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Le samedi 23 avril 2022

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Crise de la solidarité internationale (4) : les réponses se précisent

Dans une série de trois billets publiés l’hiver dernier je concluais qu’un des principaux défis des OCI était de se défaire de la dépendance du financement public fédéral tout en continuant de réclamer leurs droits à un financement public approprié : des centaines de milliers de dollars, tirés de nos impôts, passent chaque année depuis 2010 par la moulinette d’une ACDI de plus en plus instrumentalisée par le ministère des Affaires étrangères, le tout adossé au dernier budget fédéral où le gouvernement a accordé une somme de 5 millions $ à l’Agence canadienne du revenu pour enquêter sur les organismes de bienfaisance afin de s’assurer qu’ils ne mènent pas d’activités politiques (comprendre ici «plaidoyer») comme le révèle Gilles Bourque dans son billet de bilan du gouvernement Harper. On se pince le nez ! C’est dire que cette dépendance n’est pas le seul défi. En fait, il est plutôt le révélateur de l’état des lieux en la matière.

L’AQOCI se mobilise à nouveau

L’AQOCI tenait une nouvelle assemblée spéciale sur la question le 14 décembre dernier. Elle a eu la bonne idée de ne pas se contenter de chiffrer les pertes financières des OCI progressistes décidées par l’ACDI et des gains des OCI confessionnelles dites nouvelles, exercice nécessaire bien fait par le chercheur François Audet. La recherche d’Audet ne peut cependant rendre compte de la dynamique générée par la nouvelle politique de l’ACDI. Elle a donc confié à un autre chercheur d’expérience, Paul Cliche, anthropologue et fin connaisseur de la coopération internationale (15 ans au service du programme international d’une importante OCI), le soin de mener à bien une enquête systématique sur les répercussions, sur ce qui fait fatalement bouger les lignes au sein des OCI membres de l’association. Pour le meilleur et pour le pire ! Cette enquête a été menée par Paul Cliche selon les règles de l’art de la recherche qualitative tout en s’appuyant sur les chiffres nécessaires à la démonstration. Que dit cette recherche dont le rapport complet vient d’être rendu disponible sur le site de l’AQOCI ?

54 entrevues semi-structurées ont été réalisées auprès de 54 représentants d’OCI membres de l’AQOCI occupant des postes de responsabilité dans leur organisation : comment s’entrent-ils ? Quelles projections de leur OCI ont-ils pour le futur ? Que deviennent leurs liens avec les bailleurs de fonds ? Quelle réputation le Canada est-il en train de se donner dans les pays du Sud ? Quelles relations nouvelles s’opèrent entre les OCI ? Quel effet cette crise a-t-elle sur les OCI au Québec et sur leurs partenaires au Sud ? Finalement quelques sont les pistes d’action qui dessinent pour la suite des choses ?

De tout cela, il se dégage une nette tendance négative quant à la situation des OCI : 41% des organismes rencontrés sont dans une situation qualifiée de mauvaise. Il y a d’ailleurs un lien entre la baisse du financement par l’ACDI et la situation des OCI. Notamment 11 des 13 OCI dont le financement de l’ACDI représentait en 2012 une portion importante de leurs revenus (plus de 30%) éprouvent des difficultés importantes. De même pour 21 des 22 OCI en mauvaise situation, la crise s’est traduite en une baisse globale, entre 2010 et 2012, de 22,2% de leur budget et de 28,8% du nombre d’emplois rémunérés (pourcentage qui monte à 34% si on considère les mises à pied prévues pour l’an prochain).

Les projections pour l’avenir sont par ailleurs très claires : parmi les personnes interrogées, il y en a deux fois plus qui manifestent des projections négatives (44%) que positives (22%). Ce qui ressort également avec force dans la recherche, c’est la mauvaise relation institutionnelle avec l’ACDI. Les canaux semblent littéralement bloqués. À l’ACDI, on ne répond pas ou on répond avec un flou total.

Les défis tels que présentés dans le rapport Cliche

Ce rapport, trop vite résumé ici, dégage quatre défis : a) il y a certainement le défi du financement, entre autres du financement autonome, qui est crucial pour l’avenir des OCI, d’affirmer l’auteur du document ; b) le second, celui de renforcer le lien avec la population québécoise ; le troisième, celui de la rupture de l’équilibre entre les programmes de développement à plus long terme et les programmes d’urgence et de reconstruction ; d) enfin, le défi de la collaboration à susciter entre les OCI et le maintien de l’unité du réseau. Sans trop forcer la note, ce rapport de près de 40 pages concluait que le réseau des OCI constituant l’AQOCI est à un point tournant.

