Après s’être totalement trompé sur les risques de la crise financière internationale pour l’économie canadienne, les responsables politiques qui tiennent les rênes du pouvoir à Ottawa ont largement sous-estimé la taille des futurs déficits, de même que le temps requis pour rétablir l’équilibre budgétaire.
Selon deux économistes de la Banque TD, le gouvernement fédéral pourrait, en effet, accumuler des déficits totalisant 172 milliards de dollars pendant les cinq prochaines années, soit près du double des plus récentes prévisions du ministre des Finances. Les deux analystes partagent la vision du ministre des Finances, à l’effet que le déficit pour l’année en cours gonflera au point de s’élever à 50 milliards. Pour eux, cependant, le gouvernement manifeste un optimisme exagéré pour les années suivantes. La récession qui frappe le Canada ne ressemble pas aux ralentissements économiques des dernières décennies. L’économie canadienne devra passer par une longue et douloureuse réorganisation de son système productif, en particulier autour de la filière des équipements des transports.
Mais ce qui est encore plus dramatique, c’est de penser que ce gouvernement, composé d’idéologues aveuglés par un ultralibéralisme économique et un conservatisme social primaires, pourrait obtenir un autre mandat et gouverner le Canada lorsqu’il sera temps de rétablir l’équilibre des finances publiques. Car il faut aussi se rappeler que, sur les 50 milliards $ de déficit de cette année, les deux-tiers sont dus aux baisses de la TPS consenties par ce gouvernement. Les Conservateurs ont coupé dans la capacité d’agir de l’État (ses revenus) ; pour rétablir les finances publiques, ils couperont dans ses activités courantes (ses dépenses)
Tout ça pendant que les spécialistes des questions énergétiques prédisent que le prix du pétrole, dans les cinq prochaines années, devrait connaître des fluctuations importantes à la hausse. Jeudi, la banque américaine Goldman Sachs pronostiquait que le prix du baril de pétrole devrait atteindre 85 dollars d’ici la fin 2009. Ses analystes font autorité pour avoir annoncé les premiers, dès 2005, un baril au dessus de 100 dollars, une prédiction réalisée moins de trois ans plus tard. Pour un horizon plus lointain (fin 2010), les analystes ont évoqué le spectre de pénuries d’énergie, une hantise qui avait fortement contribué à la flambée des cours du brut un an plus tôt, jusqu’à 147,50 dollars en juillet. On peut lire à ce propos le texte publié hier portant sur les prévisions de Jeff Rubin.
Or, depuis que l’Alberta a commencé à développer l’exploitation à grande échelle de ses sables bitumineux, avec des investissements gigantesques, le prix de la devise canadienne s’est de plus en plus accroché aux fluctuations des prix du pétrole. Alors que dans les années 1980 l’impact de ces derniers sur la devise canadienne était dans un rapport de 0,4; il est aujourd’hui tout près de 1. On peut donc prévoir un huard très élevé dans les années à venir, avec toutes les conséquences sur la compétitivité des produits manufacturiers fabriqués au Canada. À moins d’une récupération par les pouvoirs publics de la rente provenant de cette ressource naturelle et d’une gestion qui permettrait d’éviter un renchérissement trop élevé de la devise, nous allons vers une catastrophe annoncée.
Cette situation met en évidence les limites d’une régulation exclusivement marchande sur l’un des enjeux les plus importants de l’heure, celui découlant de l’épuisement à moyen terme des ressources énergétiques (pétrole et gaz). Les coûts du passage vers un nouveau modèle de développement à faible intensité de carbone sont colossaux; c’est pourquoi les rentes découlant de l’exploitation du pétrole devraient être entièrement nationalisées. C’est une question d’intérêt général. Il faut se donner les moyens d’innover pour, non seulement répondre aux urgences de court terme, mais pour favoriser une sortie de crise qui ouvre sur le développement durable.
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