Le principal problème qui m’apparaît depuis le début de cette campagne électorale est l’absence totale de débat sur les enjeux futurs des sociétés canadiennes et québécoises. En 2008, il faut admettre que le PLC avait eu le courage de proposer des solutions audacieuses pour lutter contre les changements climatiques. Mais, d’une part, Stéphane Dion était le pire messager pour porter ces solutions, et d’autre part, la machine de destruction massive des conservateurs a démoli, sans aucun scrupule, le message et le messager, en l’absence de tout contre-pouvoir d’une presse servile à souhait.
Cette année, les conservateurs ont voulu répéter leur martelage médiatique, dans un style probablement inspiré des campagnes électorales dans les pays à parti unique, en se présentant comme le parti de la stabilité face aux dangers de la diabolique coalition. Les conservateurs comme le parti de la stabilité ? Mais c’est là une monumentale supercherie. Un gouvernement conservateur majoritaire sera plutôt le plus grand facteur d’instabilité des quarante dernières années.
Sur le plan économique, rappelons-nous encore une fois que n’eût été de l’alternative de la coalition de décembre 2008, les conservateurs auraient plongé le Canada dans une récession dramatique pour bien des Canadiens. Mais ce qu’il n’a pu faire dans le passé, il le fera dans le futur : un gouvernement conservateur majoritaire fera subir à l’économie canadienne une dose d’austérité sévère, qui représentera un important facteur d’instabilité. Il est probable que la politique d’équilibre budgétaire des conservateurs canadiens n’aura pas l’ampleur de celle de leurs confrères britanniques ou irlandais, puisque les finances publiques canadiennes sont dans un bien meilleur état. Néanmoins, dans un contexte international lui-même très instable – pressions inflationnistes, crise des finances publiques en Europe et aux États-Unis – la politique d’austérité conservatrice risque de provoquer des perturbations économiques importantes. Il n’y a jamais de bons moments pour procéder à des coupures dans les dépenses publiques; mais lorsque ces dernières sont faites sauvagement alors que les taux d’intérêt sont dans un cycle de hausse, on se prépare des lendemains assez dramatiques sur le plan économique.
Sur le plan social l’argumentation est identique. Identique parce que dans les faits, le social est inséparable de l’économie, l’économie toujours sociale. Mais ça c’est un autre débat que je ne développerai pas ici. Reste que, en raison de la dimension sociale réactionnaire inhérente à leur politique économique, un gouvernement conservateur majoritaire va devenir un des plus dangereux facteurs d’instabilité sociale dans les années à venir. D’une part en raison de l’affaiblissement du rôle de redistribution de l’État, dans la foulée des coupures dans les dépenses publiques; d’autre part en raison de l’accroissement des inégalités de distribution du revenu national qui favorise les entreprises et les familles les plus nanties, aux dépends des familles des classes moyennes et populaires. Lors du dévoilement du budget fédéral, un analyse de la firme de consultant Deloitte affirmait : « Nous continuons de croire que le taux d’imposition des particuliers le plus élevé est trop élevé et que le niveau auquel ce taux s’applique est trop bas. Cette situation nuit à la compétitivité du Canada sur la scène internationale lorsqu’il s’agit d’attirer les meilleurs talents. » Ce sont ces gens qui auront le plus d’influence avec une administration Harper majoritaire. Par ailleurs, le parti-pris des conservateurs en faveur d’une vision répressive de la justice – il faut bien protéger les plus riches contre cette multitude croissante de pauvres – va graduellement conduire le Canada vers ce mal-développement typique de la société étatsunienne.
Finalement sur le plan environnemental c’est la catastrophe annoncée. De toutes les sources d’instabilité auxquelles ce régime nous prépare, avec une adresse qui n’a d’égale que l’inconscience crasse de la majorité de ceux qui vont voter pour lui, la pire à venir est celle sur le climat. La palme de l’inconscience nous vient des Inuits, qui se font manipuler comme des enfants par ce « bon père de famille qui leur veut du bien » alors que l’arctique sera la région du Canada la plus frappée par les changements climatiques, auxquels les responsabilités conservatrices sont évidentes (voir mon billet sur le climat au Canada). Mais la majorité qui semble se dessiner dans le ROC s’en fout royalement de l’instabilité climatique provoquée par l’inaction du gouvernement canadien, parce que ses impacts vont principalement affecter le reste du monde. Puisque ces gens-là ont un respect démesuré pour la force militaire, je voudrais citer ici, comme pièce à conviction, un manifeste signé par 33 généraux et amiraux retraités de l’armée des États-Unis :
« Climate change and energy are two key issues that will play a significant role in shaping the future security environment. Although they produce distinct types of challenges, climate change, energy security, and economic stability are inextricably linked. The actions that the Department takes now can prepare us to respond effectively to these challenges in the near term and in the future.[...] Assessments conducted by the intelligence community indicate that climate change could have significant geopolitical impacts around the world, contributing to poverty, environmental degradation, and the further weakening of fragile governments. Climate change will contribute to food and water scarcity, will increase the spread of disease, and may spur or exacerbate mass migration. While climate change alone does not cause conflict, it may act as an accelerant of instability or conflict, placing a burden to respond on civilian institutions and militaries around the world. »
Les conservateurs comme parti de la stabilité ? Le monde selon Harper sera plutôt marqué comme une période d’obscurantisme digne de la grande noirceur duplessiste. Mais à une échelle, je crois, beaucoup plus dramatique dans ses effets, en raison des impacts des choix que ce gouvernement aura à faire dans les années à venir.
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