Les signaux se multiplient pour nous indiquer que nous sommes déjà sur la voie d’une récession mondiale et que, si les États occidentaux continuent dans la voie des politiques de rigueur, tout cela ne pourra que déboucher sur une dépression. Depuis ce printemps, ce n’est que par pur aveuglement idéologique et par intérêt (les intérêts de l’oligarchie de la finance et du pétrole) que les gouvernements ne prennent pas les mesures qui s’imposent pour éviter ça tout en répondant aux enjeux écologiques majeurs de notre temps (c’est-à-dire par un vaste programme d’investissement public pour une transition écologique de l’économie). Le prix à payer (pour les populations) sera immense.
L’Europe s’enfonce
L’Angleterre, chantre de la rigueur budgétaire, est la première à s’enfoncer dans une récession qui fait perdre toute légitimité, toute rationalité, au projet insensé des forces conservatrices. Avec une régularité obstinée, le gouvernement Cameron coupe sauvagement dans les dépenses publiques et crée de toute pièce un cercle vicieux où les déficits accrus imposent des coupures encore plus importantes. Au cours des sept derniers trimestres, le PIB britannique montre une croissance négative, dont une contraction de 0,7% pour le plus récent (2e trimestre de 2012) alors que les analystes s’attendaient à une baisse de seulement 0,2%. À ce rythme, les Conservateurs britanniques ont réussi à faire en sorte que l’économie du pays se retrouve aujourd’hui à un niveau inférieur à ce qu’il était lorsque Cameron est arrivé au pouvoir ! Vive la décroissance…
Pour l’ensemble de l’Europe, les résultats sont désastreux sur le plan de l’emploi : l’Organisation international du travail a publié un rapport qui montre que 3,5 millions d’emplois ont été perdus depuis la crise financière de 2008 et que 4,5 millions autres sont en péril. Avec un taux de chômage dépassant maintenant les 11%, touchant principalement les jeunes (avoisinant des taux de chômage de 30% en Italie et au Portugal et 50% en Grèce et en Espagne), l’Europe s’achemine assurément vers un mouvement imprévisible de contestation qui érodera les institutions démocratiques européennes. Les mouvements d’extrême-droites s’alimentent d’un tel environnement. Mais plutôt que de s’attaquer aux causes réelles de la crise (un système financier spéculatif), 13 des 17 États de la zone euro libéralisent le marché du travail, facilitant les programmes de rationalisation des entreprises.
Nouriel Roubini, l’un des principaux porteurs de la vision pessimiste de la conjoncture économique actuelle, fait bien ressortir les risques pour l’Europe de s’enfoncer dans un gouffre sans fond. La crise de la zone euro s’aggrave, alors même que l’euro reste une devise forte, aggravant la récession dans de nombreux pays membres. À tout moment, prévoit-il, la fuite des capitaux pourrait se transformer en panique bancaire dans les pays de la périphérie. Il n’exclut pas un effondrement désordonné de la zone euro.
C’est effectivement lorsque cette vision pessimiste s’emparera de la majorité des spéculateurs que les risques d’effondrement atteindront leur maximum. Or nous n’en sommes pas loin : 55% des répondants à un sondage (de gérants de fonds) s’attendent à ce que la France, dont les banques sont exposées à hauteur d’environ 550 milliards d’euros aux pays méditerranéens en difficulté, soit le prochain pays à entrer dans l’œil du cyclone (lire : à faire objet d’une spéculation accrue), alors que 32% s’attendent à ce que l’Allemagne rencontre des difficultés en raison des fuites de capitaux des pays de la périphérie. Ces fuites de capitaux, en grande partie vers l’Allemagne, alimente les craintes des investisseurs vis-à-vis le système bancaire allemand. Pour les gérants de hedge funds, l’Allemagne pourrait encaisser de lourdes pertes.
Une spirale vicieuse de dette financière
Si certains analystes perçoivent des risques d’hyperinflation aux États-Unis (en raison de la politique quantitative de la Fed), c’est plutôt à un risque de déflation que font face les populations de l’eurozone. Or, les forces déflationnistes sont des forces récessionnistes en ceci qu’une grande partie de la croissance ayant été financée à crédit, le fait de ne plus pouvoir créer assez de crédit provoque une contraction de la demande et de l’activité. Le besoin de désendettement devient alors déflationniste, à deux niveaux : il permet moins de création de crédit pour financer la demande et il pèse sur le prix des actifs, que les agents doivent vendre pour rester solvables. Les gouvernements de droite (dominés par les intérêts de l’oligarchie financière) refusent à la fois l’assainissement par les destructions et, en même temps, les moratoires, restructurations et rééchelonnements. Ceci est possible grâce aux transferts de dettes sur les Etats, sur les Banques Centrales, donc sur les populations.
