Envoyé spécial aux Rencontres du Mont-Blanc
À la veille de Rio+20, les RMB avaient fait le bon choix : approfondir la dimension écologique tant dans son document d’orientation que le choix de certains conférenciers d’envergure : Ignacy Sachs, Brice Lalonde, Michel Griffon. La 5e édition aussi marqué des avancées sur le terrain de la défense et de la promotion des écosystèmes.
Ignacy Sachs, un vétéran du développement durable
Ignacy Sachs, professeur émérite à l’École des hautes études en sciences sociales en France, est un vétéran du développement durable depuis 1972, année de la première Conférence des Nations Unies pour l’environnement à Stockholm, homme de 80 ans encore bien «vert», auteur d’un livre majeur, Stratégies de l’écodéveloppement, (1980). Il nous plongera dans l’analyse des mutations en cours de la planète : « Avec Rio+20 en 2012, nous entrons dans une nouvelle ère géopolitique internationale puisqu’après la révolution industrielle qui a bouleversé radicalement la planète au 19e siècle, aujourd’hui, au 21e siècle, c’est la survie de celle-ci qui est l’enjeu crucial ». Et d’ajouter « Nous avons besoin d’une autre révolution verte, celle des pays du Sud, celle des petits producteurs, ce qui nécessite des réformes agraires (bien absentes du débat actuel) parce que celles-ci pourront véritablement favoriser l’accès à la terre ». Et cette nouvelle révolution verte va de pair avec la révolution bleue, celle de la pisciculture en eau douce, celle de l’horticulture intensive pour freiner la montée des eaux sur les rivages, celle qui pourra fournir une alternative avec l’élevage intensif du bovin. De plus il faut miser sur les énergies renouvelables et rendre, par la coopération internationale, des fonds disponibles pour ces deux révolutions, la verte et la bleue. Donc, ne pas laisser la main invisible du capitalisme continuer son travail de sape. Utiliser plutôt les cinq doigts de la main : celle de la planification de cette double révolution (en demandant aux chefs d’État au Sommet de la Terre de Rio des plans nationaux et une reddition de compte sur ces plans aux 2 ou 3 ans); celle de la sécurité alimentaire; celle de la sécurité énergétique; celle d’une nouvelle géographie de la coopération internationale redéfinie par ses nouvelles priorités; enfin celle d’un modèle social démocratique.
Brice Lalonde, une figure de proue du mouvement écologique international
Brice Lalonde, figure bien connue de l’écologie sociale et politique au plan international, engagé pleinement dans la mobilisation sur Rio+20, ira dans le même sens mais autrement : « Le Sommet de Rio, ce sera 194 pays et 50,000 personnes représentant des associations, des villes et cités, des syndicats, des entreprises…non pas surtout pour faire le bilan des 20 dernières années mais plutôt de voir ce que nous allons faire dans les 20 prochaines années. L’ESS y sera-t-elle? Y serez-vous? ». Et de signaler au passage que « pour la première fois, il n’y a pas de leadership. Les pays émergents ne veulent pas se risquer parce qu’ils pourraient perdre le capital de sympathie des pays les plus pauvres qui pourraient s’inquiéter. Les pays riches se neutralisent mutuellement. En fait, c’est plutôt, au plan de la géopolitique internationale, l’éclatement général ». Cependant il y a 660 soumissions (et 5000 pages de texte) en provenance d’États et de la société civile. Mais le risque viendra du monde des grandes multinationales, particulièrement les minières, les gazières et les pétrolières qui ne manqueront pas de peser de tout leur poids. La directrice du PNUD à Genève, également invitée des RMB, Céline Molinier, de renchérir dans son exposé : « vos cinq chantiers et vos 20 propositions sont excellentes. Vous réintroduisez notamment la dimension territoriale dans le développement, manière importante de contrer les menaces qui pèsent sur l’environnement ».
