Nonobstant la volonté de dénigrement du Québec que l’on retrouve trop souvent chez nos voisins canadiens, l’article paru en septembre dernier dans le magazine Maclean’s visait juste : on assiste à une diffusion significative des pratiques de corruption dans la vie économique et dans certains milieux politiques au Québec. Mais le journaliste était tellement aveuglée par sa volonté de dénigrer les Québécois francophones en général, et les souverainistes en particulier, qu’il n’a pas vu que les milieux où la gangrène se répand sont surtout ceux d’obédience fédéraliste et les milieux d’affaires. Je ne suis pas sûr que Rogers, le propriétaire du Maclean’s, aurait approuvé l’ouverture de cette boîte de pandore s’il avait su que cela pouvait nuire à leur principal allié québécois.
PLQ, CPQ et Chambres de commerce : ce sont maintenant les seuls groupes d’intérêt à refuser obstinément la commission d’enquête que réclament la grande majorité de la population québécoise. C’est pourtant la seule solution qui devrait s’imposer dans une société démocratique comme la nôtre pour commencer à faire un grand ménage de la corruption. Mais on comprend aisément pourquoi le patronat refuse ce genre d’enquêtes : premièrement, ce sont d’abord et avant tout les grandes entreprises, membres du CPQ, qui sont les voyous dans les affaires liées aux travaux d’infrastructures; deuxièmement, les politiciens qui sont les plus magouilleurs sont les plus proches alliés du patronat : le PLQ et les maires qui sont dans sa mouvance.
Cette ère des dirigeants-voyous (économiques et politiques) nous rappelle celle d’avant la Révolution tranquille. Nous pensions que cette « révolution » démocratique avait mis fin définitivement à cette ère du copinage et des pratiques de corruption. Les diverses variantes du modèle québécois que nous avons développé tout au long de quatre décennies – 1960-2000 – ont effectivement permis d’instituer de nouvelles relations, plus ouvertes, entre les grands acteurs économiques, en particulier en y intégrant les mouvements sociaux (syndical, coopératif puis, plus récemment, communautaire). Les liens étaient tissés serrés, mais l’intérêt général semblait continuer à prévaloir. Depuis une dizaine d’années, depuis l’arrivée au pouvoir du PLQ de Jean Charest, les institutions qui encourageaient, sur une base plus ou moins formelle, la concertation des acteurs politiques et économiques en faveur d’un nationalisme économique ont été éliminées au profit d’un vaste réseau de complicités politiques et d’influences occultes favorables à un régime de ploutocrates, comme on appelait au début du XXe siècle la nouvelle oligarchie des grandes familles richissimes qui s’accompagnait d’inégalités croissantes. En écartant, dès son arrivée au pouvoir, les mouvements sociaux des cercles de la gouvernance politique, le gouvernement Charest a été le principal initiateur de ce mouvement de régression sociale. Ça ne pouvait que conduire à ce que nous vivons actuellement.
Il ne faut quand même pas jouer les naïfs : il y aura toujours des mafieux, de ces crapules qui cherchent à gangrener les moindres interstices de la société légale par la corruption, en visant les responsables les plus fragiles ou les plus cupides. Mais depuis la grande frousse des fédéralistes au référendum de 1995, il semble qu’on a vu se mettre en place une nouvelle ère de la pensée fédéraliste au Québec, où le combat contre les souverainistes justifiait a priori n’importe quelle pratique. La fin justifiait dorénavant l’utilisation de n’importe quel moyen. C’est dans un tel contexte que les liens entre le PLQ et les milieux mafieux, qui sont signalés de longue date, semblent s’être étendus comme jamais auparavant.
Par exemple, les liens entre le prédécesseur de Tony Accurso à la direction de Louisbourg Construction, Mario Taddéo, son beau-frère, tombé en 1987 sous les balles d’un tueur à gages, qui était proche du Parti libéral du Québec, organisateur politique du maire Vaillancourt de Laval ainsi que du Parti Conservateur du Canada. En 2000, c’est l’inspecteur-chef de la police de Laval, Ronald Montpetit, qui est forcé de démissionner après qu’on eut découvert qu’il avait fait des vérifications illégales sur les antécédents de personnes qui avaient postulé un emploi au Tops, un complexe-bar appartenant à Accurso. Plus récemment, c’est François Beaudry, ancien conseiller au ministère des Transports du Québec, qui révèle sur les ondes de Radio-Canada – le 14 octobre 2009 – que la Mafia est intervenue dans l’attribution d’une dizaine de contrats à Laval en 2003 ! La Sûreté du Québec a ouvert une enquête et plus personne n’en a jamais entendu parler. Et que dire des liens de Tony Tomassi avec Luigi Coretti : le ministre démissionne et on n’entend plus jamais parler de l’affaire.
Il ne s’agit pas de s’enfermer dans l’idée obsessionnelle du complot mafieux. Ce qui est l’enjeu ici, ce qui aggrave la présence de la pieuvre mafieuse dans la société québécoise, c’est le fait que les dirigeants politiques et économiques actuels semblent partager avec elle la même volonté de desceller, en catimini, les fondations du modèle québécois de développement. En écartant les mouvements sociaux et en s’associant à la frange la plus anti-étatiste des milieux d’affaires, on ne pouvait qu’assister à une dérive du modèle québécois : la perversion d’une culture de la concertation par le copinage et la corruption pour la mainmise sur les relations privilégiées avec l’État et l’appropriation des rentes qui y sont associées.
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