Comme la plupart des pays développés, à l’exception notoire de l’Allemagne, qui était jusqu’à peu le plus grand pays exportateur – maintenant dépassé par la Chine -, le Québec a vu son secteur manufacturier se rétrécir de façon importante au cours des dernières décennies. Ce mouvement s’est accéléré dans les années 2000 avec l’explosion phénoménale du rôle économique de la Chine en particulier, et des pays émergents en général. Puis finalement le choc récent de ce que les Européens appellent la Grande Récession est venu frapper l’emploi industriel avec encore plus de vigueur.
Néanmoins, le modèle québécois de développement, du moins ce qu’il en reste malgré les efforts du gouvernement Charest de le dépecer pour laisser toute la place aux marchés, a su conserver une diversification du moteur industriel qui, aujourd’hui, fait toute la différence lorsqu’on se compare avec la descente aux enfers de nos voisins. Avec près de 20 % du PIB, le secteur manufacturier québécois est presque deux fois plus important que celui des États-Unis, aujourd’hui excessivement dépendant de « l’atelier » chinois.
Mais la situation du Québec est extrêmement fragile. N’eût été les grands travaux d’infrastructures routières, qui ont stimulés l’économie québécoise ces deux dernières années, les conséquences des choix idéologiques du laisser-faire du gouvernement actuel nous auraient mené dans une situation plus difficile. S’il n’y a pas un virage important, rapide, qui est donné à la politique de développement actuelle, dans l’optique de la révolution industrielle des technologies propres, c’est notre avenir qui se joue. Ce qu’il faut maintenant viser, c’est un Québec sans carbone d’ici 2050.
Un effort public vers des projets porteurs
L’industrie manufacturière joue un rôle central dans l’économie. Elle est responsable de la grande majorité des dépenses de R&D des entreprises, des exportations et représente le principal moteur de la demande de services. Au Québec, nos principales industries stratégiques se sont construites avec le soutien de l’État, tant dans le manufacturier (aérospatial, équipements électriques, biopharmaceutique, aluminium) que dans le tertiaire moteur (génie-conseil, multimédia).
L’interventionnisme public est actif dans la plupart des pays, de la Chine aux États-Unis en passant par l’Europe. Nulle part il n’y a d’industrie dynamique sans politique industrielle volontariste. Évidemment, dans un nouveau cadre de régulation mondiale, qui n’est plus celui des années 1970, la politique industrielle doit également reposer sur une gouvernance renouvelée : les États identifient les priorités politiques et les secteurs clés, mais ils ne sont plus les maîtres d’œuvre entrepreneurials. N’empêche, les développements spécifiques de projets industriels innovateurs (mobilité durable, technologies vertes, énergies alternatives) sont aujourd’hui portés à bout de bras par les États, acheteurs de biens et de services à contenu local élevé.
La stratégie industrielle pour un Québec sans carbone devrait miser sur une combinaison de programmes tournés vers les ménages et les entreprises en privilégiant certains secteurs clés. En parallèle à un axe d’intervention tourné vers les ménages – programme malus-bonus pour l’achat de voiture moins énergivore -, la stratégie industrielle doit mettre en place de nouveaux programmes de financements pour le développement de projets innovateurs dans les technologies propres (centres de recherche ou de veille, vitrines technologiques, projets pilotes), mais surtout donner le ton en investissant massivement dans de grands programmes sectoriels porteurs.
Puisque cette série d’articles portent plus spécifiquement sur le transport durable, je laisserai ici de côté le développement des énergies renouvelables (éolien, solaire, géothermique) et les autres technologies propres (par exemple pour l’écoefficacité dans le secteur du bâtiment) pour me concentrer sur le transport. Le Québec devrait chercher à accélérer les ruptures technologiques en misant sur un atout qui nous a bien servi : la mobilisation des acteurs industriels par la concertation. Il faut miser sur une politique de développement sectoriel dans les équipements de transport terrestre (batteries et moteurs électriques adaptés aux autobus, camions et trains) ainsi que sur le développement et la mise en place d’un réseau de bornes publiques pour la recharge des VE, avec un effort particulier pour les transports collectifs. On pourrait aussi s’inspirer du programme français conduit par l’ADEME, qui cherche à favoriser une vision collective des défis technologiques.
