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Le samedi 23 avril 2022

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Résurgence d’un mouvement social en Chine ?

Un collègue, aujourd’hui professeur de relations industrielles, m’affirmait il y a quelques années que, historiquement, le mouvement ouvrier suivait une évolution cyclique plus ou moins longue. Pour diverses raisons, il pouvait connaître une longue période de déclin, mais que tôt ou tard, en raison même de la dynamique d’un capitalisme laissé à lui-même, le mouvement connaissait tout d’un coup une résurrection magistrale, que rien de pouvait arrêter.

Je pensais bien que ce serait aux États-Unis que l’on verrait cette résurrection salvatrice, eux qui ont vu le mouvement syndical descendre aux « enfers » ces dernières décennies, renvoyant les travailleurs des décennies en arrière dans le domaine de la protection sociale. Mais il semble bien que, abrutis par un système idéologique particulièrement hégémonique, les travailleurs étatsuniens préfèrent exprimer leurs frustrations dans le nihilisme et l’extrême-droite (Tea Party), plutôt que dans l’action collective progresiste.

Serait-ce donc de la Chine, de l’ouvrier chinois, qu’apparaîtrait un nouveau cycle de luttes sociales pour le respect des droits au travail ? C’est ce que nous propose Jean Ruffier dans un excellent dossier paru sur le site web de Rue 89. L’ère des ouvriers chinois obéissants et mal payés, affirme-t-il, touche à sa fin. Une étude réalisée dans le Sud de la Chine – particulièrement la province du Guangdong –, qui serait devenu l’atelier du monde, montre une combativité nouvelle qui pourrait même déboucher sur une grève générale.

Malgré la croissance ininterrompue des vingt dernières années, les salaires ont peu bougé, voire aurait diminué en proportion du produit industriel brut. D’où, depuis un an, la multiplication de conflits du travail. Le mouvement serait tellement fort que de plus en plus d’observateurs parlent de la possibilité d’une grève générale en Chine du Sud. Pour Jean Ruffier, les conditions sont réunies pour un printemps ouvrier en Chine du sud, explosif ou rampant, mouvement qui a déjà commencé ; tout porte à penser qu’il va se développer dans les mois qui viennent.

Trente ans après le décollage industriel de la Chine, ils en sont maintenant à la deuxième génération d’ouvriers d’origine rurale. Cette deuxième génération est plus instruite que ne l’était la première. Elle a l’expérience de la première génération, et surtout elle n’a connu que la croissance. La première génération d’ouvriers d’origine rurale avait connu la guerre civile et des périodes de famine. La génération actuelle sait ce qu’est la misère, mais elle a rarement été confrontée à la famine, et très exceptionnellement à la répression. C’est une génération qui croit en son avenir.

Après vingt ans d’observation des usines chinoises, l’auteur constate des évolutions importantes dans les mentalités de ces ouvriers liées à l’expérience concrète vécue par ces derniers. Ce qui a changé c’est la croissance de l’intensité au travail. Il y a vingt ans, la plupart des usines n’avaient pas des conditions de travail enviables, mais le rythme de travail était rarement soutenu. Le principe était celui du salaire minimum, travail minimum. Mais la situation a graduellement changé, en particulier dû au fait de la fermeture des entreprises publiques obsolètes, remplacées par des usines très productives détenues par des entreprises étrangères ou nationales. Progressivement, les rythmes de travail ont augmenté et les horaires se sont allongés du fait d’une demande croissante de travail. L’on peut travailler intensément pendant plusieurs années, nous dit Ruffier, mais pas indéfiniment. Si on travaille trop, on finit par s’user, même si on est Chinois.

Aujourd’hui, il y a de plus en plus de Chinois dire qu’ils veulent moins travailler. Les ouvriers mettent plus souvent l’investissement dans le travail en relation avec les gains qui en résultent. Ils émettent souvent des constats désabusés : « On a travaillé de plus en plus dur pendant des années, et regardez qui s’est enrichi – pas nous ! »

Les salaires des ouvriers chinois n’ont pas augmenté au rythme de la croissance économique chinoise. Ils restent des salaires de pays du tiers-monde dans une région qui arrive au PIB par habitant des pays européens les moins aisés. Alors que la majorité des urbains possèdent leur logement, les ouvriers se rendent compte qu’ils n’y arriveront pas parce que les prix du logement se sont envolés. Et depuis peu, les coûts de la nourriture s’envolent.

