Dans le dernier de mes trois billets portant sur le nécessaire changement de paradigme dans le domaine de la fiscalité, j’avais mis un point final sur cette série dans la mesure où je commençais surtout à voir s’accumuler les contre-exemples de mesures fiscales et budgétaires, avec l’enlisement des gouvernements dans les vieilles recettes de coupures de dépenses, qui nous mènent à la catastrophe.
Mais le dernier numéro (septembre 2010) du magazine Alternatives Economiques, plus d’autres nouvelles, m’incitent à récidiver sur ce thème. Le dossier du numéro de septembre du magazine porte sur ce qu’il faudrait changer à la fiscalité pour en améliorer l’équité et l’efficacité. Tant en France qu’ailleurs dans le monde, les réformes des vingt ou trente dernières années ont remis en cause l’équilibre qui existait entre, d’une part, un ensemble de prélèvements proportionnels au revenu et aux dépenses de tous les citoyens et, d’autre part, des impôts plus progressifs qui ouvraient sur une contribution plus élevés des plus favorisés.
Comme au Québec, même si la perte de la progressivité du système fiscal est une tendance à l’œuvre depuis au moins trois décennies, elle s’est fortement détériorée au cours du plus récent mandat gouvernemental. Non seulement est-il maintenant plus injuste, mais en plus il affaiblit la capacité d’agir de l’État, en particulier pour sa mission sociale dans un contexte de crise. Les solutions à apporter, selon les journalistes d’Alternatives Économiques, sont relativement simples : ramener plus de progressivité de l’impôt des individus, élargir l’assiette fiscale, s’attaquer aux paradis fiscaux et augmenter l’impôt des entreprises.
Pourquoi demander encore plus aux classes favorisées ? D’abord, ce sont les plus riches qui ont le plus profité de la diminution de la progressivité de l’impôt des dernières années, avec les conséquences économiques et sociales que l’on connaît maintenant. Ensuite, ce sont les plus riches qui ont connu les plus fortes hausses de revenu au cours ces mêmes années. Enfin, ce sont les comportements des plus riches – spéculation, évasion fiscale, principal appui politique à l’ultralibéralisme – qui nous ont conduit à la Grande Récession, donc à la dette croissante des États.
Mais le dossier d’Alternatives Economiques se limite à la fiscalité nationale. Dans le contexte actuel, où la gestion des problèmes globaux exige des initiatives extraterritoriales, il faut appréhender la fiscalité au-delà des limites nationales, par exemple avec des taxes sur les transactions financières. Récemment, c’est la Commission européenne qui envisageait de proposer la création d’une taxe européenne assise sur les flux financiers, les quotas de carbone ou le transport aérien et qui alimenterait directement le budget de l’Union en remplacement des contributions nationales.
Le commissaire européen chargé du Budget, Janusz Lewandowski, présentait en septembre les contours de ce que pourrait être ce nouvel impôt communautaire. « Il y a plusieurs options qui n’affecteraient pas les ministères des Finances et seraient liées avec la politique européenne, telles qu’une taxe sur les transactions financières, les enchères des quotas d’émissions de CO2 ou une taxe sur les avions », expliquait-il. « Une taxe sur les transactions financières pourrait rapporter beaucoup d’argent [...], les autres ne contribueraient que pour une plus petite part aux 140 milliards d’euros [189 milliards de dollars] que nous dépensons chaque année. »
L’Allemagne a été la première à réagir, avec force, pour s’opposer à cette idée. Les opposants à une nouvelle taxe communautaire estiment qu’une telle décision conférerait trop de pouvoirs à Bruxelles ou mettrait l’Union européenne dans la possibilité d’agir comme un gouvernement supranational. C’est toujours le même argument de la part de la droite : l’État est un mal nécessaire, il faut donc lui donner le moins de capacité possible d’intervenir dans la société !
Mais sur cette question de la taxation des transactions financières, laissons le mot de la fin à Joseph Stiglitz, qui sait de quoi il parle dans ce domaine : « La finance n’est qu’un moyen, elle ne constitue pas un objectif ; elle est censée servir les intérêts du reste de la société, et non l’inverse. Il ne sera pas facile de faire entendre raison au marché financier, mais on peut et on doit y parvenir avec une combinaison d’impôts et de régulation – et si nécessaire avec l’intervention de l’Etat pour colmater certaines brèches…»
[...] This post was Twitted by nnepton [...]