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Le samedi 23 avril 2022

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Lutter contre la déforestation : combien ça coûte ?

L’auteur invité est Alain Karsenty, chercheur au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement

À Manaus, Nicolas Sarkozy espérait rallier les pays du Bassin de l’Amazone à un objectif ambitieux de réduction de la déforestation mondiale de moitié d’ici 2020 et d’un arrêt total d’ici 2030. L’absence de la plupart des chefs d’État concernés n’a pas donné à cette réunion le retentissement escompté. Mais le président français a souhaité que 20 % des 10 milliards de dollars d’aides publiques nouvelles aux pays du sud qu’il propose « en plus chaque année pour les trois années qui viennent » soient consacrés à la forêt. La question est d’importance : la déforestation génère environ 15 % des émissions annuelles de gaz à effet de serre.

Le mécanisme REDD (Réduction des Émissions issues de la Déforestation et de la Dégradation) devrait être lancé à Copenhague. Son principe est de rémunérer les pays qui réduisent leurs émissions de CO2 liées à la déforestation.

Le coût de la réduction de la déforestation a fait l’objet d’évaluations indiquant qu’il serait relativement modeste. Elles se basent sur le coût d’opportunité de la conservation des forêts, calculé à partir des revenus agricoles (élevage inclus) et forestiers qui ne seront pas obtenus du fait du renoncement à la déforestation. Le rapport Stern a évalué en 2005 à 5 milliards de dollars par an le montant nécessaire pour arrêter 70% de la déforestation, cette somme devant servir à compenser les agents économiques pour qu’ils cessent de déboiser. Le rapport Eliasch (2008) chiffre à 7 milliards de dollars les coûts d’opportunité pour réduire de moitié de la déforestation. Mais il faut y ajouter des coûts de mise en œuvre des politiques et de supervision des paiements aux agents. Le rapport McKinsey (2009) estime que près de la moitié de la déforestation peut être stoppée pour un peu moins de 2 € la tonne de CO2, montant dérisoire. Mais ce même rapport précise qu’une telle approche par la compensation des coûts d’opportunité peut s’avérer très onéreuse : reprenant le problème de l’additionnalité (« les compensations seront versées également aux agents qui n’auraient pas déboisé dans tous les cas »), il indique que les montants nécessaires aux paiements peuvent être de 2 à 100 fois plus élevés !

Pourquoi des estimations aussi basses ? C’est qu’une grande partie de la déforestation est imputable à des paysans pauvres pratiquant l’abattis-brûlis (notamment en Afrique) et une autre, moins large, à l’élevage extensif (surtout en Amazonie) – cette dernière activité rapportant, selon McKinsey, un profit de 15 dollars par hectare au Brésil. Pour une famille paysanne qui s’arrêterait de déboiser, le coût d’opportunité correspondrait à la valeur commerciale des produits agricoles qu’elle retire actuellement de cette activité. Comme cette dernière lui laisse souvent à peine de quoi survivre, on comprend mieux d’où vient cette idée que réduire la déforestation constitue une option bon marché !

Encore faut-il que les paysans acceptent de rester dans la pauvreté et qu’ils ne tentent pas de contourner les contrats qu’ils signeront en allant déboiser ailleurs, deux hypothèses assez peu réalistes. Quant aux « coûts de transaction », ils semblent terriblement sous-estimés et le problème de la corruption n’est pas évoqué. Enfin, aucun ne se place dans une perspective d’investissement. Or, de tels paiements n’entraîneront des transformations durables que s’ils s’accompagnent d’un puissant appui au changement des pratiques agricoles et que soient mis sur pied des programmes d’accompagnement pour pérenniser une agriculture plus intensive et plus écologique (crédit rural, assurances, prix stabilisés…). En outre, dans des situations où les droits fonciers restent imprécis et contradictoires, une clarification préalable de ceux-ci est indispensable, faute de quoi les paiements engendreront de graves conflits d’appropriation. Ce qui conduit à envisager des besoins bien supérieurs à la somme des coûts d’opportunité.

Reste le problème du financement. Le recours au marché du carbone, mentionné par Nicolas Sarkozy à Manaus, comporte le risque que de très nombreuses « réductions » proviennent plus du choix de références inappropriées que de réels changements dans les politiques publiques. De nombreux pays voient leur déforestation se réduire du simple fait de la raréfaction de leurs forêts. L’établissement de scenarios « business as usual » de la déforestation future se heurte à l’impossibilité de connaître à l’avance l’évolution des prix relatifs. Si les modèles « prédictifs » peuvent à peu près prévoir où se produiront les prochains déboisements (en général près des routes), ils sont incapables de dire quand ils auront lieu : cela dépend notamment des prix agricoles qui varient au gré des mouvements spéculatifs mondiaux. Placer REDD dans le marché du carbone, c’est prendre le risque que soient mises sur le marché des quantités importantes de « fausse monnaie climatique » qui permettront aux pays industrialisés de ne pas réduire les émissions chez eux mais de recourir à des « offsets » (compensation carbone) douteux.

En fait, même les plus chauds partisans du marché admettent qu’un fonds est nécessaire pour amorcer le mécanisme, et le financement initial de REDD passera par là. Mais l’aide publique peut-elle suffire ? On peut en douter. La taxe Tobin proposée par le gouvernement français constitue une piste pour l’avenir, mais les obstacles politiques et pratiques sont importants. Plus prometteuse semble la perspective d’une taxe carbone à l’échelle européenne. Elle se justifie par le fait qu’il sera difficile de laisser hors de toute contrainte les 60 % d’émissions actuellement non couvertes par le système européen d’échange de quotas, et parce que les émissions diffuses ne se prêtent pas à un système de permis transférables. Si une telle taxe était accompagnée d’un mécanisme « d’ajustement aux frontières » (prélèvement en fonction de l’empreinte carbone des produits importés) afin de ne pas subir une concurrence déloyale, cela ouvrirait une perspective intéressante pour le financement de REDD. Pour ne pas être soupçonné de protectionnisme déguisé, il serait juste que le produit de cet ajustement soit reversé au Sud pour financer les investissements nécessaires la réduction de leurs émissions. Cela fournirait à un fonds mondial de lutte contre la déforestation au moins une partie du financement nécessaire aux politiques et aux mesures s’attaquant aux causes du déboisement.

On trouve le texte complet sur le site internet telos

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