Michel Griffon, un spécialiste international de l’agriculture
Michel Griffon, spécialiste international en matière d’agriculture (auteur d’un ouvrage qui a fait parler de lui en 2006, Nourrir la planète, et d’un tout dernier livre, Pour un monde viable en 2011), est venu, dans un atelier sur les agricultures et le développement durable, renforcer les propos d’Ignacy Sachs : « Il y a de 20 à 25 millions d’exploitations dans le monde, qui font de l’agriculture industriellement intensive, ce qui représentent 30 à 40% de la production mondiale. Mais cette exploitation vit présentement une hausse des coûts de l’énergie, génère beaucoup de gaz à effet de serre, est dommage pour la biodiversité et entre dans une phase de rareté » pour ce qui concerne les engrais (dont une bonne partie dépendent du pétrole) et pour ce qui a trait à l’eau (étant donné le changement climatique). La demande pour plus de viande ne fait qu’accentuer les besoins en terres (production de maïs et de soya) pour alimenter le bétail. C’est notamment le problème de la Chine. Si, de plus, on va vers les agrocarburants parce que l’agriculture et la forêt sont les candidats au remplacement du pétrole, on voit tout de suite se profiler le cercle vicieux.
« Puis il y a deux milliards 400 millions de petits exploitants peu mécanisés, ne disposant pas d’un régime sanitaire adéquat, peu productive et dont l’enjeu est d’accroître leurs rendements » avec, en autant que faire se peut, des techniques dont les coûts seraient faibles et une production respectant l’environnement afin de rendre les terres plus fertiles. Griffon ne s’en cachait pas, l’équation est très très difficile à résoudre.
La première révolution verte, l’agriculture industriellement intensive, a sans doute amélioré le sort d’un certain nombre d’exploitants tout en diversifiant les produits pour les consommateurs des pays riches mais, aujourd’hui, c’est une agriculture polluante et une agriculture également laminée par le prix du pétrole appelé à devenir de plus en plus cher. L’option prometteuse est fondée sur l’écologie scientifique (pas l’écologie politique ou l’écologie romantique) : l’agriculture écologiquement intensive est une agriculture qui met à contribution les écosystèmes autrement. Par exemple, des insectes nuisibles à la production agricole peuvent être contrés par d’autres insectes qui en font leur proie. Ou encore le charbon de bois en poudre, lorsqu’il est réparti dans le sol, permet la rétention de l’eau et des nutriments. Bref une révolution biologique est en cours, laquelle permettrait d’abandonner le labour intensif et d’augmenter le capital fertilité dans les sols. Cette révolution biologique vaudrait tant pour les gros que pour les petits exploitants. Conditions : miser sur un investissement en main d’œuvre, investir en recherche et tabler sur une aide au développement initial. C’est la voie écologique par la recherche scientifique et par l’émergence de nouvelles techniques agricoles. L’autre voie est économique et concerne surtout les pays du Sud : restaurer la capacité de production alimentaire locale destinée aux villes plutôt qu’à l’exportation. Condition : restaurer la notion de politique agricole, qui équivaut, dans nombre de communautés du Sud, à faire véritablement la lutte à la pauvreté.
Stimulée par de telles interventions, la direction des RMB se prépare donc, dans les prochains mois, à rencontrer les représentants des États à Rio en juin prochain. D’ici là, les partenaires québécois des RMB ne seront pas en reste : ils tiendront eux aussi des activités de préparation afin de favoriser la convergence autour des chantiers identifiés au Mont-Blanc. Au programme, le GESQ, conjointement avec la Caisse d’économie solidaire Desjardins, tiendra une université d’été à la fin avril 2012 sur ces thématiques. Avec l’espoir de créer des alliances ici et avec des partenaires du Sud.
[...] très présentes à Chamonix aux Rencontres du Mont-Blanc. L’orientation qui a pris forme : « la planète n’y arrivera pas si on ne change pas de modèle, la planète sera solidaire ou ne sera… ». Dans cette dynamique récente axée sur la question du développement durable, on retrouve [...]