Nous avons vu dans les deux parties précédentes de cette série un aperçu des mouvements sociaux actuels et de l’état de la croissance économique fulgurante de la Chine. Cette émergence de la Chine en superpuissance économique est tout à fait exceptionnelle. Mais ce qui m’apparaît le plus important, c’est que nous sommes en train d’assister à la construction sociale de nouvelles normes de production et de consommation, à un nouveau modèle de développement en émergence qui bouleverse en profondeur ce qui existait avant, y compris l’équilibre écologique de la planète. C’est pourquoi la Chine environnementale devra révolutionner les pratiques si elle veut dominer le 21e siècle.
La Chine environnementale
La Chine est à la veille d’un important changement politique puisque c’est la fin programmée du double mandat du président Hu Jintao et du premier ministre Wen Jiabao, qui devraient vraisemblablement être remplacés par Xi Jinping (actuellement le vice-président) et Li Keqiang. Ce sera à eux de mettre en application l’ambitieux plan de reconfiguration économique programmé par leurs prédécesseurs. Mais avant d’aborder les ambitions de ce plan, il faut faire les constats désastreux de cette croissance de la Chine sur le plan environnemental.
Comme on peut le constater dans le graphique suivant, la production globale de CO2 de la Chine a tout simplement explosé depuis le début des années 2000. Elle a déjà dépassé le niveau global d’émission des États-Unis et devrait en atteindre le double d’ici 2020 si elle continue au même rythme. Alors qu’il y a à peine cinq ans l’émission de CO2 par capita de la Chine ressemblait à celle des pays en développement, elle s’élève aujourd’hui à 6,8 tonnes (contre 11,1 t au Québec, 16,2 au Canada et 17 aux États-Unis). Mais une étude prévoit que le niveau d’émission par capita de la Chine aura rejoint celui des États-Unis (lui-même à la baisse) avant la fin de 2020. Si la Chine veut éviter ce scénario catastrophique, elle devra aller au-delà de ce qu’elle prévoyait faire pour diminuer son intensité énergétique. Pour son 12e plan quinquennal (2011-2015), la Chine prévoyait une croissance du PIB de 40% mais une diminution de l’intensité énergétique de 17% seulement. Pour 2015-2020, la Chine avait l’ambition de diminuer cette intensité de près de 50% (base de 2005).
Pour réaliser cette ambition, le plan quinquennal 2011-2015 prévoyait la production de 70 000 MW d’énergie éolienne (la capacité actuelle est de 40 000 MW ou 40 GW) et 5 000 MW (5 GW) d’énergie solaire. Ces objectifs semblaient d’autant plus prioritaires l’été passé en raison des inondations catastrophiques en Australie (son principal fournisseur de charbon) qui auraient forcé la fermeture de plusieurs centrales thermiques en Chine, pour une puissance de 16 GW. Par ailleurs, le prix du charbon a augmenté de 75% depuis 2007 (le charbon chinois étant de plus en plus couteux à exploiter), ce qui rendrait les prix des énergies renouvelables encore plus compétitives. C’est probablement la raison pour laquelle le gouvernement chinois a récemment décidé d’augmenter ses objectifs : on vise dorénavant la mise en production de 100 GW d’énergie éolienne d’ici 2015, 200 GW pour 2020, 400 GW pour 2030 et 1 000 GW d’énergie éolienne pour 2050.
Mais la grande nouveauté est venue au début de cette année avec l’annonce par le gouvernement de la possibilité de mettre en place un plan de réduction de ses émissions globales en s’appuyant sur la création d’une nouvelle taxe carbone (dans le cadre du plan 2011-2015), premier pas pour la mise en place d’un éventuel mécanisme de plafonnement et d’échange (cap and trade) d’ici 2020. Le Bureau national des statistiques a commencé l’an passé à construire l’infrastructure de données lui permettant de mesurer les émissions de CO2 des grandes entreprises en Chine, indispensable pour pouvoir implanter une taxe carbone crédible.
