Je comprends parfaitement le scepticisme de plusieurs de mes lecteurs à la question de savoir si la finance peut être responsable. Dans une série de billets produits l’an passé sur le thème du pouvoir de notre épargne, je crois avoir démontré qu’il y a effectivement un mouvement de la finance sociale responsable, tout en signalant qu’il n’a pas l’envergure qu’on veut bien lui donner parfois. Par exemple, selon les chiffres issus des portraits d’Eurosif (Europe) et de la SIO (Canada), ce serait autour de 20% des actifs de la finance qui répondraient aux pratiques de la FSR, en l’occurrence, 11 660 milliards d’euros en Europe en 2011 et 530.9 milliards $ au Canada. Mais ces chiffres sont gonflés : il suffit qu’un fonds ait une politique de tamisage négatif qui exclut l’industrie du tabac de son univers de placement, ou qu’il se soit donné une politique de placement responsable (sans nécessairement l’appliquer dans tous ses placements), pour que tout son actif soit considéré comme socialement responsable.
Malheureusement il faut l’admettre, la finance dominante est à ce point irresponsable que si les États ne l’avaient pas sauvé du désastre, nous serions aujourd’hui dans de beaux draps. Pire, si les États ne mettent pas en œuvre rapidement la réforme dont, dans un bref moment de lucidité suite à la crise financière de 2007-2008, ils avaient identifié les grandes lignes, nous nous acheminons vers une autre catastrophe. Dans cette nouvelle série de billets sur la finance, je vais dans un premier temps souligner que non seulement la finance dominante est irresponsable, mais que les plus importantes de ces institutions s’adonnent à des pratiques frauduleuses sur une vaste échelle. Par la suite nous allons voir, en prenant comme exemple les institutions financières canadiennes, que le problème de la financiarisation de l’économie va bien au-delà des pratiques frauduleuses. Enfin, dans un dernier billet on verra quelles actions seraient nécessaires pour véritablement passer à un nouveau paradigme de la finance.
Un monde financier où les pratiques frauduleuses sont la norme
Selon un sondage réalisé par Labaton Sucharow auprès de 500 dirigeants de Wall Street, le quart des répondants estiment que les employés du secteur de la finance ne peuvent pas progresser dans la profession sans accepter de s’engager dans des pratiques illégales ou immorales, alors que 30% indiquent que le mode de rémunération crée des pressions en ce sens ! La logique de l’oligarchie financière domine l’industrie de la finance. C’est la culture qui, depuis une vingtaine d’année, s’impose chez ceux qu’on a fini par appeler les ‘Banksters’ : on se croit tout permis, au-dessus des lois, parce que domine maintenant chez les financiers une certaine vision du monde qui justifie leurs comportements de prédateurs sans foi ni loi.
Aux États-Unis, c’est l’immense fraude de reprise des propriétés en défaut de paiement hypothécaire pratiquée par les grandes institutions financières, sur une vaste échelle, qui a connu une conclusion en 2012. On parle de plus de 4 millions de propriétaires qui ont été chassés de leur maison sur la base de pratiques illégales des banques. Plusieurs États avaient demandé la suspension de toutes les saisies et entamé des poursuites contre ces institutions financières. Au début de 2012, les cinq plus grandes banques du pays avaient conclu une entente avec le département de la Justice et les procureurs des États plaignants pour un règlement à l’amiable. Selon ce règlement, elles acceptaient de payer 25 milliards $ et de cesser certaines pratiques abusives. En décembre dernier, un dernier règlement a été conclu entre le ministère de la Justice et 14 autres banques pour ces mêmes pratiques frauduleuses. Cette fois les banques ont dû débourser des amendes s’élevant à 10 milliards $, dont un montant de 3,75 milliards $ servira à rembourser les propriétaires chassés de leur maison et un autre de 5 milliards $ en assistance diverses. Enfin en janvier dernier, Bank of America a été condamné à payer plus de 11 milliards $ à Fannie Mae pour rembourser des défauts de paiement hypothécaire qui avaient été obtenus de façon illégales.
