En élisant un président démocrate et une chambre des représentants dominée par les Républicains (noyautée par les extrémistes du Tea Party), la population des États-Unis a elle-même créée la situation pourrie dans lequel elle végète depuis quatre ans. Un tel blocage total, alors que les problèmes qu’ils affrontent exigeraient de prendre des mesures progressistes innovatrices, audacieuses, ne pouvait en fait qu’empirer les choses. C’est irrémédiablement ce qui arrive aujourd’hui avec ce pays qui ne peut que s’enfoncer encore plus dans la crise, à moins d’un sursaut improbable de la population. Or, comme je le signalais dans le billet de la semaine dernière sur les risques de récession mondiale, la descente aux enfers de notre principal partenaire économique ne peut qu’avoir des effets néfastes sur la conjoncture canadienne.
Un détournement de la richesse vers des activités improductives
Il est vrai que la croissance du PIB se poursuit à un rythme relativement faible, mais qui ferait néanmoins l’envie de la plupart des pays européens. Pourtant, les États-Unis démontrent avec clarté que la croissance économique n’est pas synonyme de développement. Les caractéristiques actuelles de l’économie politique étatsunienne (une ploutocratie dominée par les grandes entreprises de la finance et du pétrole) font en sorte que la richesse créée par la population est détournée de façon systémique par une minorité qui en fait un usage improductif.
Par exemple, une étude du FMI démontre que les grandes banques « too-big-to-fail » reçoivent, sous diverses formes, des subventions du gouvernement des États-Unis, mais qu’elles servent à accorder à leurs dirigeants des salaires et des bonus extravagants plutôt qu’à développer l’économie. On cite la JPMorgan, qui aurait reçu des subventions de l’ordre de 14 milliards $ par année. Pat Garofalo, du site web ThinkProgress, estime qu’au total ce serait 76 milliards $ qui seraient accordés aux banques chaque année, soit autant que leurs profits annuels totaux, et légèrement plus que ce qu’accorde le gouvernement à l’éducation ! Pour les pétrolières la situation est similaire. Au cours des dix dernières années, les « Big Five Oil » ont engrangé des profits de 1 000 milliards $. Pourtant, elles auraient coûté à l’administration fédérale des États-Unis 40 milliards $ au cours de la même période en subventions !
Dans ce contexte, comment se surprendre que le revenu médian des PDG de Wall Street a connu une croissance de 20% en 2011 par rapport à l’année précédente, alors que le revenu global moyen de la population augmentait de 2,8%. Le revenu moyen des PDG du Fortune 500 serait maintenant 380 fois plus élevé que le revenu global moyen, ce qui veut dire qu’il a cru 127 fois plus rapidement que celui du travailleur moyen au cours des 30 dernières années.
Un appauvrissement de la majorité
Aux États-Unis, la richesse insoutenable des uns (la minorité) se fait aux dépends de l’appauvrissement des autres (la majorité). Un exemple ? Le PDG de Caterpillar a augmenté son salaire de 60% alors que l’entreprise imposait à ses employés un gel des salaires et des revenus de retraite pendant six ans… Selon des experts, le taux de pauvreté aux États-Unis aurait atteint son plus haut niveau depuis les années 1960, à 15,7%.
La Grande Récession y a joué un rôle fondamental, alors qu’on voyait les emplois manufacturiers disparaître comme peau de chagrin et la valeur des maisons s’effondrer. La richesse nette moyenne des familles étatsuniennes aurait dégringolé de 39% entre 2007 et 2010, la ramenant à ce qu’elle était en 1992. Aujourd’hui, 20,2 millions de familles dépensent plus de 50% de leur revenu pour le logement (un record historique). Selon un sondage réalisé par le National Endowment for Financial Education, 40% des travailleurs ont connu une baisse de revenu au cours des cinq dernières années et 25% ont vu leur employeur cesser de contribuer à leur 401(k) (une sorte de REER collectif auquel contribue l’employeur).
Un État qui se désengage
Les trois dernières années ont été les pires pour les emplois dans le secteur public (fédéral, États et municipal). Depuis le début de la Grande Récession, on parle de plus de 600 000 emplois disparus (sur les 20 millions d’emplois publics), soit une baisse de près de 3%. Les spécialistes s’attendent à encore 200 000 pertes d’emplois. En retour, ces pertes ont des impacts sur les emplois du secteur privé : l’Economic Policy Institute évalue que cela aurait entraîné la disparition de 750 000 emplois du privé (avec un effet multiplicateur de 1,24).
C’est au niveau des municipalités que la situation économique est la plus désastreuse. Puisque leur revenu provient principalement de l’impôt foncier, l’effondrement du marché immobilier a frappé les municipalités étatsuniennes de plein fouet. Le nombre de villes quasiment insolvables ou déjà en faillite ne cesse d’augmenter, imposant une régression extraordinaire de tous les services publics. La ville de Stockton, de près de 300 000 habitants, est devenu la plus grosse municipalité à se placer sous la protection du chapitre IX de la loi sur les faillites. Afin de garder un budget équilibré, Stockton avait déjà coupé dans ses dépenses ces trois dernières années à hauteur de 90 millions de dollars, sur un budget total de 521 millions $, dont 366 millions sont sécurisés et ne peuvent servir à éponger le déficit. La ville avait notamment réduit d’un quart le nombre de ses policiers.
Dans certaines villes la situation va devenir explosive. Ignorant l’injonction d’un juge fédéral, les dirigeants de la ville de Scanton, en Pennsylvanie, ont décidé de diminuer les salaires des 398 employés municipaux (policiers, pompiers, fonctionnaires) au salaire minimum fédéral (7,25 $).
Un dérèglement climatique
Pour ne rien arranger, comme cela était arrivé pendant la dépression des années 1930, les États-Unis font face à une sécheresse catastrophique qui couvre tout le Midwest. Près de deux tiers des États des États-Unis, à l’exception de l’Alaska et d’Hawai, connaissent divers degrés de sécheresse. On trouve 1 016 comtés, dans 26 États, qui sont considérés dans un état de désastre naturel. Non seulement les prix de presque toute la chaîne alimentaire vont être affectés, mais le programme d’aide du gouvernement fédéral (le lobby agricole est puissant) risque d’être assez salé pour les finances publiques.
Dans un tel contexte, une reprise conventionnelle de l’économie des États-Unis est illusoire. Au mieux ils connaîtront une stagnation prolongée. Mais le plus probable, c’est une sévère récession, voire une dépression dont les États-Unis ne pourront se sortir qu’avec des politiques courageuses. La semaine prochaine, dans un troisième et dernier billet, quelques propositions qui nous viennent de la gauche européenne.
[...] je l’expliquais récemment dans un billet sur la conjoncture aux États-Unis, dans certaines villes la situation devient tout à fait explosive en raison de la crise [...]
[...] Et j’en suis très content. Mais de quelle situation parle-t-on ? Comme je l’expliquais dans un billet sur la conjoncture aux États-Unis, dans certaines villes la situation devient tout à fait explosive en raison de la crise [...]