Le nouveau gouvernement proposé par Pauline Marois mérite à plusieurs égards le qualificatif d’audacieux. Avec la nomination de Martine Ouellet aux Ressources naturelles, de Daniel Breton au Développement durable et à l’environnement (auquel enfin on ajoute la Faune) et Scott McKay comme adjoint, on peut dire que les enjeux environnementaux auront une voix solide au conseil des ministres. Il ne faudrait pas oublier qu’avec Jean-François Lisée comme président du comité ministériel et ministre responsable de la grande région métropolitaine, où se concentre les plus importants enjeux dans le domaine de la mobilité durable, la table est vraiment mise pour proposer aux Québécois des choix audacieux pour renouveler le modèle québécois vers un développement plus durable.
La nomination de Sylvain Gaudreault à la tête de deux ministères complémentaires (le ministère des Transports et celui des Affaires municipales, des Régions et de l’Occupation du territoire, le MAMROT) a une certaine logique pour un gouvernement qui déciderait de doter le Québec d’une véritable politique de mobilité durable, qui nous sortirait définitivement de la domination absolue du paradigme de l’automobile. Dans cette optique, il faudra s’attaquer prioritairement à la culture au sein du ministère des Transport, qu’on pourrait qualifier de centralisatrice et de hiérarchique, en lui insufflant beaucoup d’éléments de la culture plus participative qui existe au MAMROT. On verra assez rapidement ce qui en adviendra avec le dossier de l’échangeur Turcot ! La même chose pourrait être mentionnée pour le mandat de Nicolas Marceau, qui sera à la tête du ministère des Finances (avec sa culture très hiérarchique, teintée d’hermétisme) et du Développement économique, de l’innovation et de l’exportation. Jusqu’à ce qu’on lui coupe une bonne partie de ses moyens sous le gouvernement Charest, ce dernier ministère avait développé une culture de concertation innovatrice (en particulier avec la stratégie des grappes industrielles). Heureusement, l’ajout de Élaine Zakaïb comme ministre déléguée à la Politique industrielle et à la Banque de développement économique du Québec donne un signal intéressant sur la volonté du gouvernement de proposer une nouvelle stratégie de développement. Il faut souhaiter que (même s’il n’a pas vraiment le temps pour réaliser ces changements) le nouveau gouvernement agira rapidement pour insuffler dans l’administration publique une nouvelle dynamique ainsi que dans ses politiques une nouvelle vision du développement.
Or, le lendemain même de son entrée en fonction, le nouveau gouvernement québécois a annoncé une série de décisions courageuses, entre autres : la fermeture de Gentilly 2 et le maintien du moratoire sur l’exploration et l’exploitation des gaz de schiste. Ces décisions ont un aspect environnemental fort. Mme Marois a d’ailleurs déclaré qu’elle voulait « que ce geste devienne un symbole pour le Québec, pour l’environnement et le bien-être des générations futures ». Mais comme je le signalais dans un billet la semaine dernière, ce choix n’est pas sans fondement économique. Avec les avancées technologiques dans les énergies renouvelables, le choix de la filière nucléaire conduit à un risque économique majeur. Selon une analyse du World Watch Institute, les coûts de plus en plus élevé de l’énergie nucléaire devrait conduire, dans le long terme, à une rémission plutôt qu’à une relance durable de l’industrie. Les coûts d’immobilisation du capital des centrales croissent de 15% par année alors que le prix de l’uranium devrait doubler à brève échéance. Enfin, le développement de l’industrie nucléaire profite d’abord et avant tout à l’économie ontarienne. La sortie du nucléaire représente un choix économique très pragmatique pour le Québec.
On pourrait dire la même chose pour l’industrie des gaz de schiste, mais en y ajoutant tous les risques environnementaux et de santé publique immédiats qui y sont associés, sur tout le sud du Québec, sur les territoires les plus peuplés. La confirmation d’un moratoire complet, tant sur l’exploration que sur l’exploitation du gaz de schiste, annoncée par Mme Ouellet était la meilleure décision à prendre en attendant le rapport du comité d’évaluation environnementale et stratégique sur le gaz de schiste (pour octobre 2013). Selon la Presse canadienne, l’industrie du gaz de schiste aurait dépensé 200 millions $ au Québec pour divers travaux et elle envisageait creuser de 150 à 600 puits par année à compter de 2015. En décembre 2010, un document du BAPE précisait que sur les 31 puits existants, inspectés par le ministère des Ressources naturelles et de la Faune (MRNF), 19 laissaient échapper des « émanations de gaz naturel ». C’est donc une bonne chose de donner immédiatement un signal clair. Si le Québec veut vraiment développer une industrie du forage, je suggère qu’Hydro-Québec pourrait y donner suite en lançant un vaste programme de développement de la filière géothermique, qui recèle un potentiel insoupçonné (j’y reviendrai un moment donné sur OikosBlogue).
Mais on peut s’attendre à ce que les lobbys du pétrole et les partis de l’opposition s’attaque avec véhémence à cette nouvelle approche gouvernementale, avec tous les moyens dont ils disposent, d’autant plus qu’il s’agit d’un gouvernement minoritaire. J’ai entendu la semaine dernière des commentateurs qualifier les décisions du nouveau gouvernement « d’écologistes », avec tout ce que cela laisse sous-entendre (i.e. que ce gouvernement serait inspiré par une idéologie extrémiste) ! Les deux chefs de l’opposition ont immédiatement accusé Mme Marois d’être dogmatique. Je n’ai jamais rien entendu d’aussi stupide. Est-ce que les gouvernements allemand, japonais, suédois, etc., sont des gouvernements « écologistes » pour avoir décidé de mettre fin à leurs industries nucléaires ? Est-ce que François Hollande, qui vient lui aussi d’indiquer sa volonté d’imposer un moratoire complet sur les gaz de schiste, est un dogmatique ? Ces accusations ne sont rien d’autre que les premiers éléments d’une stratégie pour renverser le plus rapidement possible le gouvernement de Mme Marois, en présentant les partis de droite de l’opposition comme les seuls à pouvoir s’occuper correctement de la seule et unique chose qui devrait compter : l’économie, dans sa version la plus étroite, la plus bête et la plus nuisible pour la suite du monde…
[...] train de se prendre à propos de Gentilly-2. À retenir : le nucléaire semble avoir fait long feu dans ce pays comme dans d’autres pays tels le Japon qui en a subi les conséquences de façon dramatique ou la [...]