En misant sur un certain nombre de créneaux qui avaient des synergies fortes avec les avantages comparatifs de l’économie québécoise (batterie et les moteur-roue), les pionniers qui ont développé les pôles de recherches d’Hydro-Québec étaient bien conscients des enjeux que cela représentait pour le Québec. Malheureusement, ces efforts ont été dévoyés par ce rêve absurde de vouloir développer à tout prix un secteur automobile québécois. Nous devons réorienter ces recherches en lançant de grands programmes dans les équipements de transport collectif et dans les réseaux intelligents (smart grid).
Les voitures sur rail de Bombardier (La Pocatière), les autobus de Nova Bus (à Saint-Eustache) et Prévost Car (Sainte-Claire), tous les deux membres du groupe Volvo Bus, les camions semi-remorques de Paccar (Boisbriand) ainsi que leurs fournisseurs et tous les produits associés, doivent être associés à ces programmes. Pourquoi ne pas développer avec Volvo des facilitées de R-D au Québec pour les technologies propres (tout-électrique ou hybride rechargeable) ? [Ce texte a été écrit avant l’annonce de la stratégie du MDEIE sur la recherche et l’innovation. Le projet de recherche sur l’autobus électrique qui y est annoncé est intéressant, mais il faudra attendre pour voir les détails des 30 millions $ budgétés] Pourquoi ne pas travailler avec Paccar (Kenworth), qui est le premier fabricant de camion à recevoir l’attestation « Clean Air Excellence » de l’EPA, pour développer dans son installation québécoise ses stratégies de véhicules propres ? La technologie du moteur-roue n’était peut-être pas adaptée aux véhicules grand public, mais elle le serait pour les véhicules de transport collectif et les camions lourds.
Les trains de banlieue de la région métropolitaine accusent un retard de 30 ans sur ceux de Toronto alors que le potentiel de couloirs de train rapide est grandissant en Amérique du Nord. Le Québec devrait lancer un vaste programme d’électrification des transports collectifs par rail en exigeant un contenu local tant sur le plan de la production, de l’entretien que de la R&D.
Par ailleurs, le gouvernement devrait mettre en place des mesures fiscales d’amortissement accéléré pour les fabricants de véhicules spéciaux (par exemple Les Équipements Labrie pour les camions à ordure) et les propriétaires de flotte de camions (Hydro-Québec, entreprises de transport, etc) pour le remplacement de leurs véhicules en faveur de véhicules électriques.
Comment financer cette stratégie
Le Québec peut s’appuyer sur ses atouts actuels pour construire un futur sans carbone. Rappelons-nous que les projets de développement hydro-électriques ont donné au Québec un élan incomparable. Ils ont été un pilier de notre développement. Ils ont marqué d’un sceau indélébile la période de la Révolution tranquille et les décennies suivantes. En plus de développer un patrimoine collectif pour les Québécois, ces projets ont permis le développement d’entreprises et de secteurs d’activités qui font la force du Québec actuel – par exemple les grandes sociétés d’ingénierie.
Aujourd’hui encore, l’hydroélectricité représente un dividende dont tous les consommateurs profitent, un retour sur les investissements collectifs consentis depuis les années 1960. Dans un contexte nouveau, caractérisé par des prévisions d’augmentation importante des prix des ressources énergétiques dans le monde (pic du pétrole, taxe carbone), il est peut-être temps de se questionner sur la pertinence de continuer à utiliser le dividende du patrimoine hydro-énergétique uniquement en termes de tarifs bas. Certains choix alternatifs permettraient d’obtenir des impacts économiques, sociaux et environnementaux beaucoup plus importants. Il y a peut-être lieu de proposer aux Québécois d’utiliser la rente de ce patrimoine pour un nouveau projet de développement qui mobiliserait le Québec vers une économie propre, sans carbone.
Je ne parle pas ici d’augmenter les tarifs de l’électricité au niveau de la moyenne canadienne, ni d’utiliser ces revenus pour compenser les baisses d’impôt consenties aux riches et aux entreprises. Je parle d’une hausse continue, mais mesurée, dont les revenus additionnels devraient être spécifiquement alloués au projet d’un Québec sans carbone. Un projet qui s’exprimerait par une stratégie de développement pour un transport durable, abordée plus haut, par une stratégie de développement des énergies vertes et par un vaste programme d’efficacité énergétique des bâtiments résidentiels, commerciaux et institutionnels.
Cet effort pour le développement d’un Québec sans carbone devrait aussi passer par un programme d’emprunt majeur. L’émission d’obligations « vertes », destinées aux investisseurs institutionnels québécois (caisse de retraite, fiducie, assurance) et aux particuliers, permettrait de canaliser une partie significative du capital disponible vers des projets productifs de long terme, triplement rentable, d’un point de vue économique, social et environnemental.
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