Dans deux articles du Devoir publiés en juillet, Antoine Robitaille a levé le voile sur les dissensions qui auraient véritablement lieu dans ces négociations secrètes sur l’Accord économique et commercial global (AECG) que le Canada et l’Union européenne veulent conclure dans l’année qui vient. La huitième ronde de ces pourparlers se serait conclue à Bruxelles en juillet sur un certain constat d’échec, rapidement démenti par les gouvernements.
C’est que plusieurs dossiers viennent brouiller les cartes. Reuters rapportait que les négociations avaient achoppé sur les deux sujets les plus délicats, les services et les marchés publics. L’agence de presse affirmait même qu’il était improbable que l’AECG soit conclu, et ce, même si des négociations se poursuivaient sur des sujets moins importants. Toujours selon Reuters, le directeur du Forum sur le commerce Canada-Europe (FORCE), Jason Langrish, rend les Européens responsables des retards. Serait-ce la bataille que mènent plusieurs Européens contre les sables bitumineux qui pose problème (voir notre billet de juin dernier) ? Ou bien savait-on déjà que l’Union européenne allait déposer une plainte à l’OMC contre la politique de l’Ontario sur les énergies renouvelables ?
Quoiqu’il en soit, le 14 juillet, l’UE et le Canada ont déposé leurs offres détaillées portant sur les marchés publics et les tarifs douaniers pour le dernier droit de cette négociation. La neuvième ronde de pourparlers se tiendra à la mi-octobre à Ottawa et d’ici là, les différents gouvernements devront décider ce à quoi ils tiennent véritablement et ce sur quoi ils sont prêts à céder. Par exemple, est-ce que le Québec est prêt à contraindre Hydro-Québec à faire systématiquement des appels d’offres ouverts à l’Europe pour ses grands travaux d’ingénierie. Les contrats publics des provinces, qui représentent un marché de quelque 200 milliards annuellement, sont en effet la principale cible de l’UE dans cette négociation. Selon Stuart Trew, du Conseil des Canadiens et du Trade Justice Network, présent à Bruxelles pendant les derniers jours des pourparlers de juillet, les Européens n’apprécieraient pas que les provinces canadiennes souhaitaient exclure de l’accord différents aspects de leur société d’hydroélectricité.
Poursuivons ce billet sur une note peu réjouissante : les économistes des services de recherche économique de Desjardins ont produit une analyse économique totalement insipide sur l’AECG (Accord économique et commercial avec l’Union européenne : une occasion d’accroître la diversification du commerce canadien), qui exclue tous les enjeux le moindrement litigieux qui se cachent derrière ce projet d’accord. Faut dire que l’étude a été réalisée en collaboration avec le CIRANO, un centre de recherche économique ressassant, encore aujourd’hui, après la crise que nous venons de traverser, tout ce que la doctrine économique libérale possède de pseudo-science, de fausses vérités et d’hypothèses simplistes, mise au service des forces politiques ultralibérales du Canada dans le but de démolir systématiquement les fondations du modèle québécois de développement. Que Desjardins, entreprise phare de l’économie sociale québécoise, se prête à cette démarche de démolition, surprendra-t-il encore quelqu’un ? Voici les conclusions de cette étude bidon.
« De façon générale, nous pouvons conclure qu’un éventuel accord économique et commercial entre le Canada et l’UE serait bénéfique pour les deux zones. Cela favoriserait une meilleure diversification géographique du commerce international canadien, si bien que le Canada serait moins vulnérable aux soubresauts du marché américain. Il est donc évident qu’un accord avec l’UE nécessitera des ajustements au sein de l’économie canadienne, que ce soit sur le plan de la production, de l’emploi ou des investissements. Dans ce contexte, certains secteurs seraient avantagés alors que d’autres seraient désavantagés. Des mesures gouvernementales transitoires pourraient être mises de l’avant afin de minimiser les effets néfastes sur les entreprises, les consommateurs et les travailleurs. Selon une étude conjointe effectuée en octobre 2008 par le gouvernement du Canada et la Commission européenne 3, le gain annuel moyen d’ici l’année 2014 résultant d’un accord économique et commercial entre le Canada et l’UE pourrait s’élever à 9,2 G€ (en euros de 2007) pour le Canada et à 11,6 G€ (en euros de 2007) pour l’UE. En proportion du PIB réel, cela représente un bénéfice d’environ 0,77 % pour le Canada et de 0,08 % pour l’UE. Ces projections font toutefois l’objet d’une certaine contestation. En outre, les effets de la dernière récession mondiale ont affecté les hypothèses de base utilisées dans l’étude. L’ampleur des bienfaits reste donc incertaine. »
Or, une étude plus récente démontre que ces retombées ont été largement surestimées. Elles seraient plutôt 75 % plus faible pour l’Union européenne (0,02 % plutôt que 0,08 %) et entre 77 et 53 % plus faible pour le Canada (entre 0,18 et 0,36 % plutôt que 0,77 %).
Dans un communiqué de presse publié en juillet, le Réseau pour un commerce juste (RCJ) et le Réseau québécois sur l’intégration continentale (RQIC) font, de leur côté, référence à des études canadiennes qui démontrent que l’AÉCG pourrait engendrer la perte d’entre 28 000 et 150 000 emplois, qu’il augmenterait le coût des médicaments de 2,8 milliards de dollars et qu’il menacerait les politiques d’achat local des municipalités et les monopoles d’État.
Pour terminer sur ce thème, je vous renvoie à un rapport produit par Eau Secours!, en collaboration avec le SCFP, qui explique les raisons pour lesquelles les services publics des eaux sont menacés par cet accord et qui propose une série de recommandations et de pistes d’action pour s’y opposer. Pour lire le rapport, cliquez ici.
Merci Gilles pour toutes ces informations.