Il y a quelques semaines j’affirmais dans un billet que l’économie canadienne montrait un retournement de conjoncture, sur la base de quelques indicateurs. Depuis, la publication des chiffres de l’emploi et des permis de bâtir semblent confirmer mes hypothèses. C’est en tout cas assez préoccupant pour que même le ministre Flaherty soit obligé d’admettre qu’il aura des déficits plus importants que prévus. Mais les nouvelles qui proviennent de nos partenaires sont encore plus préoccupantes.
Tout d’abord chez notre voisin méridional. Il ne faut pas se réjouir trop vite de la baisse du taux de chômage aux États-Unis. En novembre, le secteur public a aboli 20 000 emplois alors que le privé en a créé 140 000, pour un total net de 120 000 créations d’emplois. Mais la baisse de 0,4 point de % du chômage est d’abord due au fait que 315 000 personnes, découragées de ne pas trouver du travail, ont tout simplement arrêté d’en chercher et sont sorties du marché du travail. Si le taux de chômage n’est pas plus élevé, c’est parce que 2,3 millions de personnes se sont découragées et ne sont plus dans la population active. Néanmoins, avec 14 millions de chômeurs dont l’horizon est bouché, les États-Unis se préparent un enjeu social majeur. Comme on le constate dans le graphique ci-joint, la durée moyenne de chômage a explosé par rapport à la moyenne historique des États-Unis. Dans quelques mois, si des mesures spéciales ne sont pas prises, des centaines de milliers de personnes vont perdre leurs derniers bénéfices sociaux. La Réserve fédérale des États-Unis vient de revoir à la baisse ses prévisions de croissance 2011, 2012 et 2013, tout en rehaussant significativement ses anticipations de taux de chômage. Bernanke a déclaré que la Fed est prête à agir au besoin… Mais le problème c’est plutôt l’incapacité du président Obama d’agir.
Robert Reich, ancien ministre du travail sous la présidence Clinton, estime que la situation économique difficile et le blocage des Républicains et du 1% de l’oligarchie vont nécessairement conduire à une révolte de la population. Avec les coupures sauvages dans les programmes sociaux qui vont suivre l’échec du super-comité du Congrès pour réduire la dette de 1 200 milliards, ainsi que la fin prochaine des allocations de chômage d’une partie importante des travailleurs sans emploi, l’année 2012 va voir une montée de la contestation. Peu importe le résultat des élections de 2012, nous dit Robert Reich, la révolte des citoyens va bouleverser l’ordre en place.
En Europe, l’activité manufacturière a continué de se contracter en octobre dans la zone euro avec, pour la première fois depuis deux ans, des signes de faiblesse de l’industrie allemande. Dans une note publiée en prévision du sommet du G20 les 3 et 4 novembre à Cannes, l’OCDE a réduit ses prévisions de croissance 2012 pour la zone euro à 0,3% (contre 2% prévu en mai) et à 1,8% celles des États-Unis (contre 3,1%). Toujours en prévision du G20, l’OIT a publié une sombre analyse de l’économie mondiale qui serait « sur le point d’entrer dans une nouvelle récession de l’emploi, plus profonde, qui va retarder d’autant la reprise économique mondiale et qui pourrait déclencher de nouveaux troubles sociaux dans un grand nombre de pays. » Raymond Torres, directeur de l’Institut international d’études sociales de l’OIT à l’origine de cette analyse, affirme que la reprise économique mondiale qui se fait attendre commence à affecter considérablement les marchés du travail.
Les principaux constats du rapport de l’OIT sont :
• Sur 118 pays pour lesquels existent des données, 69 pays enregistrent une hausse du pourcentage de personnes faisant état d’une dégradation de leur niveau de vie en 2010 par rapport à 2006.
• En 2010, plus de 50 pour cent des habitants des pays développés faisaient état de leur insatisfaction quant à la disponibilité d’emplois décents (dans des pays tels que l’Espagne, la Grèce, l’Italie, le Portugal et la Slovénie, ce pourcentage grimpait à plus de 70 pour cent).
• Entre 2000 et 2009, la part des profits dans le PNB a augmenté dans 83 pour cent des pays analysés. L’investissement productif a toutefois stagné à l’échelle mondiale au cours de la même période.
• Dans les pays avancés, la croissance des profits des entreprises, hors établissements financiers, s’est traduite par une hausse substantielle des dividendes versés (36 pour cent des profits en 2009 contre 29 pour cent en 2000) et des placements financiers (de 81,2 pour cent du PNB en 1995 à 132,2 pour cent en 2007). La crise avait légèrement infléchi ces tendances qui ont repris en 2010.
• La volatilité des prix des denrées alimentaires a doublé au cours de la période 2006-2010 par rapport aux cinq années précédentes, affectant les perspectives de travail décent dans les pays en développement. Les investisseurs financiers bénéficient davantage de cette volatilité des prix que les producteurs agricoles, en particulier les plus petits.
Le rapport plaide en faveur du maintien des programmes axés sur l’emploi et préconise de soutenir l’investissement dans l’économie réelle à travers une réforme financière et des mesures favorables à l’investissement. Il dénonce l’adage selon lequel la modération salariale générerait des créations d’emplois comme un mythe et appelle à adopter une stratégie de relance globale tirée par les revenus. Cette dernière pourrait, dans les faits, contribuer à stimuler l’investissement tout en réduisant les inégalités de revenus excessives.
Mais ce qui a surpris les analystes, ce sont certaines nouvelles provenant de la Chine et de l’Inde. Dans ce dernier pays, c’est le secteur des services qui s’est contracté de façon significative, descendant à un bas de 2 ans ½. En Chine, c’est le PMI manufacturier (l’indice des gestionnaires d’approvisionnement) qui a décliné en octobre, à son niveau le plus bas depuis le début de 2009.
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