La politique énergétique québécoise doit reposer, comme nous l’avons vu dans le précédent billet, sur les objectifs de moyen et long terme de réduction des GES. Avec la cible des 80-95% de réduction, elle doit à toute fin pratique programmer la fin de l’utilisation des énergies fossiles d’ici 2050, y compris avec la fermeture des deux raffineries encore présentes au Québec. Mais dans cet intervalle de presque quatre décennies, que devrait-on faire concernant l’exploitation des ressources d’énergie fossile présentes dans le sous-sol québécois : doit-on, ou non les exploiter ? Je crois que, politiquement, le refus catégorique d’exploiter ces ressources est intenable.
« Si le Québec se lance dans l’exploitation du gaz de schiste et du pétrole, ça veut dire qu’on abandonne notre cible de réduction des gaz à effet de serre, déclare Karel Mayrand, directeur pour le Québec de la Fondation David Suzuki. On ne peut absolument pas exploiter des hydrocarbures et réduire nos émissions. Si on va de l’avant, la seule façon de réduire nos émissions sera de forcer tous les autres secteurs de l’économie à faire des efforts importants de réduction. » Je ne partage pas cette opinion. L’exploitation du potentiel en énergie fossile sur le territoire québécois n’est pas incompatible avec des cibles audacieuses de réduction des GES. La Norvège et la Grande-Bretagne qui exploitent les champs de pétrole de la Mer du Nord sont les pays qui se sont donnés les cibles de réduction de GES pour 2020 les plus élevés du monde : -30% pour la Norvège et -34% pour la Grande-Bretagne. Pour accélérer sa transition énergétique, la Norvège a récemment plus que doublé sa taxe carbone, la faisant passer de 34 à 72$, et les deux pays ont créé des fonds pour compenser les émissions excédentaires.
L’exploitation du potentiel des énergies fossiles québécoises devrait être fondée sur un ensemble de principes clairs et s’insérer dans la stratégie globale d’atteindre la cible de 80-95% d’ici 2050. D’abord, cette exploitation doit être planifiée de telle sorte qu’elle s’achève avant 2050 : autrement dit, nous devons viser, sur un horizon d’une quarantaine d’années, la fin programmée de la production et de la consommation de pétrole au Québec. Par ailleurs, l’exploitation des champs pétroliers doivent nous permettre d’atteindre le plus rapidement possible notre indépendance énergétique et à nous donner les moyens de financer la transition. Les retombées de cette exploitation doivent donc être canalisées expressément dans un fonds pour la transition. Enfin, les ressources existantes doivent faire l’objet d’une analyse comparée de leurs émissions de GES en comparaison avec les ressources conventionnelles importées. Dans cette optique, les gaz de schiste sont non seulement incompatibles avec une exploitation sécuritaire pour l’environnement et les communautés riveraines, ils ont une empreinte écologique qui les disqualifie par rapport à du gaz naturel conventionnel importé (une analyse du cycle de vie conclut que les impacts environnementaux des gaz de schiste sont équivalents ou pires à ceux de l’industrie du charbon).
De la même façon, on peut aussi penser que le pétrole de schiste dans le sous-sol d’Anticosti devrait lui aussi être disqualifié, même si les impacts de son exploitation sur la population sont minimes. Une analyse environnementale reste à le confirmer scientifiquement, mais il est probable que ce pétrole non conventionnel, comme celui des sables bitumineux, produit des gaz à effet de serre à un niveau tellement supérieur au pétrole conventionnel que l’hypothèse de son exploitation remettrait en question l’atteinte des cibles de réduction de GES de moyen et long terme. Le coût de la compensation des émissions excédentaires serait économiquement non rentable.
Dans cette perspective, on peut comprendre que l’ampleur des ressources énergétiques fossiles exploitables au Québec dans le cadre d’une telle politique est beaucoup plus limitée que dans le rêve des pétrolières. D’autant plus que les annonces de découverte de ressources pétrolières des deux dernières années sont encore à démontrer. Néanmoins, selon le scénario le plus probable, il reste le gisement Old Harry, qui aurait un potentiel de 5 milliards de barils d’hydrocarbure dont le tiers serait situé à Terre-Neuve. S’il s’agissait de pétrole conventionnel, devrions-nous l’exploiter ? Le Québec consomme un peu plus d’une centaine de millions de barils de pétrole par année. Donc le potentiel d’Old Harry, s’il s’avère réel et exploitable, permettrait ni plus ni moins de satisfaire la consommation québécoise jusqu’à l’horizon de 2050 selon un scénario de fin programmée de l’utilisation du pétrole. L’exploitation du gisement d’Old Harry m’apparaîtrait donc a priori correcte dans la mesure où elle s’inscrit dans une politique énergétique telle que je l’ai décrite précédemment. Par ailleurs, puisque Terre-Neuve va de toute façon aller de l’avant avec l’exploitation de ce gisement, il m’apparaîtrait socialement responsable que le Québec s’entende avec le gouvernement de Terre-Neuve pour une exploitation conjointe de ce gisement selon les normes de sécurité les plus stricts de l’industrie, dont le forage obligatoire d’un deuxième puits de sécurité pour bloquer à la base tout déversement accidentel. La présence d’une seule plateforme de forage diminuerait les risques d’autant.
Mais ce qui doit être au cœur de cette politique concernant l’exploitation des ressources d’énergie fossile c’est que la rente de cette exploitation soit récupérée par l’État, qu’elle finance la transition et qu’elle soit gérée en visant son élimination graduelle. Si la meilleure manière d’y arriver passe par une nationalisation, comme nous l’avons fait avec succès avec Hydro-Québec, alors il faudra créer le plus rapidement possible Pétro-Québec.
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