Dans un premier billet, j’expliquais ce qui avait pu provoquer la mise en route d’un tel événement qui est sans précédent dans les annales du mouvement coopératif international depuis des décennies. Dans un second billet, j’avançais l’idée de l’urgence d’une prise de parole publique du mouvement sur des enjeux majeurs de société, en occurrence d’avoir à affronter la première grande crise socio-écologique du capitalisme boursier, laquelle crise a désarçonnée à peu de choses près tout le monde (économistes, banquiers, gouvernements tout comme les mouvements sociaux). Ce Sommet, coup de génie de la direction du mouvement Desjardins et de sa pdg Mme Leroux, est un grand pas dans la bonne direction. C’est là, à mon avis, le premier élément d’un bilan de la dite rencontre qu’il faut mettre sur la table. Sans compter la synergie développée avec l’Alliance coopérative internationale (ACI) et l’ouverture faite à l’Association des Rencontres du Mont-Blanc (RMB) pour la tenue de son dîner-causerie la dernière journée du Sommet.
Les points forts de ce sommet
Que nous a réservé ce Sommet? D’abord d’excellents débats sur des thèmes d’intérêt mondial : 1) la place des coopératives et des mutuelles dans l’économie mondiale ; 2) la «performance» du modèle d’affaires coopératif et mutualiste ; 3) l’évolution du «modèle d’affaires» coopératif et mutualiste ; 4) l’influence sociopolitique mondiale des coopératives et des mutuelles. De plus, sur ces quatre questions, ce Sommet a su mettre de l’avant une diversité de points de vue souvent relativement différents, voire même opposés.
Cette rencontre internationale a aussi manifesté une réelle ouverture sur la question de l’action politique du mouvement coopératif, ce qui ne s’était pas vu depuis longtemps. Cette question figurait parmi les thèmes prioritaires et une journée entière lui était consacrée tandis que les panels faisaient appel à des gens qui n’avaient guère d’hésitation à ce propos comme Felice Scalvini, vice-président de l’ACI et figure de proue du mouvement coopératif italien ; Ricardo Petrella, bien connu pour ses prises de positions dans la mouvance altermondialiste ; Roberto Rodrigues du Brésil, porte-parole des coopératives auprès de la FAO ou Dame Pauline Green qui fait bouger les lignes de l’ACI en misant sur l’ouverture de bureaux de l’organisation à Bruxelles (la Communauté européenne) et à New-York (l’ONU).
Cette ouverture manifeste également la reconnaissance (enfin !) de l’existence de courants différents. Quand on invite Ricardo Petrella comme conférencier d’ouverture et le bureau d’études Mckinsey&Compagny dans le même Sommet, il est clair qu’on s’en va forcément vers un choc d’idées assez captivant. À cet effet la direction du Sommet n’a pas été frileuse, Mme Leroux en tête, elle qui a été la première à reconnaître volontiers que, dans le mouvement, il y a « des tendances, car certains secteurs sont plus à gauche, d’autres plus au centre et d’autres à droite » (Devoir, cahier spécial du 7 octobre).
La dimension internationale du mouvement est également ressortie sans équivoque : « la crise est globale, elle est internationale et le modèle coopératif fait partie des solutions durables aux crises mondiales » (libellé de la table ronde ministérielle du 11 octobre). Sans compter que la présence même de représentants et dirigeants d’une centaine de pays et de 150 conférenciers en provenance de tous les continents était en mesure de donner la tonalité internationale à l’ensemble.
Une volonté de mettre à contribution la recherche et les intellectuels qui sont en quête de pistes de sortie de la crise actuelle faisait également partie de l’agenda. Une demande de contribution à des dizaines de chercheurs de par le monde fut lancée. Résultat : en bout de piste, 44 articles scientifiques (sur plus d’une centaine) ont été sélectionné selon les règles de l’art pour faire une «brique» de 650 pages bien cadré et de grande qualité (autour des quatre thématiques du Sommet). À cela s’est ajouté un séminaire de chercheurs au beau milieu de la semaine, le tout sous la direction d’Ernesto Molina (Université de Sherbrooke, co-auteur du livre Économie et société, pistes de sortie de crise) et Marie-Joelle Brassard (directrice du Service de recherche du CQCM, artisane de premier plan avec la directrice générale Hélène Simard, de la Conférence internationale de Lévis en 2010). Sans compter une séance de lancement de livres qui symbolisait bien la volonté du mouvement de miser sur la force de l’écrit d’intellectuels et de chercheurs.
Le Sommet a révélé la sortie des cloisonnements : la direction du Sommet, d’entrée de jeu il y a un an, avait choisi d’associer, au sens fort de ce terme, l’ACI à l’ensemble de la démarche. Elle a aussi fait une place qui lui correspondait à l’association des Rencontres du Mont-Blanc qui tenait un dîner-causerie sur le thème du «développement soutenable» avec un invité de marque, Ignacy Sachs. Événement malheureusement un peu raté, la formule du dîner-causerie ne se prêtant pas vraiment, sur fin de parcours d’un tel Sommet, à une attention réelle de la part des quelques 1000 convives.
