres de l’État. Enfin, en mettant aussi un frein à l’orgie de dépenses militaires, le Bloc Québécois estime que les mesures qu’il propose permettraient d’économiser 16 milliards par année dans les dépenses publiques, ce qui permettrait de combler une bonne partie du déficit structurel du budget canadien.
Mais, il faut le rappeler encore une fois, l’enjeu actuel n’est pas de simplement combler le déficit budgétaire : il faut rapidement combler les déficits sociaux et environnementaux en engageant le Canada dans un vaste programme de réforme sociale et dans un programme majeur sur le climat. Sur ce dernier point, il faut mobiliser les ressources publiques dans une « guerre aux changements climatiques ».
Le gouvernement doit se donner les moyens d’agir. Comme le suggère plusieurs analystes, il doit revenir sur sa décision de diminuer la TPS et relever cette dernière au niveau de 7 %. Sur cette question, le Québec doit de façon urgente récupérer les deux points de pourcentage dans la TVQ de façon à négocier le transfert de ces points au Québec, aux fins de solutionner le déséquilibre fiscal auquel le Québec fait face, avant que le fédéral rehausse la TPS. Pour chaque point de % de taxe, les gouvernements augmentent leurs revenus de 7 milliards (dont 6 milliards $ au fédéral et un peu plus de 1 milliard au Québec). Pour le gouvernement canadien, la récupération des deux points de % représente donc un 12 milliards supplémentaires.
Mais il faut davantage. Il faut aussi viser plus spécifiquement ceux qui ont profité de la spéculation et qui ont allègrement recommencé à abuser de la situation de quasi monopole dont ils disposent pour s’enrichir abusivement aux dépends de la majorité. En France, le président socialiste de la commission des Finances de l’Assemblée nationale, Didier Migaud, a rallié plusieurs voix, même de l’UMP, pour appliquer l’an prochain au secteur bancaire un supplément d’impôt sur les sociétés de 10%. Cette idée, que l’État se réapproprie une partie plus importante de la rente de situation canalisée par les institutions financières, fait son chemin un peu partout. Devant la demande pressante provenant de la population, qui pour les années à venir devra payer les frais de la folie spéculative, le gouvernement Sarkosy va proposer un amendement créant une taxe spécifique pour les banques, égale à 0,04 à 0,08 % de leurs fonds propres réglementaires, destinée à financer leur supervision. Le produit de la taxe représenterait pour les banques un effort autour de 100 millions d’euros par an.
Aux États-Unis, c’est le président de la Fed, Ben Bernanke, qui considère que pour renforcer le capital des banques, des mesures doivent être prises et que ces établissements doivent payer une taxe pour le risque qu’ils représentent pour la collectivité. Comme le déclare Lawrence Summers devant un parterre de financiers, « Wall Street n’a pas été une petite partie de la cause de la crise et Wall Street doit faire partie de la solution. Il n’est pas un établissement financier qui existe aujourd’hui qui ne soit pas le bénéficiaire direct ou indirect des milliers de milliards de dollars de soutien du contribuable. Cela à un rapport direct avec la nature changeante du contrat social entre le secteur financier et l’économie au sens large. »
Je termine cette partie en soulignant que l’État devra aussi procéder à une refondation importante de la fiscalité pour la rendre plus « verte ». Comme le font les pays qui ont décidé de mettre en place une taxe sur le carbone, il est absolument nécessaire de repenser la fiscalité de manière à inciter la consommation de biens à faible intensité de carbone (services publics, transport collectifs, culture, etc.) et à décourager celle de biens intensifs en carbone (énergie fossile). On sait que les populations rejettent ces politiques, malgré qu’elles se disent très préoccupées par les changements climatiques. Nous devons profiter de la situation de crise pour refonder, en profondeur, la fiscalité sur la base d’un nouveau contrat social.
Si la nouvelle fiscalité écologique répond au principe d’équité, un gouvernement pourra obtenir l’appui des citoyens. Elle ne pourra l’être, que si elle prend davantage aux plus riches et à ceux qui profitent de privilèges, comme par exemple l’industrie du pétrole qui profite d’une rente exceptionnelle, qui ne pourra que croître dans les années à venir, pour investir dans le bien commun. Il serait d’ailleurs temps pour l’État de s’accaparer entièrement de cette rente pétrolière. La nouvelle fiscalité doit aussi permettre de dégager des moyens financiers pour investir massivement dans l’efficacité énergétique, de manière à ce que, dans un délai raisonnable de 4-5 ans, l’augmentation de la facture énergétique des ménages puissent être compensée par des économies découlant d’une plus grande efficacité énergétique.
Dans la prochaine et dernière partie, je vais soumettre quelques réflexions sur le cas du Québec.
[...] l’avons constaté dans les articles précédents (1ère partie et 2ième partie), la crise économique implique des dépenses exceptionnelles en même temps que des diminutions [...]