La décision du gouvernement Marois de fermer Gentilly-2 fait grand bruit. La région, par son élite économique et politique, est sans dessus dessous et crie au loup pendant que le SCFP (FTQ) qui représente les travailleurs de cette centrale nucléaire cherche à protéger les emplois de ses plus de 700 membres. Problème : sa première réaction est celle d’un syndicat qui protège des emplois comme s’il s’agissait d’emplois comme tant d’autres ne prêtant pas à des conséquences graves écologiquement parlant. Or en lisant la presse française ces dernières semaines, je constate qu’on s’apprête à fermer définitivement la plus vieille centrale nucléaire française, la Centrale Fessenheim, en Alsace. Et l’enjeu est de plus grande taille encore puisqu’il s’agit de 3 500 emplois.
La question qui m’est rapidement venue : quelle position le mouvement syndical français a-t-il sur la fermeture de cette centrale nucléaire? En réalité c’est plutôt divisé. Les deux principales organisations du pays divergent passablement : la CGT s’est campée dans une stratégie du refus clamant qu’il faut remettre au menu du débat public sur l’énergie cette fermeture annoncée par le nouveau gouvernement, celui de François Hollande. La CFDT (la cousine française de la CSN) s’incline plutôt devant cette décision, « regrette cependant qu’elle soit précipitée » mais campe dans la recherche d’une stratégie alternative : elle appelle à travailler d’arrache-pied à la « transition professionnelle » de ces 3 500 emplois menacés.
L’autre question qui m’est venue : que s’est-il passé en France pour qu’une telle décision se prenne sachant par ailleurs que si la France est un des pays d’Europe les plus investis dans le nucléaire, l’Allemagne, de son côté, qui l’est tout autant, s’est prononcée pour une dénucléarisation complète ? Dans ce dernier cas, le processus est enclenché depuis déjà un peu plus d’un an. En effet, au printemps 2011, huit des 18 réacteurs du pays ont cessé leurs activités. Mieux ! Une loi mettant fin définitivement au nucléaire pour 2022 a été adoptée à la quasi-unanimité des voix en juin de la même année. Décision «énorme», sans doute «extrémiste» dirait certains éditorialistes car cela représente 22% de la production d’électricité du pays. Le reclassement de ces centrales ne se fera pas en criant lapin comme on peut l’imaginer. Évidemment de nouvelles manières de s’approvisionner ont dû être pensées. Réponse du ministre de l’environnement : « Les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique sont les deux piliers de la nouvelle politique énergétique ». Tandis que le ministre de l’économie et des technologies a plutôt dit qu’il fallait « assurer la sécurité des approvisionnements et protéger l’environnement, le tout dans des conditions financières acceptables ». Mais les objectifs de la loi n’en annoncent pas moins que la part des énergies renouvelables doit passer de 17 % aujourd’hui à 35 % en 2020 et à 80 % en 2050. Bref, la transition énergétique de l’économie c’est du sérieux en Allemagne!
La décision du gouvernement allemand de fermer ses 18 centrales nucléaires qui représente 22% de sa production électrique n’est pas banale si on la compare à celle en train de se prendre à propos de Gentilly-2. À retenir : le nucléaire semble avoir fait long feu dans ce pays comme dans d’autres pays tels le Japon qui en a subi les conséquences de façon dramatique ou la Suède.
Une fois la décision prise, le démantèlement d’une centrale nucléaire est une opération complexe comme l’explique bien Jacques Dagenais, un intervenant privé de longue date à Gentilly-2. Il y en a pour plusieurs décennies car « on ne sort pas du nucléaire comme on sort d’une simple fermeture d’usine ». Le syndicat local du SCFP a donc quand même des outils dans son coffre c’est-à-dire du temps pour penser la « transition professionnelle » de ses membres et une alternative concrète, celle de l’industrie du démantèlement qui est en plein développement (une centaine de centrales sont sur fin de vie aux États-Unis). S’il décide d’aller dans cette direction. Pas évident !
Ce qui pose une autre question : quel est le degré d’information et de réflexion engagé au sein du mouvement syndical québécois sur le nucléaire et les énergies fossiles ? La reconversion industrielle des entreprises directement liées à ces énergies fossiles, notamment les raffineries de pétrole, est-elle à l’ordre du jour ? Je ne peux m’empêcher de penser à ce que nous disait la vice-présidente de l’AQLPA, Kim Cornellissen au rendez-vous de la Caisse d’économie solidaire Desjardins et du GESQ fin avril dernier à Joliette :
« À l’heure où la raffinerie Shell ferme, la Communauté métropolitaine de Montréal a décidé d’y implanter l’une des deux usines de biométhanisation. L’une ne remplace pas l’autre….On peut cependant voir émerger une filière dans les solutions environnementales qui pourrait remplacer l’industrie pétrolière….…Et c’est dans ces projets que l’idée de développement durable prend tout son sens : qu’on parle de ce projet à Montréal-Est, de l’utilisation de la biomasse pour le chauffage de l’hôpital et de bâtiments communautaires d’Amqui en collaboration avec la coopérative forestière de Matapédia, des modifications aux pratiques environnementales des coopératives, du soutien au développement durable des entreprises par le CLD et la SADC de Sorel-Tracy dans le cadre de l’Agenda 21 local, ce sont autant d’exemples qui démontrent que nous sommes capables au Québec de se développer sans mettre en péril l’environnement et les communautés locales » (extraits tirés d’un ouvrage de Louis Favreau et Mario Hébert, à paraître bientôt: La transition écologique de l’économie: la contribution des coopératives et de l’économie solidaire).
Mais on a un gros problème. Le modèle économique alternatif n’était pas celui du gouvernement Charest. Il essayait plutôt de nous imposer le modèle pétrolier et gazier. Et le gouvernement Marois qui vient tout juste d’annoncer qu’il prend ses distances par rapport au gaz de schiste et qu’il ferme Gentilly-2 se voit immédiatement traité de dogmatique agissant d’abord et réfléchissant ensuite. Derrière tout ce débat se profile une idée pernicieuse : si on va vers un modèle alternatif, on se retrouvera à coup sûr avec une régression écolo majeure qui met une région en péril.
Or, c’est tout le contraire, le modèle écologique est générateur d’un nombre impressionnant d’emplois dans le transport électrique interurbain, la biométhanisation de nos déchets domestiques, la biomasse forestière et agricole, la production éolienne, la solaire et la thermique. C’est ce que s’évertue à démontrer la Confédération syndicale internationale dans un document récent CSI (2012), Vers une croissance de l’emploi vert et décent de même que le Programme des Nations-Unies pour l’environnement, le PNUE dans Vers une économie verte : Pour un développement durable et une éradication de la pauvreté –Synthèse à l’intention des décideurs» (2011) ou le FIDESS dans son document d’orientation de Chamonix. Bref, l’enjeu syndical clé pour la suite des choses : penser la transition professionnelle de leurs membres dans les industries concernées. La tâche est et sera ardue mais elle devient de plus en plus urgente.
[...] à la sortie de mon dernier ouvrage sur la transition écologique de l’économie et suite à un billet sur OikosBlogue qui laissait entendre, à partir de la réponse syndicale locale à la fermeture de Gentilly 2, que [...]
[...] à la sortie de mon dernier ouvrage sur la transition écologique de l’économie et suite à un billet sur OikosBlogue qui laissait entendre, à partir de la réponse syndicale locale à la fermeture de Gentilly 2, [...]