Ce qui est encore plus important, cependant, dans le cas de la Chine, c’est qu’elle ne se limite pas à ces mécanismes traditionnels dans sa lutte aux changements climatiques. Le 12e plan quinquennal prévoit une vaste stratégie très interventionniste de reconversion industrielle qui devrait en même temps lui permettre de devancer les pays développés et de s’imposer dans les secteurs de l’économie du 21e siècle. Des investissements stratégiques massifs sont prévus dans les secteurs suivants : les technologies propres, les prochaines générations de TIC, les technologies manufacturières, les biotechnologies, les énergies renouvelables, les nouveaux matériaux et le transport électrique.
Parmi ces sept secteurs, ceux reliés à une économie verte sont appelés à devenir la pierre angulaire du modèle chinois, en raison d’une « opportunité historique » de développement que les dirigeants chinois décèlent pour ces secteurs et du fait que les pays développés hésitent encore à y inscrire fortement leur économie. Les leaders chinois visent spécifiquement, avec ce 12e plan quinquennal, à ce que la Chine devienne le leader de l’économie verte. Un exemple pour illustrer cette volonté : la Chine vient d’annoncer un nouveau programme de développement des véhicules électriques (VE) qui lui coûtera 1,5 milliard $ par année pour les 10 prochaines années. Parmi les mesures adoptées : un remboursement de 120 000 yuan (19 100$) aux acheteurs de VE !
Conclusion
Il serait surprenant que la croissance phénoménale qu’a connue la Chine ces vingt dernières années puissent continuer au même rythme. Les nouvelles superpuissances n’émergent jamais comme s’il s’agissait d’un long fleuve tranquille. Elles sont à un moment donné confrontées à des crises de croissance, qui les renforcent lorsqu’elles parviennent à passer à travers, en développant leur résilience. La Chine en aura besoin bien assez tôt puisque les facteurs de crise s’accumulent.
Comme nous le rappelait Nouriel Roubini dans un billet repris sur OikosBlogue il est impossible à un pays quel qu’il soit d’être dynamique au point de réinvestir la moitié de son PIB dans la production sans être confronté, à un moment donné, à une énorme surcapacité. Selon lui, la Chine connaît un excès de capitaux physiques, d’infrastructures et de constructions (des aéroports magnifiques mais vides, des trains à grande vitesse ultramodernes vides eux aussi, des autoroutes qui ne mènent nulle part, des milliers de nouveaux bâtiments officiels destinés au gouvernement central ou aux gouvernements provinciaux, des villes fantômes et des hauts-fourneaux d’aluminium flambant neufs qui restent fermés pour éviter que les prix mondiaux ne plongent). A court terme, le boom de l’investissement alimente l’inflation alors que la surcapacité va conduire inévitablement à une forte pression déflationniste, en commençant par le secteur manufacturier et l’immobilier. Après 2013, prévoit Roubini, la Chine devra faire face à un atterrissage brutal.
Dans l’immobilier, on commence à sentir la crise qui s’approche. Le récent retournement du marché immobilier va peser sur les finances des municipalités qui comptaient vendre des terrains au prix fort pour rembourser leurs dettes. Parce que si l’État central est peu endetté, les provinces et municipalités ont quant à elles emprunté à tour de bras pour construire routes, aéroports ou hôpitaux et nombre d’entre elles deviennent insolvables, mettant en péril la santé du système financier. Le problème vient de ce que les collectivités locales comptent sur les recettes générées par les infrastructures, dont beaucoup ne sont pas rentables, pour rembourser leurs dettes. Dans l’ensemble de l’économie, les dettes progressent rapidement, ce qui fragilise le système bancaire. Mais toute tentative d’enrayer cette augmentation de la dette va se traduire par une réduction rapide de l’investissement et de la croissance en Chine.
Voici un graphique qui explique à lui seul les craintes de l’éclatement d’une bulle immobilière en Chine.
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