Je vous recommande de lire mon billet paru lundi sur la méchanceté des pdg avant de lire celui-ci. Il donne une certaine grille de lecture pour comprendre le bulletin que les dirigeants patronaux se permettent de donner aux Québécois, qu’ils semblent considérer comme des analphabètes de l’entrepreneuriat. Le bulletin de cette association, qui représente les grands dirigeants d’entreprises, ne vise pas à mesurer objectivement les pratiques de la vie économique dans la société actuelle, avec ses nombreux enjeux, mais impose plutôt le cadre étroit d’une « société marchande » auquel nous devons nous mesurer. C’est l’Alberta, ici, qui sert de modèle !!!
Ce premier Bulletin de la prospérité du Québec dévoilé il y a quelques jours par le Conseil du patronat vise à « évaluer le positionnement économique du Québec et ses progrès dans sa quête de prospérité et de création de la richesse ». Le Conseil du patronat « invite l’ensemble des acteurs de la société du Québec (gouvernement, employeurs, travailleurs et groupes sociaux) à se mobiliser afin de les relever avec succès dans les années à venir. » Beau programme ! Mais il serait plus juste de dire que les pdg voudraient mobiliser l’ensemble de la société pour leur propre prospérité et celle de leurs entreprises, parce que cette initiative sent le corporatisme le plus vil et sournois.
Derrière tout ce discours supposément neutre, presque scientifique, se cache le discours réactionnaire des détenteurs du pouvoir économique qui réaffirment que tout leur est dû, et qu’ils ne changeront pas d’un iota leurs pratiques malgré les enjeux économiques, sociaux et environnementaux auxquels nous sommes confrontés. Ils nous accolent un « C » parce que nous ne partageons pas cette vision de la société marchande où la main-d’œuvre doit être disponible, peu coûteuse, les réglementations minimales et l’État le moins interventionniste. L’Alberta obtient un « A » parce que de toutes les provinces canadiennes, c’est elle qui tend le plus vers ce modèle de société marchande !
Un exercice critique plus détaillé pourrait être utile pour constater sur quels aspects il serait possible d’envisager certaines démarches de concertation susceptibles de résoudre des problèmes où les constats sont partagés. Mais dans ses grandes lignes, ce bulletin est une preuve supplémentaire que l’un des principaux problèmes à une prospérité globale de la société québécoise est l’absence totale d’un interlocuteur crédible du côté patronal.
Cet exercice, que le CPQ veut rendre annuel, démontre l’inégalité abyssale qui existe entre les moyens dont disposent ce groupe de pression, avec leurs nombreux alliés comme l’Institut économique de Montréal, comparés à ceux des divers autres mouvements sociaux. Une inégalité accrue par un pouvoir politique favorable aux grands détenteurs du pouvoir économique.
Malgré cela, l’argumentation du CPQ est tellement étroite, aveuglément étroite (ce sont surement les idéologue de l’IÉM qui ont produit ce bulletin) que le ministre québécois du Développement économique, de l’Innovation et de l’Exportation, Clément Gignac, a été comme obligé de répliquer en rétablissant certains faits : le Québec a déjà récupéré plus de 130 % des emplois perdus pendant la crise, ce qui représente un résultat nettement au-dessus de ceux de l’Ontario (82 %), du Canada (94 %) et des États-Unis (8 %); le Québec se situe parmi les pays industrialisés avec les plus faibles coûts d’affaires, selon une étude de KPMG. Il rajoute, et c’est à son honneur, que l’indice de pauvreté au Québec est le plus faible parmi toutes les provinces canadiennes, ce qui reflète nos choix sociaux pour une richesse plus équitable et mieux distribuée. J’ajouterais que nos performances environnementales, en particulier dans le domaine des gaz à effet de serre, sont également meilleurs que celles des autres provinces. Il faut en tenir compte pour avoir une vision globale de la prospérité du Québec.
Mais pour demander au patronat actuel, comme acteur collectif, d’adopter une telle vision globale, je crois qu’il faut être soit utopiste soit imbécile.
Il y a déja un bout de temps que le Conseil du patronat du Québec n’est plus qu’une officine de l’IEM. Son ex-président Michel Kelly-Gagnon venait de là et est de nouveau PDG de l’IEM. Le premier vice-président du CPQ , Daniel Audet, vient aussi de l’IEM. Norma Kozhaya qui vient de produire ce Bulletin et qui est directrice de la recherche au CPQ vient aussi de l’IEM.
Quant on sait que Hélène Desmarais de la célèbre famille propriétaire de La Presse est présidente du CA de l’IEM et qu’une des économistes de l’IEM détient une chronique économique au Journal de Montréal et au Journal de Québec on peut mesurer l’influence considérable de ce think- tank de droite dans les médias du Québec et sur la place publique.
De là l’urgence et la grande difficulté d’avoir un discours économique alternatif au Québec et l’importance de moyens comme Oïkos.