Dans un billet qui date de près de deux ans, j’écrivais que le mouvement ouvrier « pouvait connaître une longue période de déclin, mais que tôt ou tard, en raison même de la dynamique d’un capitalisme laissé à lui-même, le mouvement connaissait tout d’un coup une résurrection magistrale, que rien de pouvait arrêter. » Dans ce billet je mentionnais qu’il était probable que cette résurgence apparaisse en Chine plutôt qu’aux États-Unis, du fait que « abrutis par un système idéologique particulièrement hégémonique, les travailleurs étatsuniens préfèrent exprimer leurs frustrations dans le nihilisme et l’extrême-droite (Tea Party), plutôt que dans l’action collective progressiste. »
Il semble bien que, malgré cet abrutissement assez formidable de la machine culturelle étatsunienne, la situation des travailleurs est devenue tellement insupportable chez nos voisins que les faits infirment mon analyse. Et j’en suis très content. Mais de quelle situation parle-t-on ? Comme je l’expliquais dans un billet sur la conjoncture aux États-Unis, dans certaines villes la situation devient tout à fait explosive en raison de la crise financière que plusieurs d’entre elles traversent. Les dirigeants de la ville de Scanton, en Pennsylvanie, ont décidé de diminuer les salaires des 398 employés municipaux (policiers, pompiers, fonctionnaires) au salaire minimum fédéral !!! C’est là, évidemment, un cas extrême. Mais aux États-Unis, le taux de pauvreté aurait atteint son plus haut niveau depuis les années 1960, à 15,7%. La Grande Récession y a joué un rôle fondamental, alors qu’on voyait les emplois manufacturiers disparaître comme peau de chagrin et la valeur des maisons s’effondrer. La richesse nette moyenne des familles étatsuniennes aurait dégringolé de 39% entre 2007 et 2010, la ramenant à ce qu’elle était en 1992. Aujourd’hui, 20,2 millions de familles dépensent plus de 50% de leur revenu pour le logement (un record historique). Selon un sondage réalisé par le National Endowment for Financial Education, 40% des travailleurs ont connu une baisse de revenu au cours des cinq dernières années et 25% ont vu leur employeur cesser de contribuer à leur 401(k) (une sorte de REER collectif auquel contribue l’employeur).
Dans ce contexte, nous dit l’économiste Robert Reich, ancien ministre du travail sous Clinton, l’organisation des travailleurs acquiert tout son sens économique puisque sans organisation représentative assez puissante pour contrebalancer le pouvoir des grandes firmes (les Wal-Mart et McDonald de ce monde qui paient le salaire minimum), il n’y a pas de progrès possible pour eux et pour l’économie étatsunienne. Et c’est justement chez ces travailleurs qu’on commence à voir émerger les premiers signes d’un nouveau cycle de luttes syndicales. On a ainsi vu, le 22 novembre dernier, des milliers de travailleuses de Wal-Mart descendre dans la rue à travers les États-Unis pour dénoncer les salaires, les avantages sociaux, les conditions de travail et la discrimination systémique contre les femmes d’une entreprise qui annonçait au même moment une augmentation de 9% de ses profits trimestriels, à 3,6 milliards $.
Quelques jours plus tard, ce sont les travailleurs de fast food de la ville de New York qui ont organisé une journée de grève dans le cadre de la plus grande campagne de syndicalisation de l’industrie aux États-Unis. Au cours d’une manifestation dans les rues de la ville, les participants réclamaient une augmentation des salaires et la fin des mesures prises contre les travailleurs impliqués dans la campagne de syndicalisation. On estime qu’un emploi sur quatre créé dans la prochaine décennie le sera dans les industries à bas salaire et que l’âge médian des employés de l’industrie du fast food serait de 28 ans (de 32 ans pour les femmes).
Sans se faire d’illusion, peut-être sommes-nous à la veille d’une nouvelle dynamique de luttes collectives chez nos voisins. On aurait tous à y gagner !
[...] je l’indiquais récemment dans un billet sur le thème d’un cycle de renouveau syndical, les raisons ne manquent pas, aux États-Unis comme en Chine, pour voir enfin les travailleurs se [...]