De partout, nous voyons apparaître de nouvelles initiatives cherchant à trouver de nouveaux indicateurs pour mesurer le véritable progrès des sociétés. Les économistes traditionnels confondent les citoyens en erreur en laissant penser que l’indicateur bien connu du PIB permet de mesurer ce progrès. Le PIB n’est qu’un indicateur d’activités, peu importe si cette activité est bonne ou mauvaise pour l’environnement, pour la santé ou autres.
L’indicateur synthétique du PIB n’a tout simplement pas été conçu pour mesurer les enjeux actuels de développement. Comme le déclarait, il y a deux ans, le Commissaire au développement durable Harvey Mead, « je croyais nécessaire de mieux définir la façon de mettre en œuvre le processus de vérification, en essayant d’identifier les modes de développement qui nous conduisent à dépasser la capacité de la planète à nous soutenir. Les objectifs de croissance soutenue qui entrent dans chaque budget, et qui sont suivis par l’indicateur fétiche qu’est le produit intérieur brut (PIB), ne tiennent nullement compte d’une limite dans cette capacité, ce que la Loi sur le développement durable (LDD) reconnaît pourtant explicitement. »
Malheureusement, M. Mead n’a pu poursuivre ses objectifs puisque son contrat n’a pas été renouvelé par le bureau du Vérificateur général, du fait que « …les bases économiques de l’Indice du progrès véritable (IPV), sujettes à débat, ne répondaient pas aux normes qui guident les autres activités de cette organisation ».
En France, c’est le président Sarkosy lui-même qui a pris l’initiative de faire appel à des économistes renommés, tels que Joseph Stiglitz, Amartya Sen et Jean-Paul Fitoussi, avec la mission d’identifier les limites du PIB comme indicateur de performance économique et de progrès social, de considérer les informations additionnelles requises pour atteindre un portrait pertinent de la situation et de réfléchir sur les façons de présenter ces informations à travers de nouveaux outils, tout en évaluant leur faisabilité.
La Commission Stiglitz vient de rendre public un rapport préliminaire. Selon le magazine Alternatives Economiques, « La commission Stiglitz part d’un constat juste : nos indicateurs économiques actuels nous rendent quasiment aveugles devant des risques majeurs. Mais ses propositions, souvent intéressantes, ne sont pas encore à la hauteur des enjeux, insistant trop sur la monétarisation comme principale méthode de mesure du progrès. » Tous les économistes véritablement ouverts aux enjeux actuels doivent reconnaître que lorsque des intellectuels de haut calibre, détenteur du Prix de la Banque de Suède pour leurs travaux en sciences économiques (faussement appelés Prix Nobel), démontrent avec brio les insuffisances du PIB comme repère de progrès et appellent à une réforme en profondeur des comptes nationaux, c’est là un pas important pour repenser l’économie.
Il ne s’agit pas là d’une querelle de chercheurs. Le constat de la commission est assez éloquent à cet égard : les indicateurs économiques dominants nous trompent en ne nous envoyant pas les signaux permettant d’agir et de prévenir à temps les crises majeures, ils ne nous disent rien de la durabilité de nos pratiques, des inégalités sociales, etc. Mais le rapport fait néanmoins face à des critiques importantes. Comme prévu, la commission ne suggère pas de renoncer à la mesure de l’activité économique qu’est le PIB, mais il propose de le compléter, en se focalisant sur le revenu disponible net des ménages et en améliorant la mesure de la répartition des richesses au sein de la population. Les recommandations formelles de la commission ne figurent pas dans ce pré-rapport : la commission laisse plutôt jusqu’au 5 juillet à la société civile pour réagir à ses premières pistes.
D’ores et déjà, il semble que les critiques viendront surtout du traitement de la mesure de la « durabilité » de l’activité économique : la commission donne sa préférence au concept de l’« épargne nette ajustée », un concept développé par la Banque mondiale. Or, comme nous le dit Alternatives Economiques, les outils pour mesurer cette durabilité « ne sont pas du ressort des économistes mais de disciplines multiples mises en relation avec les organisations de la société civile et les élus. Ce sont des indicateurs physiques d’usage des ressources, de seuils de soutenabilité, d’émissions, etc. » C’est à suivre, donc.
[...] comme les lecteurs d’OikosBlogue ont pu en prendre connaissance (voir en particulier mon texte Comment mesurer les obstacles au progrès humain ?). Voici maintenant l’Institut de la statistique du Québec (ISQ) qui contribue à ce mouvement en [...]