Les points faibles de ce sommet
Cependant la place faite aux autres mouvements était bien mince. Plusieurs personnes, dont une haute fonctionnaire de la FAO rencontrée dans le cadre du Forum Nord-Sud, n’hésitaient pas à faire le constat de l’«étonnante» absente de mouvements sociaux tels le mouvement paysan (la FAO travaille avec ce mouvement depuis longtemps sans compter que ce dernier a été l’artisan de la naissance de nombreuses coopératives dans le monde) et du mouvement des travailleurs qui aurait pu être représenté notamment par Guy Rider, ex-secrétaire général de la Confédération syndicale internationale (CSI) et depuis peu directeur général du BIT.
Le développement durable et la transition écologique de l’économie n’ont pas non plus occupé l’espace que nécessite cette priorité des priorités aujourd’hui. Cependant, dans la session qui a précédé la rencontre, soit le symposium Imagine 2012, l’économiste chilien Manfred Max-Neef, membre du World Future Council, n’y est pas allé de main morte en parlant de l’avenir de la planète et des désastres écologiques pointant du doigt la pensée «court-termiste» des gouvernements et des multinationales pendant que sa collègue du Global Development and Environnmental Institute de l’Université de Tufts au Massachusetts y allait d’un constat «d’échec systématique du marché» et d’un «travail improductif» comme il en existe trop, notamment les produits de mauvaise qualité devenant rapidement inutilisables. Conclusion de l’échange : si les coopératives ne font pas la différence à cet égard, qui le fera ? Mentionnons finalement que l’intercoopération Nord-Sud, autre que d’affaires, aura été un peu l’enfant pauvre des thèmes du Sommet. 75 personnes seulement y participaient. Mais les échanges valaient le détour en contexte de reconfiguration en cours de la solidarité internationale.
L’avenir s’annonce stimulant
10,000 militants («activistes») sont attendus à Manchester à l’invitation de l’Alliance coopérative internationale à la fin de ce mois-ci après que 2800 dirigeants («les décideurs») aient débattu en toute liberté dans le cadre de ce Sommet de questions majeures d’économie et de société. Çà promet et, à coup sûr, c’est à suivre…Ceci étant dit, la chaire de recherche que je dirige, la CRDC, tracera d’ici la fin de l’automne, un bilan plus complet et plus distancé. Une petite équipe présente au Sommet y travaille. D’autres aspects y seront abordés, notamment les différentes logiques d’affaires qui prennent forme dans le mouvement, la question des fonds nationaux de développement coopératif (l’Italie est exemplaire à ce chapitre) et même d’un fonds international de développement coopératif, la croissance des entreprises (quoi faire croître et quoi faire décroître ?) etc.
Un enjeu manque à l’agenda de ce grand Sommet: le droit coopératif international harmonisé et appliqués aux règles et principes coopératifs, particulièrement de redistribution des richesses. Je m’explique. Actuellement, les coopératives de pays « riches », qui acquièrent d’autres entreprises localisées dans les pays plus pauvres, sont soumises à un modèle de développement qui les conduit à « aspirer » vers elles les revenus d’entreprises d’autres pays. Or, ces grandes coopératives agissent en conformité avec leurs perspectives et stratégie de développement économique. Le risque? Agir sur la base du modèle capitaliste de mal-développement. Ricardo Pétrella, en ouverture du Sommet, a pertinemment précisé, et cogné sur ce clou, que les coopératives, pour améliorer le sort de l’humanité, ne devront pas remplacer le capitalisme. Elles ne devront pas non plus occuper la place de l’État. Reproduire l’un ou l’autre ne permet pas une transformation en profondeur. C’est une nouvelle brèche, un nouveau modèle, une troisième voie qui devra s’ouvrir, se créer. Une pratique de transformation exclue donc la reproduction. Le droit coopératif international devra suivre cette volonté de changements; autrement, les coopératives restent dans l’emprise de relations de mal-développement édictées par les tenants d’une vision d’exploitation des plus fragiles de ce monde. La réflexion sera difficile pour les grandes coopératives qui veulent élargir leur place sur l’échiquier économique mondial, ce qui exclut la réflexion politique. C’est par le droit que cette réflexion politique pourra et devra se traduire. Comment assurer une propriété collective locale par et pour les entreprises « acquises » dans les pays plus pauvres? Surtout, comment y appliquer les principes de redistribution des richesses propre aux coopératives? La cohérence oblige… elles devront transférer leurs savoir-faire vers les pays fragiles et démunis pour qu’ils puissent se renforcer et développer leurs capacités. Le défi de la mondialisation coopérative commencera véritablement lorsque les grandes coopératives seront ouvertes à discuter de règles de droit coopératif qui respectent les principes et règles coopératifs appliqués à l’échelle internationale. La question semble évitée, du moins jusqu’à maintenant.
[...] de mire un nouveau sommet en 2014. Malgré quelques ratés, ce premier Sommet a eu un vif succès comme je l’ai analysé dans un billet précédent. On ne pouvait espérer mieux. Dans l’avenir, tout çà représente cependant quelques nouveaux [...]