Le tout a magnifiquement ouvert le débat dans la plus grande salle du Centre Saint-Pierre à Montréal où pas moins de 125 personnes étaient présentes. D’abord la menace principale : le développement à long terme dans les communautés du Sud est compromis, notamment les droits humains qui écopent fortement et, de façon plus générale, ce qu’on est convenu d’appeler le renforcement des capacités des «organisations populaires» (prises au sens large de ce terme : organisations paysannes, syndicales, de femmes, etc.). Puis il y a la mise sur la défensive des OCI avec l’arrivée de l’Agence canadienne du revenu qui a commencé son boulot de surveillance de même que le risque que s’accentue «la rivalité entre OCI» et la tension entre «petits et gros OCI».

Fort bien reçu par les participants, le rapport a suscité des discussions qui ont amené à souligner, parmi d’autres choses, ce qu’on entend par le travail auprès de la «population québécoise». Car pour les uns ce peut être l’«opinion publique forgée par les médias» et finalement «monsieur et madame tout le monde», pour les autres les communautés locales où les OCI interviennent et pour d’autres encore les organisations de la société civile (syndicats, organisations communautaires, groupes de femmes, écolos…) et les institutions tels les collèges et les universités.

Chose certaine, les OCI membres de l’AQOCI doivent penser la reconfiguration de la coopération internationale de proximité au Québec avec d’autres mouvements dont la plupart ont aujourd’hui des relais internationaux avec le Sud (DSI à la CSN, SOCODEVI pour les coopératives, UPA-DI pour les agriculteurs pour ne nommer que ceux-là) sans compter les programmes et services internationaux d’une bonne douzaine de collèges publics et de la plupart des universités, certaines municipalités qui pratiquent le jumelage avec des communes du Sud, etc. À quand une université d’été de la solidarité internationale avec tout ce beau monde–là ?

La suite des choses se précise

Témoin privilégié des débats, l’auteur du rapport, Paul Cliche, à qui je demandais ce qui se dégageait de l’après-midi à laquelle je n’avais pu assister m’a répondu ceci : « C’était un gros morceau à avaler et ce n’est pas facile de définir des actions communes. Au moment de la plénière, on voyait une certaine coïncidence entre les groupes, sans que pour autant les contradictions aient été surmontées. L’animatrice a alors fait une synthèse du consensus qu’elle percevait. C’est le CA qui va reprendre le tout et élaborer un plan d’action. Le danger d’un consensus, c’est qu’en intégrant des éléments différents, on réalise une tâche d’abstraction qui risquait de nous faire perdre les propositions d’actions concrètes qui avaient été mises sur la table pendant les délibérations. »

Et d’ajouter : « À un moment donné j’ai craint la dilution des propositions. Mais Denis Labelle, le président, est intervenu pour proposer d’élargir le CA et a demandé des volontaires. Très rapidement, cinq ou six mains se sont levées. Ce qui démontre que le message de l’urgence d’agir était passé. En outre, parmi les volontaires, la plupart représentent du sang neuf, des personnes qui ne s’étaient pas encore beaucoup impliquées au sein de l’AQOCI. L’avenir dépendra du travail de ce comité élargi et comment il réussira à interagir et à produire un plan qui réponde à la situation actuelle. Mais il semble bien que la question du plaidoyer sera au centre de leurs discussions. » Dossier à suivre assurément. Autre rendez-vous sur le même sujet : le Forum annuel du GESQ planifié pour le 20 avril prochain. On s’en reparle.

Discussion

2 commentaires pour “Crise de la solidarité internationale (4) : les réponses se précisent”

  1. Merci Louis pour cet excellent résumé de nos débats et des enjeux qui se dessinent suite à la recherche de Paul Cliche. Hier nous avons présenté le résumé de cette recherche dans un webinaire avec la participation de représentant-e-s d’une bonne dizaine d’organisations du ROC, en plus de celles du Québec. Cette bataille doit se faire avec l’apppui de toutes les forces vives du réseau canadien. Petite précision, un détail, ce n’est pas le CA qui s’est élargi le 14 décembre dernier d’une dizaine de nouvelles personnes, mais le comité politique Partenaires solidaires, suite à l’appel de notre président, Denis Labelle.
    Nous avons senti l’énergie des membres de l’AQOCI pour faire face à ce grand défi. Il faut que cet élan de solidarité soit de plus en plus contagieux auprès de nos publics!
    Gervais L’Heureux
    Directeur de l’AQOCI.

    Écrit par Gervais L'Heureux | janvier 30, 2013, 13 h 02 min
  2. [...] solidarité internationale avec le Sud est entrée en crise. Nous en avons abondamment parlé dans une série d’articles qui rendait compte de la crise et de la première riposte de l’AQOCI pour faire face à cette crise. Qu’il y ait crise dans la [...]

    Écrit par Oikos Blogue | Solidarité internationale : le vent tourne dans la bonne direction (1 de 2) | février 4, 2014, 6 h 06 min

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