Mais les scandales touchant les banques se sont multipliés depuis une couple d’années. Est-ce la morale des banquiers qui s’est dégradé à ce point depuis la crise ou est-ce plutôt qu’en raison de leurs difficultés financières, les États se sont faits plus perspicaces dans les enquêtes sur les pratiques des banques ? Je penche davantage sur la deuxième explication parce qu’il est plus probable que c’est la culture de ‘Bankster’ qui, en se généralisant dans le monde financier au cours des deux dernières décennies, est directement responsable de la crise financière. Prenons l’exemple du scandale du Libor, ou London InterBank Offered Rate, qui est un taux d’intérêt calculé en fonction de données remises par un panel d’entre 8 et 16 grandes banques internationales. Le Libor est considéré comme un benchmark, c’est-à-dire un taux de référence pour les autres taux d’intérêt de court terme. Selon le Wall street Journal, il s’agirait d’une fraude ayant permis le détournement de plus de 800 milliards $ sur une période de quatre ans (2005 à 2009), donc avant la crise. Selon un rapport de Morgan Stanley, les 12 banques internationales impliquées dans le scandale de la manipulation du taux Libor pourraient se voir condamner à un montant d’amendes totales de 22 milliards de dollars. Les premières amendes ont commencé à tomber : la banque suisse UBS devra payer 1,5 milliard $ en Grande- Bretagne et aux États-Unis, trois fois plus que celle de 290 millions de livres de la Barclays pour le même délit.
En 2012 des fraudes de toutes sortes ont éclaboussé les banques : HSBC, ING et Standard Chartered ont dû payer 3,2 milliards $ pour des pratiques de blanchiment d’argent; JPMorgan Chase est sous enquête par la SEC pour des pratiques illégales ayant causé la faillite de Peregrine Financial Group (en Iowa) ; en Allemagne, la Deutsche Bank fait face à des poursuites pour avoir aidé des entreprises clientes à frauder le fisc sur des certificats d’émission de CO2 (!!!), alors qu’elle fait face à de nombreuses plaintes aux États-Unis dans le cadre de la crise de l’immobilier. On pourrait continuer cette énumération de pratiques frauduleuses des banques sur des pages, sans y venir à bout. Car pour y venir à bout, il faudrait aussi parler des pratiques des banques dans les paradis fiscaux qui ouvrent la porte à tout un système organisé de fraudes fiscales au service des riches et des entreprises.
Comme l’explique bien ce billet sur le web, les fourberies des banques dans les paradis fiscaux repose sur leur capacité à user d’une multitude de subterfuges pour maquiller les comptes des entreprises, contourner les règles de prudence financière, ou échapper à l’impôt. Au cœur de ces stratégies frauduleuses, les paradis fiscaux jouent un rôle déterminant. La présence des banques dans ces juridictions secrètes contribue largement à nourrir ce système de fraudes à grande échelle ainsi que l’instabilité financière dans le monde. Là-dessus également on pourrait écrire des pages et des pages sans y venir à bout. Je vais me limiter à illustrer cette fraude systémique avec un fait divers récent, paru le 6 janvier dernier sur Reuters : Wegelin & Co, la plus vieille banque privée suisse, devra fermer ses portes à la suite des charges retenues contre elle par la justice étatsunienne, et pour lesquelles elle a reconnu sa culpabilité, de complicité pour évasion fiscale de citoyens des États-Unis. À elles seules, les pratiques de cette banque aurait permis de frauder le fisc de 1,2 milliard $ au cours de la dernière décennie.
Dans le prochain billet, sur la base de l’analyse des banques canadiennes, on explique les causes de l’irresponsabilité de cette finance.
[...] des pratiques frauduleuses à grande échelle des grandes institutions financières mondiales, que j’ai abordé dans le billet précédent, c’est la financiarisation de l’économie qui pose problème. Elle nous renvoie à la [...]
[...] les billets précédents on a pu constater que la fraude à grande échelle de la finance n’est pas un dérapage mais dans la nature de la financiarisation de l’économie, d’une [...]