Les communautés forestières sont en crise depuis longtemps : les dernières années ont été particulièrement difficiles, l’ensemble des emplois forestiers depuis 2005 ont passé de 144,00 à 68,000, une chute de près de 55%. Du côté du réseau coopératif dans ce secteur, le chiffre d’affaires, dans la dernière décennie, est passé de $460 à $225 millions et les emplois coopératifs de 6400 à 3000. Comment des communautés font-elles face à ces enjeux de dépossession et à l’enjeu de plus en plus déterminant de l’urgence écologique. Récit d’une expérience de conversion d’entreprises coopératives prenant le virage vert. État des lieux et mise en perspective.
La nouvelle stratégie de développement local des coopératives forestières
En avril 2009, j’étais invité comme conférencier au congrès de la Fédération québécoise des coopératives forestières (FQCF). On m’avait invité à parler du mouvement coopératif, mouvement sur lequel je fais des travaux de recherche depuis bon nombre d’années déjà, pas pour mes connaissances sur le secteur forestier. J’ai ainsi eu l’occasion de plonger pendant deux jours dans cet univers et d’observer de près les changements qui allaient venir. La transformation des coopératives forestières dans les dernières années est très peu connue. Il s’est opéré là un virage majeur vers la filière énergétique et plus spécifiquement vers la biomasse forestière. Car la Fédération québécoise des coopératives forestières (FQCF) milite pour une stratégie d’aménagement durable des forêts basée sur une approche écosystémique. Comment les choses se présentent-elles?
La FQCF regroupe quelques 40 coopératives de travailleurs du secteur forestier. Ces coopératives emploient plus de 3000 personnes. Elles sont engagées dans tous les secteurs de l’industrie: production de plants en pépinière, sylviculture, récolte et transformation. Fortes de leur expertise, les coopératives développent de nouvelles activités, dont l’utilisation de produits forestiers non ligneux et de la biomasse forestière à des fins énergétiques. La biomasse forestière est constituée de tous les végétaux d’une forêt: arbres, plantes, arbustes et feuillages. Sur le plan énergétique, toutefois, les différents intervenants s’intéressent surtout aux résidus de coupe forestière qui sont habituellement laissés en forêt lors de la récolte du bois à valeur commerciale. Parfois aussi, on produit de la biomasse en plantant des arbres à croissance rapide (peupliers ou saules) qui seront récoltés quelques années plus tard. En vertu de ses propriétés physiques, la biomasse forestière peut remplacer les combustibles fossiles car cette dernière est considérée comme neutre en carbone et son utilisation en tant que source d’énergie permet de réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES). Soyons clair ici : il ne s’agit pas de la biomasse de première génération provenant surtout de l’utilisation de terres agricoles à des fins de production comme c’est le cas des agrocarburants (l’éthanol à base de maïs est l’exemple le plus connu). Il s’agit de biomasse forestière utilisée pour des fins énergétiques et produite dans le cadre d’un aménagement intégré et durable des forêts. Qu’est-ce à dire?
Les coopératives forestières et leurs partenaires (communautés autochtones, organismes municipaux qui gèrent des forêts, etc.) ont obtenu récemment des garanties d’approvisionnement sur les forêts publiques dans le cadre d’un processus d’appel de propositions du MRNF. Parallèlement, depuis trois ans, la FQCF déploie une stratégie afin de chauffer les bâtiments institutionnels à l’aide de cette biomasse forestière. En 2007, la FQCF a présenté au gouvernement et à l’Agence de l’efficacité énergétique, un projet de valorisation de la biomasse forestière visant la maximisation des retombées économiques pour les régions du Québec.
D’ici 2013, l’organisme souhaite réaliser de 350 à 400 projets de chaufferies institutionnelles, créer près de 1000 nouveaux emplois, en plus de consolider les emplois actuels dans l’ensemble des coopératives forestières. Comment cela a-t-il été possible ? Pour faire une histoire courte, rappelons qu’une loi sur l’aménagement durable du territoire forestier a été votée en avril 2010 et entrera en vigueur en avril 2013. Malgré toutes ses ambiguïtés, cette nouvelle loi a ouvert la porte aux communautés pour gérer elles-mêmes un portion du territoire à partir du concept de « forêt de proximité ». La FQFC est donc en train de pénétrer la brèche qui a ainsi été ouverte.
Déjà, une douzaine de coopératives sont engagées dans des projets avec les établissements locaux de leur communauté. La première chaufferie institutionnelle conçue pour être alimentée à la biomasse forestière a d’ailleurs été inaugurée à l’hôpital d’Amqui, en Gaspésie, fin 2009. La FQCF s’est dotée d’un centre de développement forêt-bois-énergie et a organisé des missions pour les dirigeants de ses coopératives en Europe et aux Etats-Unis. Le développement de cette filière permettra non seulement d’améliorer le bilan écologique, mais aussi de consolider les collectivités locales, car les retombées des activités économiques des coopératives y sont entièrement réinvesties, contrairement aux profits des multinationales.
De l’avis de tous (ou presque), dans le secteur de la forêt, ce que la FQCF est en train de faire constitue une véritable expérience de conversion écologique de l’économie en milieu forestier. C’est en tout cas, ce que le directeur général de la FQCF, Jocelyn Lessard, a tenté de nous démontrer lors de la rencontre organisée par la Caisse d’économie solidaire Desjardins, Fondaction et le Groupe d’économie solidaire (GESQ) le 17 octobre dernier au Centre Saint-Pierre à Montréal.
Le réchauffement climatique et l’activité forestière
L’enjeu du réchauffement climatique est entré dans l’espace public international avec plus de force et d’intensité que jamais avec Copenhague 2009 et demain le 2e Sommet de la Terre à Rio en juin 2012. Le Groupe intergouvernemental d’études sur l’évolution du climat (GIEC), par ses travaux, nous indique très clairement que les pays industrialisés du Nord doivent réduire de 30 % d’ici 10 ans leurs émissions de CO2. Or on sait que les émissions de CO2 dans l’atmosphère sont causées par l’empreinte humaine sur les écosystèmes à hauteur de 17% dans le cas de la forêt. Quelles stratégies déployer sur ce dossier? Les coopératives forestières sont en train d’ouvrir la voie. Pourvu qu’elles puissent réussir leur capitalisation à la bonne hauteur. Jocelyn Lessard, directeur de la FQCF, posait bien la question le 17 : «À quand un véritable fonds de capitalisation dédié aux énergies renouvelables?» Pour briser la dépendance au pétrole, pour des économies locales plus vigoureuses, pour renouveler durablement la forêt. La bataille en vaut la peine.
[...] un virage vers la biomasse qui les met au cœur d’une démarche de développement durable. J’en rendais compte dans un article fin octobre. Et voilà qu’une vieille, très vieille coopérative agricole, Nutrinor, travaillant [...]
Bonjour M. Favreau,
Ayant lu (et apprécié) votre article « Coopératives forestières : le virage de la biomasse » du 26 octobre dernier, j’ai été estomaquée par vos chiffres sur la situation économique de ce secteur.
J’aimerais les utiliser mais j’en ignore la référence. Pourriez-vous me nommer vos sources, s’il vous plaît ? Je promets de vous référencer également (j’ai d’ailleurs partagé votre article sur facebook).
Merci et au plaisir,
Annie Brassard