Finalement, il y a toujours quelque chose de pourri dans le royaume de la finance. Malgré la fameuse rengaine du « Rien ne sera plus pareil… » qui nous a été chanté à plusieurs voix, il n’y a absolument rien de changé. Alors que la pourriture continue à faire ses ravages, c’est l’extrême-droite qui va en faire ses choux gras et continuer à attirer les mécontents avec ses solutions primaires, comme le montre le succès de la nouvelle égérie lepéniste de la France (des billets à venir sur ce thème bientôt).
Prenons par exemple les fonds spéculatifs : comme le démontre un article du Devoir du 12 mars (payant), ces fonds ont affiché des performances de 10,4 % en 2010 – après des rendements de 19,98 % en 2009 et de -19,03 % en 2008. Ces fonds ont réussi à canaliser dans leurs goussets des actifs de 1 917 milliards $ en 2010, dépassant les meilleurs années d’avant la crise. Leurs profits, de 28 milliards $, sont supérieurs à ceux des banques Goldman Sachs, JP Morgan, Citigroup, Morgan Stanley, Barclays et HSBC réunies (26 milliards) !
Bien sûr, il est en pratique impossible de démontrer les causalités directes de la spéculation sur les problèmes de faim et de destruction des solidarités sociales, comme il est impossible de faire des liens directs entre les changements climatiques et tel ou tel événement climatique. Néanmoins, rejeter de façon catégorique ces liens pour ces raisons m’apparaît comme une preuve d’aveuglement idéologique. Le 4 février dernier, les cours du soja, du maïs et du blé à la Bourse de Chicago ont atteint des sommets depuis l’été 2008. Le boisseau de maïs, à échéance mars, s’échangeait alors à 6,785 dollars, en progression de plus de 5 % en une semaine ! La même quantité de soja et de blé se vendait alors respectivement 14,335 et 8,538 dollars, en hausse de 2,54 et 3,39 % sur sept jours.
Ce qui est en cause ici, c’est l’inacceptable financiarisation du marché des biens alimentaires. C’est un symptôme supplémentaire du retour des folies commises au sein d’une sphère financière toujours hors de contrôle. Le temps ne serait-il pas venu de repenser la régulation de ces biens. Je parle ici non seulement des biens alimentaires mais également celui de l’argent. Ce sont là des biens trop importants pour être laissés aux seuls marchés. À l’ère de la globalisation, nous dit Antoinette Brouyaux, des cultures pourrissent sur pied dans certains pays alors que des pénuries frappent des populations ailleurs. L’heure est venue, nous dit-elle, de repenser le financement de l’agriculture, de sorte que la mobilisation d’actifs contribue réellement à une agriculture durable, tant sur le plan social qu’économique et environnemental.
Le processus de financiarisation actuel exclu totalement la possibilité de repenser nos pratiques dans la mesure où il détourne les actifs financiers disponibles vers des logiques spéculatives, qui promettent des rendements mirobolants dans le court terme. C’est ce processus qu’il faut obligatoirement cassé, de manière à ce que les États et les organisations internationales de surveillance reprennent le contrôle effectif des marchés. En 2008-2009, on a vu avec le G20 une possibilité réelle de gouvernance globale émerger avec un ensemble de propositions de régulation prometteuses. Leurs actions concertées nous ont permis d’éviter le pire. Malheureusement, nous dit Jean-Paul Fitoussi, « ils ne sont pas allés assez loin, ce qui a permis à de nombreuses banques, aux gouvernements et aux institutions internationales de reprendre le cours des affaires, comme d’habitude. Les pyromanes de l’économie globale sont en effet aujourd’hui devenus les procureurs et accusent les pompiers d’avoir provoqué une inondation. Les gouvernements ont eu l’opportunité de créer une nouvelle infrastructure financière globale au plus fort de la crise. Mais ils l’ont laissé passer. »
Dans cette perspective, on peut être tout à fait sceptique devant les déclarations du gouverneur de la Banque d’Angleterre, Mervyn King, qui dénoncent les banques d’investissement qui accordent à leurs dirigeants et courtiers des bonus indécents : « Le problème est encore là. La recherche du rendement continue. Les dérèglements deviennent de plus en plus importants », reprochant aux banques de profiter de la « crédulité » de leurs clients.
Sous les attaques des banquiers de la City, dont il n’est pas lui-même issu, le gouverneur aurait lancé une contre-offensive en se disant surpris que les Britanniques ne soient pas plus en colère contre le plan d’austérité actuel, dont le sauvetage des banques par l’État à coups de dizaines de milliards de livres est largement à l’origine ! Il a aussi fait savoir au gouvernement qu’il jugeait nécessaire une réforme structurelle obligeant les banques à séparer leurs activités d’investissement de leurs activités de détail. Or, les grandes institutions financières sont absolument contre de telles mesures, qui remettraient en cause le processus actuel de financiarisation. On a vu aux États-Unis comment elles ont faire capoter les principales propositions faites en ce sens par l’ancien gouverneur de la Fed. Pour être sûr de leur coup, les banques ont d’ailleurs grassement financé les candidats Républicains à l’élection de mi-mandat pour qu’ils bousillent la réforme étatsunienne des institutions financières. Aujourd’hui ils contrôlent la Chambre des représentants !
Définitivement, il y a quelque chose de pourri dans le royaume de la finance…
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