L’auteur invité est Philippe Frémeaux, directeur du magazine Alternatives Economiques
La réforme des retraites fera-t-elle baisser le niveau des pensions ? Est-elle équitable ? Est-ce la fin d’une exception française ? Questions-réponses après les annonces du gouvernement du 15 juin 2010.
L’objectif affiché du gouvernement, éviter une forte baisse du niveau des pensions sans accroître les prélèvements obligatoires, est-il tenu ?
C’est ce qu’affirme le gouvernement : en repoussant l’âge légal de départ de deux ans, à un rythme rapide – quatre mois par an à compter dès l’année prochaine -, en repoussant parallèlement à 67 ans l’âge auquel il sera possible de disposer du taux plein, le gouvernement va assurément freiner la progression du nombre de retraités. Cela va assurément contribuer à rétablir l’équilibre des comptes – il en attend 20 milliards d’économies en 2020 – même si une partie du gain sera reportée sur l’assurance-chômage et les caisses de maladie et d’invalidité, compte tenu du faible taux d’emploi des seniors.
Le gouvernement impose également de nouveaux prélèvements, et souligne la contribution des plus aisés, est-ce juste ?
Les fonctionnaires ne voient pas le mode de calcul de leur retraite remis en cause : celle-ci demeurera calculée sur la base des six derniers mois de salaire hors prime. En revanche, le gouvernement veut les faire cotiser plus, ce qui réduirait d’autant leurs salaires nets. Les salariés du privé ne sont pas non plus épargnés, car la diminution des exonérations de cotisations sociales pour près de 2 milliards d’euros sera répercutée par les entreprises sur la masse salariale. Au regard de l’apport de ces deux mesures, les prélèvements supplémentaires sur les hauts revenus, notamment les revenus du capital, apparaissent plus limités, même si Nicolas Sarkozy a accepté de manger son chapeau en faisant une exception au principe du bouclier fiscal.
Cette réforme assure-t-elle une équité entre catégories de salariés face à la retraite ?
La réforme ne touchera qu’à la marge les cadres, hommes, encore en emploi, qui pour la plupart ne peuvent pas et ne souhaitent pas partir à la retraite avant 62 ans. En revanche, elle est profondément injuste pour les ouvriers et employés, des salariés qui ont une espérance de vie moyenne plus faible. Le plus scandaleux, sur le plan de l’équité, tient au refus du gouvernement d’accorder un avantage spécifique aux personnes ayant occupé des emplois pénibles alors que les critères qui définissent la pénibilité sont bien identifiés : travail de nuit, port de charges lourdes, exposition à des produits cancérogènes. Le droit à un départ anticipé, à 60 ans, ne sera ouvert que sur une base individuelle et sur critères médicaux. Concrètement, cela veut dire qu’on attendra que votre cancer soit déclaré pour vous reconnaître des droits et que les personnes ayant exercé un travail pénible toute leur vie devront partir à 62 ans si elles sont déclarées aptes à travailler jusqu’à cet âge. Et tant pis pour elles si elles décèdent peu après des suites d’une maladie liée à leur travail passé.
Quels seront les effets du report de 65 à 67 ans de l’âge de départ à la retraite à taux plein ?
Il pénalise tous ceux qui n’ont pas de carrière complète, à commencer par les femmes et tous ceux, de plus en plus nombreux, qui ont eu des carrières accidentées. En pratique, une bonne part de ces personnes seront trop fatiguées pour travailler jusqu’à 67 ans et subiront donc une réduction sévère du montant de leur pension.
Cette réforme ne consiste-t-elle pas simplement à aligner l’âge de départ à la retraite sur celui de nos voisins européens ?
Ce n’est pas si simple. Certes, la plupart de nos voisins ont décidé de repousser l’âge de la retraite, mais à un rythme généralement deux à quatre fois plus lent. Au Royaume-Uni, par exemple, il est envisagé de travailler jusqu’à 68 ans, mais en… 2046. Il faut savoir, en outre, que la France deviendrait le seul pays à imposer conjointement un report de l’âge légal de départ, un report de l’âge où le taux plein est de droit, et un allongement de la durée de cotisation exigée. Ce qui fera du système français un des plus durs d’Europe. Les durées de cotisations exigées chez nos voisins sont dans l’ensemble plus réduites : ainsi, en Allemagne, on peut aujourd’hui partir avec une retraite à taux plein à 63 ans avec 35 ans de cotisations seulement ! Et nombre de pays reconnaissent bien plus généreusement l’invalidité des salariés âgés à l’approche de la retraite : alors que seuls 3,9 % des seniors sont dans ce cas en France, ils sont 12,9 % aux Pays-Bas et 15,8 % au Danemark, deux pays pas vraiment réputés pour la dureté de leurs conditions de travail, en comparaison de celles observées en France !
Quel est l’objectif réel du gouvernement ?
Le gouvernement a voulu témoigner de sa volonté de rééquilibrer rapidement les comptes sociaux, dans un moment où, du fait de la crise, le crédit de la France est menacé. Il aurait pu atteindre le même résultat en augmentant temporairement les prélèvements sur les plus aisés pour rétablir l’équilibre des comptes publics. Il a choisi au contraire de réduire les droits des moins favorisés sans résoudre pour autant l’équilibre à long terme des régimes de retraite.
On peut lire le présent texte, avec les notes de bas de page, sur le site du magazine Alternatives Economiques
[...] Parmi les autres mesures, celle du financement des déficits accumulés du système par le Fonds de réserve des retraites, qui devait en théorie n’être utilisé qu’après 2020 pour faire face au choc démographique, ne devrait sûrement passée comme une lettre à la poste. Le gouvernement veut aussi basculer les excédents du régime d’assurance chômage vers le régime de retraite à compter de 2015 (on estime une somme de 1,4 milliard d’euros en 2020). On peut aussi lire le texte de Philippe Frémeaux, sur OikosBlogue, pour comprendre les enjeux de la réforme. [...]