Comme je l’indiquais dans un billet précédent, il est temps d’imposer un tournant majeur pour une plus grande justice fiscale. La doctrine ultralibérale, qui a conduit à une forte croissance des inégalités après trois décennies de diminution de la progressivité des impôts, est de plus en plus remise en question. C’est le moment de changer de paradigme, sinon c’est la catastrophe assurée.
Même les libéraux modérés ont compris. En France, le nouveau président de la Cour des Comptes, Didier Migaud, critique les prévisions du gouvernement et juge indispensable d’augmenter les prélèvements. Selon lui, la progression sans précédent du déficit public (Etat, organismes de protection sociale et collectivités territoriales), qui est passé de 3,3 % du PIB en 2008 à 7,5 % en 2009, s’explique en partie par une dérive que la Cour qualifie de « structurelle » plutôt que conjoncturelle. Les deux tiers au moins du déficit public seraient « structurel », c’est-à-dire non liés à la crise.
Sur les 145 milliards de déficit public enregistrés en 2009, 97 seraient dus à ce déficit « structurel », découlant largement de baisses d’impôts. La disparition de la taxe professionnelle – impôts des entreprises aux communautés locales (12,7 milliards de recettes en moins) – ou l’ajout du bouclier fiscal dont nous parlions dans notre billet du mois d’avril sont autant d’exemples cités. Rien n’est dit, pourtant, sur l’aberration que représentent les diminutions d’impôts sur les mutations à titre gratuit (successions), qui sont de l’ordre de 2 milliards d’euros, ainsi que la détaxation des heures supplémentaires, qui représente une perte de ressources fiscales (de l’ordre de 1,5 milliards d’euros) et de cotisations sociales (de l’ordre de 3 milliards).
Mais la conclusion de la Cour des Comptes, qui estime indispensable d’augmenter les prélèvements, est claire : « Au cours des années 1997 à 2008, les prélèvements obligatoires ont été réduits de 3 points de PIB, alors que les dépenses publiques augmentaient à peu près comme le PIB. C’est la cause principale du déficit structurel constaté avant la crise. Il est impératif d’arrêter ce mouvement de baisse d’impôts, qui a surtout grevé les recettes de l’Etat, tant que les comptes publics ne sont pas structurellement excédentaires. »
Même le nouveau gouvernement conservateur de la Grande-Bretagne, qui dans sa récente politique anti-déficit coupe comme jamais dans les dépenses publiques, a néanmoins décidé d’introduire en janvier 2011 une taxe sur le chiffre d’affaires des banques, destinée à lever deux milliards de livres par an, et d’augmenter l’impôt sur les plus-values qui passera de 18 % à 28 %.
Aux Etats-Unis, c’est deux sénateurs démocrates et un indépendant qui ont formulé un projet de loi pour une nouvelle taxation des fortunes, fortement progressive. Pour les successions de plus de 500 millions, la taxe se monterait à 65 %; entre 500 et 50 millions, une taxe de 55 %; entre 50 et 10 millions, une taxe de 50 %; et entre 10 et 3,5 millions, une taxe de 45 %. En bas de 3,5 millions, les successions ne seraient pas taxées, comme c’est le cas actuellement aux États-Unis. Cette mesure permettrait, pense les congressistes, d’augmenter significativement le taux effectif d’imposition des grandes fortunes, qui serait de seulement 14 % à l’heure actuelle !
Je crois que maintenant le ton a vraiment été donné. Ça ne s’arêtera pas de sitôt.
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