Intuitivement, nous comprenons bien que le soleil pourrait servir de source inépuisable d’énergie pour remplacer le pétrole. Mais pour l’instant, la technologie des panneaux photovoltaïques ne constitue pas une solution économique alternative, du moins dans le court terme. Cependant, l’énergie solaire ne se capte pas seulement par cette technologie; le mode thermique peut fournir une solution plus économique lorsqu’utilisé sur à grande échelle.

C’est justement cette technologie, simple, qui ne demande pas l’utilisation de matériaux rares qui en ferait grimper les coûts, et qui, contrairement au photovoltaïque, peut emmagasiner la chaleur et continuer à fonctionner la nuit, qui devrait être principalement utilisée dans un projet énergétique pharaonique qui exigerait une mobilisation très importante de capitaux sur un horizon de long terme : le Desertec Industrial Initiative (DII).

Le projet Desertec est une initiative industrielle unique en son genre menée par un consortium de 12 entreprises, conduite par le réassureur Munich Re et la Deutsche Bank, dont font partie les géants de l’ingénierie allemande et suisse Siemens, E.ON, ABB. C’est un projet initié par le Club de Rome, qui avait, dans les années 1970, lancé le fameux appel Halte à la croissance ! Leur but : utiliser les déserts pour produire de l’électricité.

D’abord une donnée de base : 90% de la population mondiale habite à moins de 3000 km des déserts. D’où l’idée du Club de Rome : installer de gigantesques centrales thermiques dans le désert pour subvenir aux besoins énergétiques mondiaux. Le projet Desertec prévoit l’installation d’une vingtaine de centrales solaires de 5 GW chacune. Soit environ 100 GW, presque autant que la capacité de production électrique française. De quoi fournir en électricité la région nord-africaine et, au-delà, l’Europe. Selon ses promoteurs, Desertec pourrait fournir 15% des besoins en électricité de l’Europe en 2050.

Mais les problèmes techniques sont importants. La plus grosse centrale thermique actuelle se trouve au Portugal et a une puissance maximale de 46 MW. L’avantage des centrales thermiques solaires à concentration réside dans leur mode de fonctionnement. La lumière du soleil est d’abord concentrée par des miroirs paraboliques vers des tours géantes remplies d’un fluide calorifique qui, transformé en vapeur, alimente comme dans une centrale conventionnelle des turbines productrices d’électricité. Étant donné qu’il est possible techniquement et économiquement de stocker la chaleur, les centrales thermiques solaires sont en mesure, grâce à l’énergie solaire stockée, de produire par temps couvert ou même la nuit de l’électricité.

Ce projet déclenche de nombreuses polémiques. Par exemple, le leader allemand du solaire, Solarworld, qui utilise le solaire photovoltaïque (avec des cellules photovoltaïques, une toute autre technologie que le solaire thermique), explique que « construire des centrales solaires dans des pays instables conduit à une dépendance similaire à celle qui existe déjà vis-à-vis du pétrole. »

Par ailleurs, pour alimenter l’Europe, il exige le transport d’électricité par câbles sous-marins sous la Méditerranée. Le soleil est puissant et abondant dans le désert, mais le vent de sable pourrait dépolir les miroirs et les rendre inopérants rapidement. Les technologies sont en pleine mutation et de nombreuses avancées sont à même de résoudre ces problèmes.

Le coût de ce projet est estimé à quelque 400 milliards d’euros, dont 350 milliards pour les centrales elles-mêmes et 50 milliards pour les réseaux de transmission électrique.

L’Union européenne, poussée par l’Allemagne qui a fait de ce projet le sien, devrait être mise à contribution. C’est en tout cas ce qu’a déclaré la chancelière allemande Angela Merkel et le président de la Commission européenne José Manuel Barroso, qui ont déjà salué l’initiative et indiqué que l’UE pourrait apporter des crédits. Mais l’échéance du projet est à 2050, et le projet doit encore être plus abouti pour discuter des financements.

Bien sûr, on peut trouver bien des défauts à ce projet gigantesque. Mais le principal avantage que j’y trouve, c’est justement son ampleur. Il permettrait de canaliser une masse extraordinairement importante de capitaux dans un projet industriel sur un horizon de long terme plutôt que vers des transactions spéculatives totalement improductives. C’est exactement de ce genre de projets que nous avons besoin dans ce monde où les caisses de retraite et autres investisseurs institutionnels regorgent d’actifs.

D’un point de vue technique, l’ampleur de ces centrales thermiques est loin d’être insurmontable. Aux États-Unis, plusieurs projets sont en cours dans les déserts de l’Arizona et de la Californie, qui au total sont évalués à 8 500 MW d’ici 2014. Les centrales solaires thermiques les plus importantes sont supposées générer entre 250 et 340 MW. Les coûts de production sont assez élevés, mais le secteur étant en émergence, les prix devraient diminuer rapidement à mesure du développement de nouveaux projets. On calcule que les projets installés en 2015 auront un coût de revient de 115 $/MWh, comparé à un coût de 168 $/MWh pour une centrale à combustion à cycle simple ou à 104 $/MWh pour une centrale à combustion à cycle combinée (comme celle de Bécancour).

Le soleil est l’énergie de l’avenir.