Il y a quelques années, les ouvriers auraient pris leur sort avec fatalité, car ils ne voyaient pas de moyen d’amélioration. Mais aujourd’hui, ils ont entendu parler des salaires obtenus dans d’autres usines à la suite de grèves, et ils trouvent qu’ils sont mal payés. Ils n’ont pas connu de répression, sont habitués à changer d’entreprise facilement et ils ne craignent pas le chômage ; dès lors, ils n’ont pas peur de faire grève. Il faut dire qu’à la différence de leurs parents, ces ouvriers sont généralement des enfants uniques, c’est-à-dire qu’ils ont été habitués à des adultes qui leur cèdent tout : ils supportent d’autant plus mal les frustrations.

Face à ces changements d’attitude des ouvriers, les employeurs privés semblent souvent désemparés. Ils en appellent à l’autorité, aux vertus confucéennes de l’obéissance et font preuve de rudesse dans les rapports avec les ouvriers. Mais pas plus que les ouvriers, les patrons chinois n’ont guère de lieux pour réfléchir ensemble à des stratégies communes, et pas vraiment de moyens de s’exprimer collectivement, quoique je soupçonne qu’ils sont sur-représentés dans les hautes instances du Parti Communiste Chinois.

Les dirigeants d’entreprises occidentales sont également pris de court par ces changements d’attitude des ouvriers. Mais ils avaient l’impression de pouvoir maintenir la paix sociale en anticipant les revendications. Leur personnel semblait satisfait de la situation et ne se plaignait pratiquement jamais ni du salaire, ni des conditions de travail. Or voici, que depuis quelques mois, ils se rendent compte que les augmentations de salaires, ou les avantages concédés, ne suffisent plus à calmer les discussions dans les ateliers. Ils ont l’impression de faire des cadeaux à des gens qui leur disent, qu’en fait ils devraient leur donner plus.

Personne ne peut dire la forme que prendront les conflits à venir. Le panorama des acteurs dessiné dans l’excellent texte de Jean Ruffier laisse penser que ces conflits vont se multiplier. Certains militants ou intellectuels imaginent même qu’ils pourront prendre la forme d’une grève générale à partir de conflits localisés faisant tâche d’huile. La seule chose qui semble assurée, nous dit-il, est que nous n’avons pas atteint le pic des conflits. Il y a encore de la marge pour les augmentations de salaires. Tous ces éléments font prévoir que les salaires vont monter rapidement dans le Sud de la Chine. Cela ne devrait guère affecter la présence des entreprises étrangères. Il deviendra moins intéressant de s’installer en Chine pour chercher des bas salaires, mais ceux qui y sont déjà réfléchiront avant de partir ailleurs, alors qu’un pouvoir d’achat nouveau est en train d’apparaître.

Le Sud de la Chine entraînera-t-il un nouveau cycle de luttes sociales dans le monde ? Ça reste à voir.

Discussion

Commentaire pour “Résurgence d’un mouvement social en Chine ?”

  1. [...] Dans un billet qui date de près de deux ans, j’écrivais que le mouvement ouvrier « pouvait connaître une longue période de déclin, mais que tôt ou tard, en raison même de la dynamique d’un capitalisme laissé à lui-même, le mouvement connaissait tout d’un coup une résurrection magistrale, que rien de pouvait arrêter. » Dans ce billet je mentionnais qu’il était probablement que cette résurgence pourrait bien apparaître en Chine plutôt qu’aux États-Unis, du fait que « abrutis par un système idéologique particulièrement hégémonique, les travailleurs étatsuniens préfèrent exprimer leurs frustrations dans le nihilisme et l’extrême-droite (Tea Party), plutôt que dans l’action collective progressiste. » [...]

    Écrit par Oikos Blogue | Assisterait-on à un nouveau cycle de luttes syndicales aux États-Unis ? | janvier 22, 2013, 6 h 12 min

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