Dans mes deux billets précédents, j’ai traité des coûts qu’entrainent pour les Québécois le fédéralisme de l’ère ‘de la loi et de l’ordre’ Harper et de l’ère ‘Jurassique’ Harper. Dans les deux cas, on peut dire qu’il s’agit de coûts assumés par les Québécois alors qu’ils sont soit économiquement défavorables au Québec, soit contraires aux valeurs ou aux choix politiques des Québécois. Ils représentent des coûts supplémentaires qu’un Québec souverain n’aurait pas à assumer.
Dans ce troisième et dernier billet sur ce sujet, je vais traiter des coûts de l’ère ‘ultralibérale’ Harper. Car dans ce domaine également les Québécois ne partagent pas la vision et les pratiques du ROC. Par exemple, au Québec nous avons récupéré les deux points de pourcentage de la taxe sur la valeur ajoutée délaissés par le fédéral, au profit des programmes sociaux québécois. Mais l’administration Harper a été plus loin en diminuant de 6 points de pourcentage le taux d’imposition des entreprises. La dernière baisse, de 1,5 point de pourcentage, sera en vigueur à partir du 1er janvier 2012. Elle coûtera 4 milliards $ au fédéral.
En plus, l’administration Harper veut augmenter de 5 000 $ à 10 000 $ le compte d’épargne libre d’impôt (CÉLI), qui n’est pourtant utilisé que par 18 % de la population, les plus favorisés des citoyens. On estime que cette mesure aura un coût supplémentaire de 6 milliards $ de revenus en moins ! La mesure devrait entrer en vigueur d’ici 2015, soit lorsque le gouvernement prévoit atteindre l’équilibre budgétaire. Donc au total, pour ces deux seules mesures, c’est 10 milliards $ en moins de revenus fiscaux annuels, donc de la capacité du fédéral à garantir des transferts fiscaux équitables aux provinces.
Mais l’ère ultralibérale Harper ce n’est pas seulement moins de revenus, c’est aussi celle de la rigueur, car il faut bien payer ces dépenses fiscales pour les plus riches de la société. Dans un excellent article de Manon Cornellier (réservé aux abonnés du Devoir), on constate que, malgré toutes les incertitudes économiques qui devraient amener le gouvernement Harper à être prudent dans ses objectifs de compressions, le ministre Flaherty a continué de répéter que rien n’ébranlera sa décision de réduire ses dépenses de 4 milliards $ annuellement d’ici 2014. Il garde le cap ! Les ministères et sociétés d’État doivent fournir deux scénarios de coupures des dépenses, de 5% et 10%. Ces coupures s’ajouteront à celles prévues dans le cadre d’examens stratégiques annuels, et aux économies réalisées à la suite du gel des budgets de fonctionnement des ministères.
On parle de 80 000 départs de fonctionnaires. Or, selon la présidente de la Commission de la fonction publique (CFP), Maria Barrados, les 83 ministères et organismes qui relèvent d’elle comptaient 216 709 employés en mars dernier. La même année, 3,7 % des fonctionnaires et 3,3 % des gestionnaires ont pris leur retraite, soit environ 8 200 personnes. À ce rythme, il faudrait plus de neuf ans pour atteindre le total de 80 000 départs évoqué par M. Harper.
Manon Cornellier affirme : « Le gouvernement a beau dire, il y aura fort probablement explosion et, s’il ne corrige pas le tir, son opération risque de dérailler. À la suite des compressions de 1995, la Commission avait vu le nombre d’employés excédentaires figurant sur sa liste tripler. Et cela aurait pu être pire n’eût été les primes de départ offertes par le gouvernement. Environ 8 000 fonctionnaires s’en étaient prévalus dès la première année. Le gouvernement veut faire le ménage, mais il semble mal mesurer ou négliger un aspect important et complexe de l’opération: la gestion de ses ressources humaines. Les conservateurs aiment citer le secteur privé en exemple. Mais lequel veut-il imiter? Ces employeurs qui sabrent sans discernement ou ces grandes entreprises qui prennent les moyens d’abolir des postes sans punir indûment leur monde ? »
Environ 40 000 de ces fonctionnaires sont Québécois. C’est donc dire qu’autour de 15 000 de ces derniers devraient être mis à la porte d’ici 3 ans. Disons, pour garder les même proportions, que 2 000 partent à la retraite et qu’un autre 2 000 acceptent des primes de préretraite. Il reste 11 000 personnes, avec un revenu moyen de 35 000 $, soit une perte de transfert de nos taxes au fédéral vers le Québec (en termes de pouvoir d’achat) de 385 millions $ par année.
Le dernier coût de l’ère ultralibérale que nous lèguera l’administration Harper sera celui découlant de la plus grande inégalité de la société canadienne. Bien sûr, en raison de ses programmes sociaux et de sa fiscalité, le Québec a un taux d’inégalité plus faible que le ROC. Mais dans la mesure où les politiques de l’ère ultralibérale Harper « fabrique » de l’inégalité partout au Canada, le coût des mesures québécoises sera automatiquement augmenté. Il est difficile de cerner ce coût supplémentaire puisque les données sur les inégalités de revenu sont rares et manquent de précisions. On ne peut que répéter, comme l’admet le Conference Board, que « les plus riches ont augmenté leurs revenus plus rapidement que les plus pauvres ». Et tout laisse croire que cela empirera dans les années à venir.
«C’est donc dire qu’autour de 15 000 de ces derniers devraient être mis à la porte d’ici 3 ans»
Ça devrait être un peu moins que ça…
Vous soulevez de bons points, mais vous ne dites pas un mot sur l’illusion que de ne pas remplacer ces travailleurs ne diminuera pas la qualité des services. Par exemple, même avant ces compressions, des prestataires se plaignent déjà (avec raison) de retards dans la réception de leurs chèques d’assurance-emploi et de ne pas pouvoir rejoindre les agents aux centres d’appels où on les dirige pourtant s’ils ont des questions. Qu’est-ce que ce sera après les abolitions de postes?
«Disons, pour garder les même proportions, que 2 000 partent à la retraite et qu’un autre 2 000 acceptent des primes de préretraite»
Il est inexact de parler de primes de préretraite. Contrairement à ce qui s’est passé au milieu des années 1990, ce dont parle Mme Cornellier, aucune prime du genre n’est actuellement prévue.
Comme la sécurité d’emploi au fédéral n’est qu’une priorité d’embauche pendant un an, je connais déjà une personne qui vient de perdre sa permanence parce qu’on ne lui a offert pendant un an aucun poste de son niveau. Combien y aura-t-il de cas comme celui-là quand les abolitions de postes commenceront vraiment?