On parle surtout de la crise de l’Europe, mais le pire pourrait survenir aux Etats-Unis. À moins d’une élection qui accorderait au président Obama la majorité au Congrès, le blocage politique lié à un ajustement budgétaire va se prolonger l’an prochain. Les conflits portant sur le plafonnement de la dette, le risque de faillite de l’Etat et un abaissement de la note par les agences spécialisées pourraient affecter le moral des ménages et des entreprises, conduisant à une baisse des dépenses et à une accélération de la fuite des capitaux, ce qui exacerberait la chute de la Bourse. Mais le cas des États-Unis est tellement symptomatique des enjeux politiques actuels, que je reviendrai plus en détail sur ce sujet dans un deuxième billet la semaine prochaine.
En Asie, le modèle de croissance de la Chine est à bout de souffle, son économie pourrait s’écrouler en 2013 alors que la chute des investissements se poursuit et que les réformes destinées à stimuler la consommation représentent trop peu de choses et viennent trop tard. À Shanghai, les banques en sont réduites à poursuivre les producteurs d’acier avant la débâcle. Le ralentissement économique conjoint aux Etats-Unis, au sein de la zone euro et en Chine va mettre un coup de frein à la croissance des autres pays émergents en raison de leurs liens commerciaux et financiers avec les Etats-Unis et l’UE. Heureusement, l’absence de réformes de libéralisation dans les pays émergents, ainsi que leur évolution vers davantage de capitalisme d’Etat, devrait, contrairement à ce que prétendent les analystes, améliorer leur résilience face à la crise mondiale qui s’annonce. Par contre, cela pourrait vouloir dire des efforts encore plus importants de leur part pour essayer d’écouler leurs surplus sur les marchés étrangers. Conséquemment, les conflits autour des pratiques de dumping vont se multiplier.
En comparaison de la période 2008-2009, lorsque les décideurs politiques avaient plus de liberté d’action, les autorités monétaires et budgétaires ont épuisé une grande partie de leurs cartouches. La marge de manœuvre en matière de politique monétaire est limitée par des taux d’intérêt proches de zéro et des phases répétées de relâchement monétaire. Ce ne sont plus des problèmes de liquidités qui menacent, mais une crise du crédit et de la solvabilité. Dans les pays riches, les déficits budgétaires et les dettes publiques restreignent fortement la possibilité d’un recours supplémentaire à la stimulation budgétaire. Le FMI parle de la situation actuelle de la conjoncture mondiale comme « an another perfect storm ».
Les risques pour le Canada
Le Canada ne pourra évidemment pas échapper à cette conjoncture, même s’il semble aujourd’hui au-dessus de tout ça grâce à sa production d’or noir ! Mais dans l’éventualité d’une sérieuse crise économique mondiale, le Canada serait durement frappé par un effondrement des marchés des matières premières, dont il est devenu extrêmement dépendant. Les impacts seraient particulièrement catastrophiques pour les régions où la bulle immobilière est la plus forte (Colombie-Britannique, Alberta, Ontario). Selon certains analystes, la situation actuelle ressemble à celle des États-Unis avant la crise des subprimes. Alors que le taux d’endettement des ménages s’élève à 151% du revenu personnel moyen, un dégonflement rapide des prix de l’immobilier provoquerait un effet de richesse négatif majeur.
Or, que fait le gouvernement conservateur : les investissements publics ont baissé de 13,4% au cours de la dernière année financière; les dépenses gouvernementales en biens et services ont diminué de 0,4% au 2e trimestre, leur baisse la plus importante depuis 1997 ! La droite conservatrice se targue d’être la seule force politique capable de gérer l’économie en bon père de famille ! Bon père de famille mon œil….
Dans un prochain billet, nous reviendrons plus spécifiquement sur le cas de notre voisin étatsunien. On verra pourquoi notre plus grand partenaire commercial ne peut que s’engouffrer dans une dépression, en nous y entraînant par la même occasion…
[...] dans la crise, à moins d’un sursaut improbable de la population. Or, comme je le signalais dans le billet de la semaine dernière sur les risques de récession mondiale, la descente aux enfers de notre principal partenaire économique ne peut qu’avoir des effets [...]
[...] et une plus grande incertitude sur l’avenir. Je le signalais dans un billet en août dernier, la politique intégriste d’austérité du gouvernement Cameron ne pouvait que créer de toute pièce un cercle vicieux où les déficits accrus imposent des [...]