Dans mon billet de la semaine passée, je comparais les pratiques de lobbying des banques à des pratiques de collusion. Dans ce 2e billet je voudrais plutôt montrer que non seulement ces entreprises sont en collusion avec des fonctionnaires ou des gouvernements aux dépends du bien public, au profit d’intérêts particuliers, mais que dans certains cas on peut carrément parler de fraude à grande échelle. Et cela est possible en raison de la présence de pays (les paradis fiscaux) qui peuvent servir de refuges pour frauder le fisc (voir aussi le billet d’Alain Deneault aujourd’hui).
Entre 2007 et 2012, la collusion et la corruption autour des travaux d’infrastructures nous aurait coûté 11,3 milliards, donc 2,3 milliards $ par année. Mais au seul chapitre de l’évasion fiscale et de l’utilisation abusive des paradis fiscaux, le gouvernement du Québec pourrait avoir accès à des revenus annuels de 3,6 milliards qui lui échappent, en raison du recours à de « la planification fiscale abusive » de la part des ménages riches et des entreprises. Donc, s’il avait vraiment cherché à éliminer ou décourager l’utilisation des paradis fiscaux, le Québec aurait pu se donner les marges de manœuvre qui lui manque présentement, plutôt que couper dans les programmes sociaux.
Les paradis fiscaux sont à la finance, ce que les bases arrières sont pour les terroristes, c’est-à-dire des territoires ‘sécurisés’ où les criminels en cravate peuvent se cacher en toute impunité (ou cacher leurs avoirs) sans être inquiétés. C’est grâce à la présence des paradis fiscaux, où le secret bancaire et l’opacité des transactions permettent à ces criminels de mener des ‘opérations secrètes’, de laver l’argent sale, de camoufler ou de changer les identités et d’entreposer les résultats de leurs délits, que tout ce système de fraude est possible.
Un bel exemple de ce système de crime organisé nous a été présenté il y a quelques semaines par le quotidien de Grande-Bretagne The Guardian, qui n’en était pas à sa première enquête sur le sujet (voir mon billet du 16 mai 2012). Dans la foulée du scandale de la viande de cheval utilisée en Europe, les journalistes du Guardian ont permis d’illustrer le rôle crucial joué par les circuits financiers installés dans les refuges des paradis fiscaux. Leur enquête a montré que derrière la circulation européenne de la viande de cheval, on trouve des circuits physiques clandestins (la mafia russe), mais surtout des circuits financiers opaques (les paradis fiscaux) dont les secrets sont bien plus difficiles à percer. En effet, grâce au système mis en place par les pays de l’Union européenne, on s’est aperçu que la traçabilité de la circulation de la viande était plutôt efficace : deux abattoirs roumains ont été finalement identifiés comme la source du cheval vendu à la société française Spanghero qui la vendait elle-même à la filiale de la société Comigel installée au Luxembourg.
Par contre, la traçabilité des circuits financiers permettant d’acheter ce cheval est plus compliquée à réaliser : le cheval est en effet acheté par un trader hollandais travaillant pour la société Windmeijer meat trading en sous-traitance pour la société Draap Trading, enregistrée à Chypre (qui demande aujourd’hui une aide à l’UE !!!) et visiblement dirigée par des prête- noms. The Guardian a découvert que cette société n’avait qu’un seul actionnaire, Hermes Guardian, elle-même enregistrée aux îles Vierges britanniques. Mais impossible de savoir qui se cache derrière Hermes ! The Guardian a néanmoins découvert que cette société est également actionnaire d’autres sociétés à Chypre, au Panama et en Russie.
Bref, nous dit le journaliste Christian Chavagneux (Alternatives Economiques), l’opacité des circuits financiers de cette affaire paraît bien plus importante que celle de la circulation des biens physiques et la France, avec les autres pays européens, devraient vivement s’en préoccuper. Quand donc les États vont-ils sérieusement s’attaquer à ces paradis criminels qui affaiblissent les systèmes publics de régulation, rongeant petit à petit les bases de nos sociétés démocratiques ? Pourquoi nos gouvernements devraient-ils continuer de faire des affaires avec des institutions financières qui ont des succursales dans des paradis fiscaux, alors que nous savons bien que ces derniers sont des refuges de criminels financiers.
Christian Chavagneux reste optimiste et voir venir la fin prochaine du secret bancaire, ce qui pourrait changer la situation de façon importante (lire son billet reproduit sur OikosBlogue). Les États-Unis ont publié le 17 janvier dernier le détail des règles obligeant les institutions financières étrangères à donner au fisc étatsunien toutes les informations concernant les transactions financières à l’étranger réalisées par des citoyens des États-Unis (et des entreprises?). Si les banques suisses ouvrent la porte à un échange automatique d’informations fiscales, nous dit M. Chavagneux, on devrait assister à un effet boule de neige en raison des conventions signées entre les pays de l’Union européenne et la Suisse qui les autorisent à se prévaloir de la clause de la nation la plus favorisée pour réclamer un même traitement. À suivre.
Je suis complètement à l’opposé de vos critiques en général mais j’aime bien votre argumentaire. Mon grand-père m’a dit une fois, si tu veux changer les choses, ce n’est pas avec une pancarte que tu le feras mais bien en t’incrustant dans le système en question que tu réussiras à faire évoluer les choses. J’applique ce concept à tout maintenant. Je ne parle pas sans avoir moi-même été impliqué dans le chose. Je suis banquier. Je côtoie le système bancaire chaque jour et il est faux de prétendre ce que vous prétendez. La surveillance dans le système bancaire en est à un point où la majorité des employés est exposée à une surveillance complètement ahurissante. Je crois qu’effectivement, à certains niveaux les transactions soient plus nébuleuses. Mais dans la hiérarchie des banques, nous nous rapprochons des sommets lorsque l’on parle de ces transactions nébuleuses. JE TIENS À MENTIONNER CELA. Vous parlez de riches. Vous parlez constamment des riches. Je vois des gens, et une grande majorité je pourrais dire, qui travaillent dans une multitude de secteurs, ET QUI NE SONT PAS RICHE, qui ne payent pas d’impôt. Des gens en construction qui travaillent en dessous de la table et qui savent très bien les répercussions au niveau économique de leurs crimes quotidiens. Et parmi les gens qui gagnent le plus, ce sont en grande majorité les gens en construction. Les travailleurs en construction gagnent nettement plus que les gens de d’autres industries. Et malgré leur « bons » salaires, ces gens ne déclarent pas la moitié de ce qu’ils gagnent au courant d’une année. Un système qui est à la base de l’échec du système Grec. Les riches auront beaux ne pas être les citoyens les plus fiables, la classe moyenne québécoise actuelle correspond à la classe qui fait croître notre manque à gagner d’une manière phénoménal. Mais s’attaquer à cette classe est tabou. Les médias et vous consacrez vos efforts sur les riches qui sont, j’en conviens, loin d’être des citoyens modèles. Mais avant de cracher en haut, vaudrait peut-être mieux laver notre linge.